Monde Juif

(Presque) Étripé à Tripoli

14/11/2011 | par Michal Ish-Shalom|Eliezer Shulman

Le Dr. David Gerbi devait occuper un poste au nouveau parlement Libyen. Mais il voulait avant cela remettre en état la synagogue de ses ancêtres...

Le Dr. David Gerbi est un médecin psychologue né en Lybie, qui vit aujourd'hui en Italie. L’été dernier, il est allé fournir ses services aux rebelles libyens dans un de leurs camps. Mais leur reconaissance a été de courte durée. Quand il a voulu remettre en état une ancienne synagogue désaffectée, où depuis que Muammar Khadafi avait pris le contrôle du pays en 1969 aucun Juif n’avait mis les pieds , la foule essaya d’abord de le lyncher, puis il fut expulsé du pays. 

...il a aidé leurs chefs à mettre en place de nouvelles stratégies et à restaurer l’unité dans leurs rangs...

Le Dr. Gerbi est le directeur de l’Organisation Mondiale des Juifs de Libye. Il fut le premier Juif à prendre parti pour les rebelles libyens en allant enseigner les techniques de traitement post-traumatique à l’Hôpital Psychiatrique de Benghazi. Séjournant dans des abris durant tout l’été en compagnie des rebelles, il a aidé leurs chefs à mettre en place de nouvelles stratégies et à restaurer l’unité dans leurs rangs lorsque des conflits émergeaient. 

Après le départ de Khadafi, le Gouvernement intérimaire envisagea de lui donner un poste dans le nouveau parlement. Il aurait ainsi incarné la nouvelle position officielle de tolérance religieuse, dans un pays où elle avait disparu pendant les 40 ans de dictature. 

42 ans de dictature ont réussi à imprégner le peuple d’un antisémitisme virulent

La nouvelle Libye est à la recherche d’une nouvelle identité plus démocratique. Mais 42 ans de dictature ont réussi à imprégner le peuple d’un antisémitisme virulent, en propageant notamment le mythe que les Juifs avaient détourné les richesses du pays vers Israël – alors qu’en réalité Khadafi a expulsé les derniers Juifs qui étaient restés après les émeutes des années 60.  Khadafi avait alors confisque tous leurs biens, estimés à plus de 500 millions de Dollars, qu'il avait ajouté à sa fortune personnelle de plus de 200 milliards de Dollars accumulée sur le dos du pays. 

En attendant la formation du nouveau gouvernement, le Dr. Gerbi décida d’aller passer les Fêtes en Libye. Il se rendit à Tripoli pour Rosh HaShana en compagnie des rebelles. Il devait remettre des messages de la part de l’Organisation Mondiale des Juifs de Libye à Moustafa Abdul Jalil, chef de la Révolution et Président du Gouvenement Intérimaire. Jusque là, il était toujours traité comme un futur membre de leur Parlement.

Mais David Gerbi n’était pas du genre à gaspiller son temps dans la nouvelle Libye libérée. Il voulait être le premier Juif à retourner prier dans la vieille Synagogue en ruine de Dar Bishi à Tripoli, où ses ancêtres avaient compté parmi les fidèles. Ce geste simple de dévotion allait lui démontrer que l’héritage de Khadafi ne serait pas si simple à effacer. 

Haram Kabir – sacrilège !

Un regard à l’intérieur de la synagogue le gratifia d’une vision d’horreur. L’entrée avait été murée, et l’ancienne maison de prière qui avait connu la gloire avant l’expulsion des Juifs libyens était devenue un antre répugnant où des junkies avaient amoncelé leurs ordures, d’un bout à l’autre du sanctuaire. 

 « Ma première exclamtion quand j’ai pénétré à l’intérieur fut ‘Haram Kabir – sacrilège ! Je ne pouvais supporter que le nom divin ait été profané à ce point », déclara le Dr. Gerbi lorsqu’il arriva à Rome.

Le Dr. Gerbi mit alors à l’œuvre ses relations acquises lors des mois précédents, parmi elles quatres Sheikhs, pour remettre la synagogue en état. « J’ai contacté les membres de la police et de l’armée qui me connaissaient. Après tout ce temps passé ensemble, nous étions devenus amis. Il m’ont autorisé à nettoyer la synagogue et à prier là-bas. »

La seule manière de dégager les ordures amoncelées était d’abattre le mur qui bloquait l’entrée. « J’ai acheté le matériel pour une équipe de dix personnes – des balais, des marteaux, des outils de travail et des produits de nettoyage ». Pendant ce temps, une équipe de journalistes et de photographes observait le Dr. Gerbi qui abattait sa massue sur le mur. Il transpirait à grosses gouttes, le travail était difficile. A tel point qu’à un moment donné il fondit en larmes, se promettant de ne pas baisser les bras tant qu’il ne serait pas entré dans la synagogue et qu’il n’ait terminé sa mission.

C’était un lundi, le cinquième jour du mois de Tishrei. Le Dr. Gerbi s’était fixé de rendre la synagogue apte à abriter les offices de Yom Kippour, le samedi suivant. Il engagea six hommes supplémentaires qu'il paya 4000 Dinars. Il y amena son livre des Psaumes ainsi que l’écriteau traditionnel  : Shiviti Hashem LeNegdi Tamid.

David Gerbi contacta également le Sheikh Jamal, une des figures religieuses les plus importantes de la nouvelle Libye. Celui-ci donna son accord pour la restauration de la synagogue et s’engagea même à l’accompagner visiter la synagogue lorsqu’elle serait remise en état.

Pas de quartier !

Entretemps, le Sheikh est arrivé, affolé. Je priais, et lui était pris de panique.

La veille de Kippour, David Gerbi entra dans la synagogue pour y allumer trois lampes traditionnelles. Pendant qu’il priait en silence, « un groupe de libyens fit irruption et me dit que des hommes armés étaient en route pour me poignarder », raconte-t-il. « Je me tenais là en pleine prière, et je leur répondis que je ne partirais pas, que je voulais d’abord dire des Psaumes. Cela a contribué à me tranquiliser. Entretemps, le Sheikh est arrivé, affolé. Je priais, et lui était pris de panique. Il m’enjoignit de quitter les lieux, et dit qu’il voulait que tous les journalistes s’en aillent. Puis ce fut le chaos. » 

...il n’y a pas que mon honneur qui est en jeu ici, mais celui de tous les Juifs

«  Je lui ai répondu : encore quelques pages et j’aurai terminé, après je partirai tranquillement. Si Dieu veut que je meure dans la sainteté de la synagogue, je suis prêt, mais je ne veux pas profaner le Nom Divin. Je veux faire un Kiddoush Hashem ici ! . Entretemps, on me conseilla de sortir par la porte de derrière. Mais je leur ai répondu : Je vais sortir par la porte principale, avec respect comme il se doit, parce qu’il n’y a pas que mon honneur qui est en jeu ici, mais celui de tous les Juifs. C’est de cette manière que je vais montrer mon respect pour le Peuple Juif. Ceci est une synagogue, et je ne vais pas manquer de respect à la Nation Juive.  Le Sheikh a alors déclaré que je pouvais sortir par l’entrée principale. Je lui ai dit : ‘ Alors viens, sortons ensemble’, mais alors lui aussi a pris peur et s’est enfui par la porte de derrière. » 

David Gerbi était motivé par son désir de prouver qu’un changement avait pris place en Libye, que la révolution qu’il avait appuyée n’avait pas été vaine, et que l’ère de Khadafi était définitivement terminée, y compris pour les Juifs. David Gerbi a expliqué dans une interview accordée au correspondant de CNN après ces événements, que si la Libye entamait un processus de démocratisation, elle devrait reconnaître que les Juifs avaient vécu et s’étaient développés dans ce pays pendant 2300 ans, avant d’en être expulsés. Un fait que les Libyens qui ont grandi après l’éviction des Juifs ne pouvaient reconnaître.

« Au Maghreb, les Juifs ont toujours fui devant les Arabes » dit le Dr. Gerbi. C’est précisément ce qu’il veut changer. « J’ai voulu montrer que les Juifs n’ont maintenant plus peur. C’est pourquoi je me suis affiché avec ma kippa noire et mes franges de Tsitsit en pleine lumière. Les Psaumes m’ont aidé à prendre conscience de ma foi en Dieu en plein milieu du pogrom qui se tramait autour de moi. » 

La veille de Kippour, les manifestations anti-Gerbi ont atteint Benghazi

Quand David Gerbi est finalement sorti de la synagogue, le personnel de sécurité qui accompagnait les journalistes l’attendait. Il s’est alors écrié, en larmes: « Pourquoi faut-il que les Juifs soient haïs ? Est-ce un crime de prier dans une synagogue et de la nettoyer ? Je ne pouvais ni comprendre ni accepter ce qui venait de se passer » raconte-t-il avec amertume.

Entretemps, son cri de désespoir avait réveillé une vague d’antisémitisme latent. La veille de Kippour, les manifestations anti-Gerbi ont atteint Benghazi où se tint un immense rassemblement contre lui. Au même moment, des manifestations se sont formées à Tripoli Square et face au Corinthia Hotel où il était descendu. C’était la nuit de Kippour. Pendant cinq heures, des centaines de personnes criaient qu’elles voulaient que David Gerbi sorte ; elles voulaient le saisir et le tuer.

« Tant que j’aidais la révolution, le fait que je sois Juif ne leur posait pas de problème. Et maintenant ils voulaient que j’abandonne mon identité ? » dit-il, encore sous le choc. « Je ne voulais pas abandonner là. Je suis né en Libye et je suis Juif. Le Consul italien m’a appelé en me suppliant. ‘Viens, enfuis-toi. Des gens vont t’aider à te sauver.’ La direction de l’hôtel et des officiels sont également venus, mais j’ai refusé de bouger, parce que c’était Kippour, et je suis donc resté. Je me suis dit que si Dieu avait décidé que je sois massacré pendant les 10 Jours de Pénitence, alors qu’il en soit ainsi. Je ne cherchais pas à être un héros ou un martyr, je voulais uniquement ce qui nous revient, nos droits. » 

« Je savais que s’ils me touchaient, toute la communauté internationale le saurait »

David Gerbi affirme qu’il n’a pas risqué sa vie aveuglément sans réflexion. « Je savais que s’ils me touchaient, toute la communauté internationale le saurait. Les médias étaient présents. J’avais compris que je devais partir, mais je ne voulais pas m’enfuir. Comme lors de l’Exil d’Egypte, où les Juifs étaient sortis la tête haute, plutôt que de s’enfuir de nuit comme des voleurs. L’ambassadeur, les officiels, le personnel de l’hôtel, tous m’ont supplié de partir. ‘Vous aiderez la révolution en partant d’ici’ m’ont-ils dit. Ils craignaient pour la sécurité des clients et du personnel. En fin de compte, j’ai accepté qu’on m'évacue par avion la veille de Souccot. »

 

A partir de ce moment, le séjour du Dr. Gerbi se transforma de facto en garde-à –vue dans sa chambre d’hôtel. « La foule n’attendait qu’une chose, que je sorte pour pouvoir me tuer. Je ne faisais confiance à personne, et je suis donc resté dans ma chambre. Par sécurité, je changeais régulièrement de chambre, je ne répondais pas au téléphone, et je m’arrangeais toujours pour semer d’éventuels suiveurs. J’arrêtais par exemple l’ascenseur au mauvais étage, puis en prenais un autre, pour qu’on ne sache pas où je suis. Pendant ce séjour, la police m’a convoqué pour me signifier que j’avais forcé l’accès d’un site archéologique sans autorisation ! »

«Cette méthode de classer les synagogues comme sites archéologiques, c'est une méthode qu'employait Khadafi,» analyse le Dr. Gerbi. « Je leur ai dit: d'accord, vous pouvez m'interroger . Ils étaient furieux que j'aie accepté. Ils pensaient que j'allais les implorer pour sauver ma vie ! » 

Quand je leur ai dit que j’étais né en Libye, ils n’en revenaient pas.

J’étais abasourdi par toute cette haine. Khadafi avait réussi à les convaincre que les Juifs s’étaient enfuis de Libye en emportant toute la richesse du pays. Il ignoraient meme que des Juifs étaient nés en Libye, ils pensaienbt qu’ils étaient venus d’Israël prendre le contrôle du pays. Ils étaient aussi manipulés que cela. Ils m’ont demandé : ‘Est-ce que tu as un passeport israelien ?’ Je leur ai repondu : ‘Non, j’ai un passeport italien’, et ils ne m’ont pas cru. Quand je leur ai dit que j’étais né en Libye, ils n’en revenaient pas. 

Le long chemin du retour

David Gerbi n’a pas abandonné sa mission de sauvegarder le patrimoine juif libyen, qui date du troisième siècle avant notre ère. Il estime qu’avec la disparition de Kadhafi, cela pourrait à nouveau être possible.

le traumatisme de cette époque a été ce qui l’a réellement motivé à devenir psychologue.

Lorsque le colonel Kadhafi est arrivé au pouvoir en 1969, la communauté juive de Libye avait déjà été décimée par les pogroms menés par des musulmans rendus fous de rage par le conflit israélo-arabe. D'un maximum de près de 30.000 au cours des années 1930, seulement quelques centaines étaient restés, mais la politique de Kadhafi a entraîné l'élimination du reste de la communauté. Il confisqua les biens privés et communautaires des Juifs, ont leur retira leurs droits civils, et il fut interdit à ceux qui avaient pris refuge à l'étranger de revenir. Khadafi détruisit les cimetières juifs de Tripoli et de Benghazi et convertit les synagogues en mosquées. 

David Gerbi avait 12 ans quand sa famille s'est exilée à Tripoli. Il dit que le traumatisme de cette époque – qui le suivit jusqu’à l'âge adulte - a été ce qui l’a réellement motivé à devenir psychologue. 

"Soudain, après la guerre des Six Jours, les Arabes ont commencé à nous persécuter. Étant un enfant, je n’en comprenais pas la raison, et il m'a fallu des années pour surmonter les troubles de cette époque », se souvient le Dr Gerbi. "La Libye est proche de l'Egypte, et Nasser encourageait le massacre des Juifs. Ils se sont accaparés une partie de notre terrain, et ont construit un mur de séparation sur notre porche, que je ne pouvais plus passer.

«Toute la communauté a fui. Beaucoup sont allés en Israël, mais mes parents ont fui vers l'Italie. Mon père avait travaillé dans le commerce de l'or et des diamants, il a tout laissé derrière lui. Deux ans plus tard, quand Kadhafi est arrivé au pouvoir, il a confisqué tous les biens des juifs et leur a interdit de revenir Libye. »

 
Le Dr. Gerbi a visité plusieurs fois la Libye avant la révolution. En 2002, il réussit à sauver sa tante, le dernier individu Juif resté dans le domaine de Kadhafi. En 2007, il a été invité en Libye par Kadhafi lui-même, après avoir exprimé son intérêt pour visiter son pays natal et restaurer l'une des synagogues qui s'y trouve, mais il a été rapidement expulsé. Puis en 2009, il a rencontré Kadhafi. 
 

En 2009, le Dr Gerbi avait accepté une invitation à rencontrer Kadhafi à Rome pour parler de l'amélioration des relations entre le régime et la communauté juive en exil. Ces dernières années, Kadhafi s'était entretenu avec les Juifs libyens à intervalles irréguliers, préférant traiter avec ceux d'Italie plutôt que ceux qui s'étaient installés en Israël, qu’il fustigeait dans ses tirades grotesques. Il avait même une fois promis d'envisager de rendre les droits de propriété, mais rien de concret n’était sorti de ces pourparlers. 
«Je vois encore son visage me faisant face», a raconté le Dr. Gerbi à un journaliste du Jerusalem Post, de retour à Rome après la débâcle de la synagogue. "Il avait les yeux d'un bédouin, quelqu'un qui pourrait trouver de l'eau dans le désert, mais il ne pouvait pas se connecter avec notre réalité."

 
Dr Gerbi a encore de l'espoir en une Libye démocratique, mais affirme que le gouvernement intérimaire doit faire un choix - soit suivre les islamistes haineux, soit ouvrir une nouvelle page dans les relations avec les Juifs. 
«Il est facile de se débarrasser de la personne physique de Kadhafi», dit-il, "mais il est beaucoup plus difficile de se débarrasser du Kadhafi qu’on a en soi."

 
Rachel a Ginsberg contribué à ce reportage.

 
Cet article a paru dans le magazine Michpa'ha, le premier magazine hebdomadaire la famille juive.

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