Odyssées Spirituelles

Kippa ou pas ?

30/06/2013 | par Ross Hirschmann

J'ai récemment switché en mode "Kippa 24/24". Mais quoi, même en entretien d'embauche ?

Je dois vous faire une confession : je porte la kippa ! Et pas seulement pendant les offices à la synagogue. Tout le temps. Même dans la rue, devant tout le monde. Ça m'a pris récemment ; pendant les 36 premières années de ma vie, je m’étais contenté du mode "Kippa light". Enfin, quand j'allais prier à la syna, ce qui était rare…

Vous vous rendez véritablement compte que vous avez switché du mode "Kippa light" au mode "Kippa 24/24" quand vous percevez les réactions ébahies de votre entourage : famille, amis, collègues. On peut même dire qu'ils en sont abasourdis. Les réactions vont de : "C'est quoi ce truc sur ta tête ? Kippour n'est pas fini ?" à "C'est un fanatique" ou encore "Je suis sûr que c'est pour cacher sa calvitie naissante" (ça, c'est la version des copains de lycée qui ne m'ont pas vu depuis 15 ans…).

Mais je décerne la Palme d'Or à la subtile réaction de mon collègue dont le regard est passé machinalement de mon visage à ma kippa pendant une bonne cinquantaine de fois lors d'une discussion informelle de cinq petites minutes.

L'une des "épreuves" de référence lorsque vous venez de switcher en mode "Kippa 24/24" consiste à vous pointer au boulot pour la toute première fois en portant "la traditionnelle calotte hébraïque" pour reprendre les termes exacts d'un collègue, estomaqué comme tous les autres. Ou encore, toujours coiffé de votre "traditionnelle calotte hébraïque", à honorer un rendez-vous professionnel hors de votre boite, c'est-à-dire hors du groupe qui a assisté incrédule à votre lente transition du mode de vie laïc (ou apparemment…) au mode de vie religieux, et qui a posé toutes les questions possibles sur vos nouvelles pratiques en semblant même intéressé par les réponses ! Voilà donc cette petite Kippa qui me propulse au-delà de la zone de contrôle, dans une dimension jusque là inconnue.

To Kippah or not to Kippah? Telle était la question

Pour ma part, mon premier saut dans l'inconnu concernant le port de ma kippa s'est fait à la veille d'un entretien d'embauche. Et le dilemme a été d'autant plus difficile à résoudre que je voulais VRAIMENT décrocher le job ! En d'autres termes, cet entretien représentait beaucoup à mes yeux. Il fallait donc que je fasse un choix. Certes la loi juive n'oblige pas à porter la kippa si cela risque de mettre en péril notre situation professionnelle. J'avais donc une "issue de secours" pour déroger à mon mode "Kippa 24/24". Mais devais-je pour autant suivre cette solution de facilité ?

To Kippah or not to Kippah : telle était la question !

Lorsque je suis confronté à ce genre de graves questions morales, je consulte toujours mon épouse. Elle n'est pas seulement plus jolie et intelligente que moi, elle est aussi beaucoup plus sage. Comme à son habitude, elle a répondu de façon remarquablement clairvoyante : "Eh bien, dit-elle, si tu crains que ton éventuel nouveau boss n'aime pas les Juifs pratiquants ou les religieux en général, autant en avoir le cœur net dès l'entretien d'embauche, au lieu de le découvrir quand tu travailleras sous ses ordres".

Elle emporta ma décision. Je décidai de rester fidèle au mode "Kippa intégral", y compris pendant l'entretien d'embauche.

Tâtons le terrain !

J'arrivai au rendez-vous quelques minutes en avance, et me dirigeai vers les sanitaires pour vérifier ma tenue vestimentaire. J'avais sensiblement le même look que celui que j'arbore en général dans mes entretiens d'embauche, à ceci près que mon crâne arborait un bout de tissu circulaire. Ma kippa était d'une propreté irréprochable et de très bon goût (je ne porte JAMAIS une kippa de mauvais goût, de toute façon), mais elle était une déclaration à elle seule. Un véritable étendard. Et me voilà devant le miroir, me débattant dans mon dilemme intérieur, avec un petit diablotin imaginaire qui me soufflait "Tu peux encore l'enlever…"

Soudain je réalisai que le fait de ne pas porter ma kippa serait une affirmation encore plus radicale. Je me serais renié moi-même, tout simplement. J'aurai nié ce que je suis. Un Juif. Un Juif pratiquant. Et donc pour moi, le fait de me présenter sans kippa aurait témoigné que je ne suis pas entièrement engagé dans les valeurs qui constituent la base de toute ma vie. Alors j'y suis allé, avec le cœur léger et la kippa (de bon goût…) sur la tête.

L'homme qui m'accueillit me serra la main avec un grand sourire. Pas d’allers-retours fébriles entre ma kippa et mon visage, pas de mâchoire tombant à terre comme celle du loup ébahi dans les dessins animés de Tex Avery. Un simple "Bonjour !"

Tôt dans l'entretien, il me demande :

– Quels sont vos centres d'intérêt ?

Je lui demande de préciser sa question :

Dans le boulot ou dans la vie en général ?

— Dans la vie en général, me répond-il.

Je réfléchis pendant une fraction de seconde. Dois-je être complètement honnête ? Dois-je vraiment lui dire ce qui m'anime et me motive dans la vie ? Ou puis-je simplement lui donner une réponse bateau et adaptée à l'esprit d'entreprise capitaliste

J'optai pour la première solution. Après tout, que diable, il a déjà vu ma kippa ! Alors autant être honnête jusqu'au bout. Les dés sont jetés…

— Mes centres d'intérêt sont D.ieu, ma famille, mon entourage, et le travail. Dans cet ordre.

J'anticipai aussitôt sa probable réaction :

— Ce n'est probablement pas ce qu'un chef d’entreprise veut entendre ! Comprenez-moi bien. Je travaille dur et je prends mon travail très au sérieux. Mais c'est une question de priorités."

J'attendis sa réaction, et tentai de détecter un signe de surprise ou de désapprobation. Je n'en vis aucun. Mon interlocuteur se continua de sourire et poursuivit l'entretien.

"Quels sont vos centres d'intérêt dans la vie ?"

Le courant passa entre nous et le reste de l'entretien se déroula de façon optimale. Mais je ne pouvais pas m'empêcher de me demander ce qu'il avait pensé de ma réponse à cette fameuse question. Aussi lui rétorquai-je aussitôt, quant il m'a demandé à la fin de l'entretien si j'avais des questions à lui poser :

— Juste une : quels sont VOS centres d'intérêt dans la vie ?"

(Quand j'ai raconté ça plus tard à mes copains, ils étaient aussi choqués que si j'avais demandé à mon interlocuteur s'il portait des slips ou des caleçons !)

— Eh bien, me répondit-il en souriant. C'est drôle. Quand je vous ai entendu répondre à cette question, j'avais l'impression de m'entendre moi-même !"

J'ai décroché le job peu de temps après.

Assumer son identité, ça aide !

En fin de compte, j'ai pris conscience qu'aller à un entretien d'embauche coiffé d'une kippa était un comportement intègre, même s'il dérange les conventions sociales habituelles. Toutefois, cela n'en fait pas un acte de bravoure, ni de moi un héros. Les véritables héros, ce sont mes beaux-parents, qui ont survécu aux camps nazis, ou mon père qui a mené plus de 50 missions de combat pendant la Seconde Guerre Mondiale.

Pour autant, ce que j'ai fait était résolument audacieux. J'ai pris position pour une chose en laquelle je crois profondément. J'ai réalisé que si je me contentais d'être un Juif pratiquant seulement dans la sphère privée, il était possible que je ne le sois pas vraiment. Si l'on ne tranche jamais une position sur aucun sujet, alors cela signifie que l'on n'a peut-être pas d'avis. Qui sait, peut-être que le port résolu de ma kippa et ma déclaration transparente pendant l'entretien ont joué en ma faveur dans le partage des candidats et le fait que j'ai finalement décroché le poste.

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