Monde Juif

La Grande-Bretagne et les Juifs

28/06/2016 | par Yvette Miller

À l’occasion du référendum historique sur le « Brexit », découvrez quelques faits peu connus sur les Juifs du Royaume-Uni.

À l’occasion du référendum historique sur le « Brexit », voici quelques faits peu connus sur la présence juive au Royaume-Uni.

Une présence médiévale marquée par la prospérité

Les Juifs arrivèrent pour la première fois en Angleterre en 1066 avec Guillaume le Conquérant; ils furent plus tard rejoints par d’autres coreligionnaires venus de France pour fuir les Croisades qui y faisaient rage. Un peu plus tard, l’évêque de York, une ville située au nord du pays, invita d’autres Juifs à le rejoindre pour l’aider à parfaire sa culture et ses connaissances. Les Juifs établirent des communautés prospères à travers l’Angleterre, se livrant au commerce, à la médecine, à l’orfèvrerie et au chant.

Sur le plan légal, les Juifs anglais étaient considérés comme la propriété du roi. Ainsi, le roi Henri III hypothéqua ses droits sur la communauté juive d’Angleterre à son frère Richard, pour obtenir un prêt de sa part. Plus tard, il vendit de nouveau ses droits sur les Juifs du pays à son fils Édouard en échange d’une rente annuelle et d’un serment de loyauté.

L’antisémitisme dans la Magna Carta

On la considère comme le tout premier document démocratique de l’Europe moderne, mais la Magna Carta – la première charte qui limite le pouvoir d’un monarque européen, en 1215 – discrimina les Juifs d’Angleterre. Trois clauses entières (sur un total de 62) de la Magna Carta se réfèrent aux Juifs, les empêchant d’exiger le remboursement de dettes impayées dans certaines circonstances et restreignant leur capacité à faire du commerce avec des propriétaires terriens.

Les pogroms anglais

Le roi d’Angleterre Richard Ier – dit Richard Cœur de Lion – fut un fervent adepte des croisades et il encouragea ses sujets à attaquer les Juifs là où ils le pouvaient. À son couronnement en septembre 1189, une émeute éclata aux portes du palais de Westminster ; des Londoniens saccagèrent la ville, tuant un grand nombre des Juifs de la capitale et pillant leurs maisons.

Les pogroms ne tardèrent pas à s’étendre à d’autres villes anglaises. Des Juifs furent massacrés à Dunstable, Lynn, Stamford et Norwich. En mars 1190, un pogrom éclata dans la ville de York. Les Juifs terrifiés trouvèrent refuge dans la tour du château de York. Mais un officier de la Couronne, qui dirigeait une foule assoiffée de sang juif, attaqua le château. Les Juifs réfugiés à l’intérieur choisirent de se donner la mort plutôt que de tomber entre les mains de cette meute enragée.

Les accusations de meurtres rituels

L’une des premières œuvres de littérature anglaise, Les Contes de Canterbury de Geoffrey Chaucer, consacre un conte entier – le Conte de la Prieure – à l’histoire montée de toutes pièces d’un Juif qui tua un enfant chrétien innocent afin de recueillir son sang.

Dans la réalité, les Juifs anglais étaient fréquemment accusés de meurtres rituels, et souvent assassinés en conséquence. L’un des martyrs les plus célèbres d’Angleterre – St Hugues de Lincoln – est un jeune garçon chrétien dont l’entourage prétendit qu’il avait été tué par des Juifs en 1255. Dix-huit Juifs furent exécutés pour avoir refusé de confesser leur crime ; quant au véritable assassin, il ne fut jamais arrêté.

Un Juif secret à la cour de la reine Élizabeth

Le 18 juillet 1290, le roi Édouard Ier promulgua un édit bannissant les Juifs de l’ensemble de l’Angleterre. Des petits groupes de Juifs demeurèrent secrètement dans le pays, échappant ainsi à la mort et à la torture sous l’Inquisition qui agissait en Espagne et au Portugal.

Un jeune médecin – Rodrigo Lopez, un Juif secret du Portugal – s’éleva dans la hiérarchie sociale jusqu’à devenir le médecin personnel de la reine Élizabeth Ière. Bien que cultivant l’apparence d’un gentleman anglais – un cabinet médical réputé, une demeure dans un quartier londonien huppé, un fils scolarisé au prestigieux internat de Winchester – Lopez appartenait à un petit groupe de Juifs secrets qui continuèrent à pratiquer leur religion à Londres.

Malheureusement, Lopez se fit aussi un puissant ennemi : le comte d’Essex, qui était un patient du Dr Lopez et avait semble-t-il eu un différend avec ce dernier. Quand un complot contre un prétendant au trône portugais fut découvert à Londres, Essex accusa Lopez d’y avoir participé. Bientôt, Lopez fut accusé d’être un espion à la charge de l’Espagne, puis d’avoir empoisonné la reine Elizabeth. Bien qu’il clama son innocence, Lopez fut arrêté, torturé, et en 1594 il fut exécuté publiquement.

Certains affirment que Shakespeare aurait créé le personnage juif de Shylock dans la pièce de théâtre Le Marchand de Venise, écrite quelques années plus tard, en s’inspirant du Dr Lopez.

Rav Ménasseh ben Israël et le retour des Juifs en Angleterre

Ménasseh ben Israël fut un génie qui publia un ouvrage de défense de la Torah, fonda la première presse juive en Hollande, et se lia d’amitié et entretint une correspondance avec les plus grandes figures de l’époque, comme Rembrandt, la reine Christine de Suède et le philosophe politique Hugo Grotius.

Soucieux de fournir aux Juifs un refuge de l’antisémitisme qui faisait rage en Europe, Ménasseh ben Israël écrivit au Lord-protecteur d’Angleterre Oliver Cromwell en 1650, lui demandant de réadmettre les Juifs dans son pays.

Ce portrait de Ménasseh ben Israël réalisé par son ami Rembrandt nous donne un aperçu de ce remarquable personnage.

Après plusieurs années de requêtes, il obtint gain de cause. Cromwell autorisa l’installation de nombreux Juifs, en leur permettant de « se réunir dans leurs maisons de prière » et de disposer d’un cimetière. En 1656, quelques trente familles juives d’Espagne et du Portugal s’établirent à Londres, et y fondèrent une synagogue à Creechurch Lane.

Le successeur de Cromwell, le roi Charles II, continua à assouplir les lois entravant la vie juive. En 1698, il devint finalement légal de pratiquer le judaïsme en Angleterre.

Du Yiddish en Angleterre

Entre 1881 et 1914, plus de deux millions de Juifs fuirent l’antisémitisme et les pogroms en Europe de l’Est. La plupart voulurent s’installer en Amérique et beaucoup embarquèrent dans des navires appartenant aux Britanniques. Au cours des escales qu’ils firent en Angleterre en chemin vers les États-Unis, un certain nombre d’entre eux décidèrent d’y élire domicile. En 1914, on comptait près d’un quart de million de Juifs en Angleterre.

À la différence des premières vagues d’immigrants juifs qui étaient séfarades, ces nouveaux immigrants étaient issus de communautés ashkénazes. Les journaux et les théâtres en yiddish se multiplièrent.

Files d’attente devant le Théâtre Pavilion en 1895

Les Juifs anglais, pionniers de la grande distribution

Au 19ème siècle, deux hommes d’affaires juifs – Elias Moses et son fils Isaac – révolutionnèrent les modes d’achat en Angleterre (et bien au-delà) en inventant le concept de la grande distribution et des vêtements prêt-à-porter.

Après de modestes débuts dans un marché du quartier à forte population juive d’East End, les Moses établirent des magasins de prêt-à-porter à travers l’Angleterre, destinés au public grandissant des travailleurs salariés de l’époque victorienne qui étaient avides de vêtements élégants à prix raisonnables. Leurs boutiques somptueuses offraient aux membres de la classe ouvrière le service raffiné et l’environnement soigné jusque là réservés à la seule clientèle aisée.

Les Juifs anglais ont contribué à la création d’autres entreprises emblématiques du pays, comme la chaîne de supermarchés Tesco (fondée par Sir Jack Cohen), la chaîne de vêtements Marks & Spencer (fondée par Sir Michael Marks et Thomas Spencer) et la compagnie pétrolière Shell Oil (Marcus Bearsted).

Des Juifs au Parlement anglais

En 1847, le baron Lionel Nathan de Rothschild fut élu au Parlement – et réélu par la suite à quatre autres reprises – mais on l’empêcha d’occuper son siège à la Chambre des communes parce qu’il refusa de prêter serment sur une Bible chrétienne en affirmant « sa vraie foi de chrétien ».

D’autres Juifs avaient déjà siégé au Parlement comme Benjamin Disraeli (qui s’était converti au christianisme dans son enfance) qui deviendrait plus tard Premier ministre. En 1851, David Salomons fut élu au Parlement. (Salomons refusa lui aussi de prêter serment, mais il insista pour occuper tout de même son siège. Il fut renvoyé du Parlement trois jours plus tard et écopa d’une amende de 500 livres pour y avoir voté « illégalement ».)

Mais Rothschild fut le tout premier Juif à revendiquer son droit de prêter serment au Parlement selon ses propres conditions, et il se battit publiquement pour l’élargissement des droits des Juifs britanniques. Finalement, en 1858, après des pressions exercées par Disraeli – et après avoir été élu à cinq reprises – Rothschild fut enfin autorisé à occuper son siège, et ce, avec onze ans de retard. Rothschild fit son entrée dans la Chambre des communes, la tête couverte d’un haut-de-forme, et prêta serment en remplaçant la formule traditionnelle « So help me God » par « So help me YHVH ». (L’année suivante, David Salomons fut réélu et il prêta serment en répétant la formulation initiée par Rothschild.)

Un avenir en point d’interrogation

Selon une étude menée en 2011, 271 259 Juifs vivent en Grande-Bretagne. La grande majorité d’entre eux, soit 60 %, scolarisent leurs enfants dans des établissements juifs. 64 % des Juifs britanniques vivent dans les centres juifs principaux que sont Londres et Manchester, et 36 % résident dans des communautés plus petites à travers le pays.

Bien que la communauté juive de Grande-Bretagne prospère, certaines inquiétudes se posent quant à son avenir. Un sondage effectué en 2014 a révélé que quasiment deux tiers des Juifs britanniques, soit un peu plus que 63 %, remettent en question leur avenir au Royaume-Uni en raison de l’antisémitisme grandissant qui y sévit.

Depuis ce sondage, la situation n’a fait que se détériorer : ainsi un rapport de 2016 a souligné une augmentation régulière des actes antisémites depuis 2014. 2015 fut l’année noire de l’antisémitisme en Grande-Bretagne avec près de 1000 incidents signalés.

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