Réflexions - 15shvat

Ilan, Ilan

23/01/2013 | par Emmanuel Mergui

En hommage à Ilan Halimi.

Ilan, Ilan, comment te bénirai-je ?

Dois-je dire « Que tes fruits soient savoureux » ? ils sont déjà savoureux ;

« Que ton ombre soit agréable » ? elle est aussi agréable ;

«  Qu'un ruisseau coule à tes pieds » ? il est là qui coule.

La seule chose que je puisse te souhaiter, c'est que tous les arbres qui viendront de tes graines te ressemblent.

Talmud Taanit 5b

Cette semaine, nous célébrons « Tou BiChevat », Roch Hachana La-Ilan - le « nouvel an de l’arbre » qui intervient chaque année le 15 du mois hébraïque de Chevat. Cette date marque le moment où une nouvelle sève afflue discrètement dans l’arbre, lui redonnant peu à peu cette vitalité dont le jaillissement à l’extérieur se fera au printemps. Dans le cadre des Mitsvot liées à l’agriculture, Tou BiChevat sert de repère pour déterminer le nombre d’années de vie d’un arbre.

Cette date marque également l'anniversaire de l’assassinat du jeune Ilan Halimi de la main de ses ravisseurs tortionnaires le 13 février 2006 - le 15 Chevat 5766 - qui plongea dans l’effroi le pays tout entier et laissa la communauté juive en état de choc.

Martyrisé, assassiné parce que Juif

À travers cette terrible mort, Ilan est entré dans l’histoire de notre peuple comme l’un de ceux qui sont morts al kidouch Hachem, « en sanctifiant le nom de D.ieu » qui est porté par le peuple juif. Le Talmud enseigne que de tels individus accèdent aux plus hauts degrés du Gan Eden, dans lesquels ils jouissent du plus grand dévoilement divin en compagnie de ceux qui furent de leur vivant des « justes parfaits », les Tsadikim guemourim, jusqu’à l’ère de la résurrection.

Si une telle affirmation peut nous apporter quelque réconfort, à nous qui évoquons le souvenir d’Ilan, un jeune homme plein de vie et de gentillesse, elle mérite néanmoins d’être expliquée et approfondie. Il est, en effet, possible de comprendre que lorsque des Juifs choisissaient de mourir sur les bûchers de l’Inquisition plutôt que d’abjurer la foi de leurs pères, le mérite de leur sacrifice leur valait une rétribution particulière dans l’Au-delà. Mais lorsque la mort est imposée par la cruauté, comme dans le cas des victimes de la Shoah, lorsque qu’elle vient par surprise et que la victime n’a même pas le temps de réaliser ce qui lui arrive, comme dans le cas des attentats suicides, par quel « mérite » les victimes en deviennent-elles sanctifiées ?

La réponse à cela est que ce n’est pas le mérite du choix qui confère à l’âme de la victime cette élévation, mais le fait d’avoir été tuée parce qu’elle était juive.

Le dévoilement de l’âme

La vie juive telle qu’animée par la Torah a, en effet, pour objet principal de manifester la suprématie de l’âme sur le matériel. Notre tâche en tant que Juifs est de dévoiler en toute chose son « âme », le message divin dont elle est porteuse qui est la raison profonde de son existence, en lui faisant jouer le rôle qui lui est attribué dans le projet divin. Telle est l’œuvre de la vie de tout Juif et de toute Juive, quand bien même il ou elle n’en aurait pas totalement conscience.

Les nazis ne s’y trompaient pas qui justifiaient leur haine des Juifs par le fait que ceux-ci étaient – tous –  porteurs de cette morale universelle qu’ils combattaient dans leur idéologie du mal. Lorsque les descendants spirituels d’Amalek, l’ennemi viscéral de D.ieu et d’Israël, s’attaquent aux Juifs, ils le font sans distinction, le simple fait d’être juif justifiant à leurs yeux d’être attaqués. Le martyr de leurs victimes révèle ainsi à tous l’existence et la nature de l’âme juive, cette âme juive unique – car divine dans son essence – portée par l’ensemble des enfants d’Avraham, de Its’hak et de Yaakov, sans distinction de convictions affichées, de connaissances ou de choix de vie. Cette révélation, totale, absolue, imprime chez les survivants la conscience profonde du caractère divin de leur propre âme, par delà de toute la création, et donne lieu à une remise en question qui entraîne chacun à réinvestir les forces illimitées de son âme dans une vie réellement porteuse de sens.

Cette nécessaire mise en évidence de l’âme dans toute sa pureté est, d’ordinaire, le rôle des Tsadikim dont le comportement saint et altruiste est un exemple pour leur génération. C’est également ce qui se passe lorsqu’un Juif, quel qu’il soit, tombe victime d’Amalek. Il est donc juste qu’ils partagent la même rétribution dans le Gan Eden.

« Les Juifs sont tous riches… »

Dans le cas d’Ilan, le meurtre cruel a été précédé d’un enlèvement dont le mobile affiché était l’obtention d’une rançon. Là encore, le drame est révélateur de la lumière de l’âme juive. En effet, ce qui a motivé le crime fut la jalousie haineuse, entretenue par la conviction que « les Juifs sont riches ».

Ceci est loin d’être une idée nouvelle : de tout temps, les nations ont véhiculé le mythe de la « richesse » des Juifs. Mais aujourd’hui, à l’ère du tout-médiatique, chacun sait que la communauté juive française comporte de nombreux indigents qui ne mangent pas à leur faim et de nombreuses familles en état de détresse financière. En Israël, la situation est encore pire puisque, malgré la croissance économique, l’essor de l’industrie du high-tech, des biotechnologies, etc, des centaines de milliers d’enfants juifs vivent sous le seuil de pauvreté. Il faut être sérieusement déconnecté de la réalité pour s’imaginer que les Juifs sont tous des nantis et confondre les cités-dortoirs de Sarcelles et de Garges-les-Gonesses avec les beaux quartiers de Neuilly-sur-Seine et du seizième arrondissement.

Si le fantasme d’une communauté juive de millionnaires relève de l’affabulation hystérique, la démarche de se tourner vers les Enfants d’Israël lorsque l’on souhaite « enrichir » sa vie est loin d’être inopportune, car ceux-ci possèdent réellement une véritable richesse qu’ils tiennent à la disposition de leurs voisins. Cette richesse, attestée par la promesse divine à Abraham que « toutes les nations seront bénies par ta descendance », ne se confond cependant pas avec les ressources financières qui, selon l’adage populaire « ne font pas le bonheur ».

Non, la bénédiction que les Juifs doivent apporter aux Nations réside plutôt dans cette force qui a modelé l’Humanité depuis trois mille ans jusqu’à l’imprégner des valeurs juives de paix, de justice et de progrès.

Cette lente évolution de la société humaine a culminé dans la création, au lendemain de la Shoah, de l’Organisation des Nations Unies fondée sur ces valeurs. En effet, la vocation déclarée de cette organisation est le dialogue entre les peuples et le bannissement de la guerre, c'est-à-dire de faire avancer le monde vers la réalisation de la vision de la prophétie messianique juive dont elle a choisi de faire figurer les versets sur sa façade : « Et de leurs épées ils forgeront des socs de charrue et de leurs lances des serpettes. Un peuple ne tirera plus l’épée contre un autre peuple, et on n’apprendra plus l’art de la guerre. » Isaïe 2, 4.

« L’homme est un arbre »

Si tout ce qui précède est vrai de façon générale, cela revêt une profondeur particulière sachant qu’Ilan s’appelait précisément Ilan et qu’il est décédé à Tou Bichevat.

Ilan, en hébreu, désigne un arbre. Pas n’importe quel arbre, toutefois : un arbre complet. Doté d’un tronc solide, de branches feuillues qui prodiguent au voyageur fatigué une ombre rafraîchissante et qui portent des fruits. Ces derniers sont l’aboutissement et la raison d’être de l’arbre. C’est à travers eux qu’il contribue au bonheur de son environnement. Ce sont eux qui, une fois tombés, vont donner de nouvelles pousses à son image qui hériteront de toutes ses qualités et porteront à leur tour leurs propres fruits.

La Torah nous enseigne l’interdiction de couper l’arbre fruitier, car, nous dit-elle, « l’homme est un arbre des champs » (Dévarim 20, 19). En effet, au même titre que l’arbre, l’homme aspire à croître et porter des fruits. L’être humain est animé d’un désir profond d’avoir une descendance qui soit son prolongement dans le temps et dans l’espace. Nos Sages nous enseignent en outre que « la descendance des justes, ce sont leurs bonnes actions ». Il est vrai que chaque âme humaine descend sur terre pour y apporter une contribution unique, sa lumière particulière, qui est sa pierre à l’édifice du monde meilleur que le Machia’h nous révélera.

Cet enseignement va bien au-delà de la simple métaphore. En effet, la Torah ne nous dit pas ici que l’homme est comme un arbre des champs, mais bien qu’il est un arbre des champs. Ceci et d’autant plus surprenant si l’on considère que, dans la nature, le règne animal est incontestablement plus proche de l’homme que ne peut l’être le règne végétal. Comment la Torah peut-elle identifier l’homme à un arbre ?

Revenons aux origines de toute chose : lors de la création du monde, c’est la terre qui émit les plantes lorsque D.ieu dit, le troisième jour, « Que la terre produise des végétaux, des herbes développant une semence, des arbres fruitiers donnant, selon leur espèce, un fruit qui porte sa semence sur la terre » (Béréchit 1, 11). C'est également de la terre que vinrent les animaux lorsque, le sixième jour, D.ieu dit « Que la terre produise des êtres animés selon leur espèce : bétail, reptiles, bêtes sauvages de chaque sorte. » (Béréchit 1, 24). Ainsi, les végétaux, comme les animaux, ont pour source la terre. Il existe cependant, entre les deux, une différence fondamentale : les plantes doivent rester rattachées à leur source pour vivre et se développer, alors que les animaux en sont apparemment déconnectés et libres de se déplacer à leur guise.

La supériorité de l’animal sur le végétal est ici flagrante. Doté d’une conscience de soi et de la capacité de ressentir des émotions, l’animal terrestre est également autonome dans son corps.

L’homme étant un microcosme dont la structure est parallèle à celle du « grand » monde, car « Il a mis le monde dans le cœur de l’homme » (Méguilat Kohélet 3, 11), ces deux façons d’être, animale et végétale, se retrouvent dans la vie intérieure de l’homme. La personnalité humaine est constituée de deux composantes spirituelles qui émanent de l’essence de l’âme : l’intellect et l’émotionnel. À l’animal, libre de se déplacer sur différents territoires, correspond l’intellect humain, capable d’appréhender toutes sortes de conceptions et de passer aisément de l’une à l’autre en pensée. Au végétal, correspondent les sentiments humains. En effet, par nature une émotion ne peut se développer que quantitativement, à la manière de la croissance d’un végétal, ou bien cesser d’exister. De même qu’un arbre ne peut se déplacer, un sentiment ne peut pas se transformer. Lorsque, par exemple, une personne en vient à en détester une autre qu’elle chérissait auparavant, son amour ne s’est pas mué en haine : il s’est tari puis a été remplacé par de la haine, à l’image d’un arbre qui meurt et à la place duquel on en plante un autre.

Il semble que l’on ait à nouveau démontré la suprématie de l’animal – l’intellect – sur le végétal – l’émotionnel.

Pourtant, malgré ces apparences, c’est précisément son aspect « végétal » qui fait la nature profonde du Juif et lui confère sa qualité de « révélateur de l’âme » et de lumière pour les nations.

Car si l’arbre est immobile, ce n’est pas qu’il lui manque de la force, mais au contraire parce qu’il est si fortement lié à sa source qu’on ne peut l’en séparer. C’est également la raison pour laquelle les émotions, émanant directement de leur source dans l’âme, ont une puissance si déterminante dans la personnalité humaine. Pour déplacer un arbre, il faut tout le savoir-faire d’un jardinier expérimenté afin de l’extraire de son terrain sans l’abîmer pour le replanter ailleurs. Similairement, pour parfaire sa personnalité en raffinant ses midoth – ses traits de caractère émotionnels, il faut un travail sur soi méthodique et laborieux afin d’acquérir le réflexe de faire primer ses principes sur ses sentiments jusque dans les moindres détails de son existence, réorientant ainsi dans le bien les facultés de son âme d’aimer, de craindre, de désirer, etc.

Voilà pourquoi l’homme est intrinsèquement « un arbre des champs » : c’est précisément dans son aspect « végétal », son être émotionnel, que se révèle et s’exprime l’essence de son âme.

Nos Patriarches Avraham, Its’hak et Yaakov avaient atteint des sommets dans la compréhension de D.ieu. C’est toutefois dans la force des sentiments qui les caractérisaient respectivement –  l’amour (Avraham), la crainte (Its’hak) et la compassion (Yaakov) – que s’exprime l’âme juive qu’ils nous ont léguée et qui nous attache à eux en un lien éternel, car ces sentiments sont ancrés dans l’essence de l’âme.

L’héritage d’Ilan

Il y a ici une puissante leçon pour chacun d’entre nous : un Juif étant un Ilan, un arbre des champs, il est relié en toute circonstance à sa source, à ses Patriarches dont il a les qualités de cœur au plus profond de lui, à la Torah qui est, comme l’eau, la source de la vie et au Créateur de toute chose.

Prendre conscience de cela et se comporter en conséquence à chaque instant de sa vie et en particulier dans l’exercice de sa profession, c’est faire en sorte que le message d’Ilan vive à travers nous, que nous soyons ainsi ses « fruits », jusqu’à ce que nous méritions que se réalise la prophétie d’Isaïe annonçant la délivrance messianique :

« Un rameau sortira de la souche de Yichaï (le père du roi David), un rejeton poussera de ses racines. Et sur lui reposera l’esprit de D.ieu : esprit de sagesse et d’intelligence, esprit de conseil et de force, esprit de science et de crainte de D.ieu.

Animé ainsi de la crainte de D.ieu, il ne jugera point selon ce que ses yeux croiront voir, il ne décidera pas selon ce que ses oreilles auront entendu. Mais il jugera les faibles avec justice, il rendra des arrêts équitables en faveur des humbles du pays ; du sceptre de sa parole il frappera les violents et du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant. La justice sera la ceinture de ses reins, et la loyauté l’écharpe de ses flancs.

Alors le loup habitera avec l’agneau, et le tigre reposera avec le chevreau ; veau, lionceau et bélier vivront ensemble et un jeune enfant les conduira. La vache et l’ourse paîtront côte à côte, ensemble s’ébattront leurs petits ; et le lion, comme le bœuf, se nourrira de paille…

Plus de méfaits, plus de violence sur toute ma sainte montagne, car la terre sera pleine de la connaissance de D.ieu, comme l’eau recouvre le fond des océans.

En ce jour-là, il y aura une racine de Yichaï, qui se dressera comme la bannière des peuples ; les nations se tourneront vers lui et sa résidence sera entourée de gloire. »

Isaïe 11, 1-7, 9-10

Reproduit avec l'aimable autorisation de Chabad.org.

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