Odyssées Spirituelles

Henny Machlis, une matriarche des temps modernes

22/11/2016 | par Sara Yoheved Rigler

150 invités pour Chabbat. Une maison ouverte à tous les laissés-pour-compte. Une foi inébranlable en l’homme. Portrait exaltant d’une femme qui incarna l'adage « aime ton prochain comme toi-même »

Henny Machlis consulta une fois le Rav Eliachiv, l’une des plus grandes sommités rabbiniques d’Israël, pour lui exposer un dilemme auquel elle faisait face. Elle et son mari Rav Mordekhaï Machlis avaient l’habitude d’accueillir jusqu’à 150 invités – étudiants universitaires, routards, sans-abris, touristes venus du monde entier, élèves de Yéchiva, veuves, personnes atteintes de maladies mentales – dans leur modeste appartement de Jérusalem pour tous les repas de Chabbat, et ce, 51 semaines par année. Or certaines personnes critiquaient Henny en arguant qu’il n’était pas juste pour ses enfants que leur foyer soit transformé en lieu public.

Henny se dévoua au peuple juif bien plus qu'un jour par semaine.

Rav Eliachiv répondit à Henny : « Je ne comprends pas cela. Une semaine compte sept jours. Pendant six jours, vous vous consacrez à votre famille et le septième, vous vous dévouez au Klal Israël (le peuple juif). Où est donc le problème ? »

Les Machlis à leur mariage.

Lorsque Rav Machlis relata cet épisode après la disparition de son épouse, emportée par la maladie à l’âge de 57 ans, il ajouta : « Visiblement, Henny n’a pas dû écouter ce conseil très attentivement, parce qu’elle s’est dévouée au Klal Israël bien plus qu’un seul jour par semaine. »

La légendaire « entreprise » d’hospitalité des Machlis débuta dès leur mariage en 1979. Bien que Mordekhaï et Henny fussent tous deux natifs de Brooklyn, leurs deux aspirations les plus chères étaient de s’installer en Israël et de partager leur table du Chabbat avec le monde entier. Ils décidèrent de faire leur Alyah trois mois après leur mariage. Entre-temps, ils louèrent un appartement avec deux chambres à coucher. Pourquoi deux chambres ? Afin de pouvoir recevoir des invités !

Une fois les Machlis installés à Jérusalem, dans le quartier de Maalot Dafna, les invités ne tardèrent pas à affluer. Au début, ils vinrent pour se restaurer, aussi bien le Chabbat que le reste de la semaine. Mais ils ne tardèrent pas à remarquer le sens de l’écoute exceptionnel de leur jeune hôtesse Henny. De nombreuses personnes qui étaient deux fois plus âgées qu’Henny se mirent à l’appeler Ima – Maman. Bien vite, le modeste appartement des Machlis prit des allures de maison du bon Dieu.

Qui étaient donc ces invités ? Comme Rav Machlis le décrirait plus tard, « il s’agissait de gens qui traversaient des épreuves, des gens qui rencontraient des difficultés dans leur vie conjugale, des gens en instance de divorce, des gens qui se heurtaient à des crises spirituelles, des nouveaux immigrants, n’importe qui. J’invitais chez nous des gens pauvres que je trouvais au Kotel, ou des personnes qui demandaient l’aumône dans les synagogues. »

« Maman, il y a quelqu’un dans mon lit. »

Yokhéved, l’aînée des enfants Machlis, se souvient du jour où, en rentrant chez elle, elle trouva un homme qui dormait dans son lit. « Ima, dit-elle à sa mère, il y a quelqu’un dans mon lit. »

Henny lui répondit : « Oui, c’est quelqu’un qui n’a pas d’endroit où vivre. Il est très fatigué. Il n’avait rien à manger, alors il est venu chez nous ce matin. Je lui ai servi un repas, et maintenant il se repose. Mais ne t’inquiète pas. Quand il se réveillera, il s’en ira et ensuite, nous te changerons les draps. »

Mais leurs invités ne partaient pas tous aussi vite. Certains restaient plusieurs semaines, d’autres plusieurs mois.

Il y a environ 20 ans, Sender*, un immigrant russe ivrogne d'une cinquantaine d'années arriva à l’improviste pour le Chabbat. « C’était la seule et unique personne jamais venue chez nous à ne pas s’être assise sur une chaise, se souvient Rav Machlis. Il s’est assis par terre parce qu’il était ivre mort et ne pouvait tenir en équilibre sur une chaise. »

Un jour, Sender demanda un jour à ses hôtes s’il pouvait vivre chez eux. Henny accepta à condition qu'il arrête de boire.

Sender était un sans-abri. Il vivait dans des synagogues. Il ne parlait pas un mot d’hébreu, et s’exprimait dans un russe émaillé de yiddish. Après avoir passé d'innombrables Chabbatot chez les Machlis, Sender demanda un jour à ses hôtes s’il pouvait vivre chez eux. Henny consentit de l’accueillir dans l’une des deux pièces en sous-sol qu’ils avaient creusées et meublées. Mais Sender refusa. Il se considérait comme un membre à part entière de la famille et voulait donc vivre au même étage qu’eux.

Rav Mordekhaï et Henny Machlis

Henny accepta, à une seule condition : qu’il arrête complètement de boire. Sender arrêta l’alcool du jour au lendemain. Le premier soir, il tremblait si violemment que Rav Machlis pensait qu’il allait mourir. Henny, quant à elle, maintint qu’elle savait ce qu’elle faisait.

Inquiet, Rav Machlis appela un médecin du quartier qui lui indiqua les signes qui devaient alerter sa vigilance, mais Henny savait effectivement ce qu’elle faisait et accompagna Sender tout au long de son processus de sevrage. Finalement, Sender arrêta complètement de boire.

Ensuite, Henny annonça : « Nous devons lui trouver un travail. » Après quelques coups de fil passés à certaines connaissances, elle lui décrocha un emploi. Et Rav Machlis de conclure : « D’un alcoolique crasseux et malodorant, ce type s’est transformé en un homme respectable et soigné de sa personne. Il s’est acheté un attaché-case, et s’est mis à porter des costumes. Il était si fier de lui-même. Il ne manquait jamais un jour de travail. Il a vécu ici sur notre canapé pendant plusieurs mois. »

Amour et attention

Un Américain appelé Chimon* souffrait d’une maladie mentale. Il portait une serviette sur la tête et exhalait une odeur nauséabonde. Partout où il se trouvait, les gens le priaient de s’en aller. Par miracle, dans la maison des Machlis, son odeur semblait s’atténuer considérablement. Et pour cause, Henny le laissait prendre des douches chez eux et lui offrait des habits de rechange. Elle lui permettait aussi d’utiliser tous les parfums et eaux de Cologne de la maison. Les Machlis traitaient Chimon avec une dignité qu’il ne recevait nulle part ailleurs.

Oren*, un homme atteint de sévères troubles psychiques se retrouvait très souvent interné dans des établissements psychiatriques où Rav Machlis lui rendait régulièrement visite. Oren passait souvent le Chabbat chez les Machlis. Lors d’un repas de Chabbat, Oren asséna à Rav Machlis un coup de poing au torse. Malgré cet incident, Rav Machlis et Henny ne manquèrent jamais de le traiter avec un amour et une patience infinis. Henny passait d’innombrables heures à l’écouter. Il était doté d’un sens de l’humour très développé et composait ses propres plaisanteries. Pour l’encourager, Henny lui demandait souvent de lui raconter une blague de son cru, qu’elle saluait d’un rire tonitruant au plus grand bonheur d’Oren.

Les gens n’ont pas tous besoin de nourriture, mais ils ont tous besoin d’amour, d’attention et d’une personne qui puisse les écouter.

« Henny avait un seuil de tolérance très élevé, remarque Rabbi Machlis. Elle avait beaucoup de préoccupations dans la vie, mais Oren pouvait passer des heures à lui parler, et elle lui accordait toujours de l’amour et de l’importance. Les gens n’ont pas tous besoin de nourriture, mais ils ont tous besoin d’amour – d’amour, d’attention et d’une personne qui puisse les écouter.

Henny Machlis, avec sa mère, lors du mariage de sa fille.

Herbert*, un Australien élégamment vêtu, venait tout le temps prendre ses repas de Chabbat chez les Machlis. Il dormait sur place le vendredi soir, et prolongeait même son séjour jusqu’au samedi soir. Un jour, Herbert arriva un vendredi après-midi et trouva la maison sens-dessus-dessous. Les Machlis attendaient, comme à leur habitude, quelques 300 invités pour les repas de Chabbat et aucun membre de la famille n’avait eu le temps de faire le ménage.

Herbert demanda à Henny : « Puis-je passer le Chabbat chez vous ?

— Bien entendu, lui répondit la maîtresse de maison.

— Que pourrais-je faire pour vous aider ? s’enquit ensuite l’invité.

— Voudriez-vous vraiment nous donner un coup de main ? s’assura Henny.

— Oui, je suis prêt à tout faire ! insista Herbert. »

Henny lui tendit un balai en lui demandant de bien vouloir balayer la pièce.

Le soir même, au cours du repas de Chabbat, Herbert se leva et déclara à la ronde : « Ces gens sont vraiment écœurants. Je suis arrivé ici tellement brisé, tellement fatigué. Et savez-vous ce qu’ils m’ont fait ? Ils m’ont tendu un balai ! Et j’ai dû balayer leur sol. Est-ce ainsi que l’on traite des invités ? »

Sidéré par cette anecdote, j’en ai demandé à Rav Machlis des explications. Comme le lauréat d’un prix Nobel expliquant les rudiments du ‘hessed (bonté) à un amateur, il m’a répondu avec patience : « Très souvent, les gens qui sont dans le besoin ne sont pas en mesure d’offrir de l’aide. Même s’ils le font, leurs besoins sont si profonds qu’ils sont véritablement incapables de donner. Ils ne veulent pas endosser de responsabilité. Ils ont besoin qu’on prenne soin d’eux. Ce n'est pas forcément à leur apparence ou leur manière de s'habiller que l'on reconnait les gens qui souffrent de grands troubles et sont vraiment démunis. Si vous aviez rencontré Herbert dans la rue, vous n’auriez jamais imaginé à quel point il est dans le besoin. »

Le comble de la spiritualité

Rav Avraham Willig, le gendre d’Henny, déclara après son décès : « Rabbanite Henny Machlis avait compris que le comble de la spiritualité est de demander à quelqu’un s’il avait pris son petit-déjeuner ou de lui servir un dîner. » Et d’illustrer ses propos par l’anecdote suivante :

Un soir, un homme arriva à l’improviste chez les Machlis et déclara : « Je voudrais une soupe très chaude. » Henny, affaiblie par la maladie, ne se trouvait pas à la cuisine. L’une de ses filles répondit au visiteur : « Euh, désolée, il n’y a pas de soupe très chaude ici.

— Que vais-je manger dans ce cas ? se plaignit-il.

— Je ne sais pas, répondit la jeune fille. Pourquoi ne pas vous servir dans le réfrigérateur ? »

Bien entendu, cette réponse en soi relève déjà d’un niveau d’altruisme qui dépasse l’entendement…

Mais Henny, qui avait surpris cette conversation depuis sa chambre située au fond de la maison, ne l’entendait pas de cette façon. Elle courut jusqu’à la cuisine et chuchota à l’oreille de sa fille : « Que fais-tu ? Qui sait à quand remonte le dernier repas de cet homme ? » Puis, se tournant vers le visiteur, elle déclara : « Venez, asseyez-vous. Je vais vous préparer une soupe très chaude. »

Henny parvenait à déceler le potentiel enfoui en chaque être humain.

Comment parvint-elle à un tel degré d’altruisme et d’abnégation ? Henny Machlis était capable de voir des gens complètement brisés et même hostiles, et de déceler l’image divine en eux. Comme son veuf l’explique : « elle était une visionnaire. Elle voyait au-delà des apparences. Quand elle rencontrait des gens souffrant de troubles, elle arrivait à voir ce qu’ils pourraient devenir, l’étape suivante. Avant une opération de chirurgie esthétique, les médecins montrent à leur patient une version simulée de leur apparence après intervention. Henny réfléchissait de cette façon. Elle arrivait à déceler le potentiel caché de chaque être humain.

Comme l’une de ces filles l’a rapporté pendant la Chiva :

« On lui disait : “Ima, cet homme sent mauvais, c’est un pauvre type.” Mais elle ne nous entendait même pas, et nous disait : “Vous ne connaissez pas toutes les épreuves qu’il a traversées dans la vie. Cet homme a été placé dans un orphelinat à l’âge de cinq ans. Et ses parents sont morts. Et c’est un orphelin, et si vous saviez tous les malheurs qu’il a vécus… » Elle avait une compassion extraordinaire pour chaque personne qu’elle rencontrait. Elle croyait sincèrement et fermement que chaque personne est un tselem Elokim (créé à l’image de Dieu). Elle aimait tous les êtres humains. »

Nous sommes habitués à lire des histoires de grandes personnalités qui vécurent à des époques lointaines dans des contrées lointaines. Henny Machlis était une femme juive du 21ème siècle. Si l’un d’entre nous lui avions dit : « Henny, je ne pourrais jamais atteindre ne serait-ce qu’une fraction de la grandeur spirituelle à laquelle tu es arrivée », elle aurait été la première à nous assurer : « Tu n’es pas conscient de l’extraordinaire potentiel divin qui est en toi. »

* Les noms des protagonistes ont été modifiés par souci de confidentialité.

Sara Yoheved Rigler est l’auteur de la biographie officielle de la Rabbanite Henny Machlis, Emuna with Love and Chicken Soup, parue en anglais aux éditions ArtScroll Mesorah.

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