La lumière du shofar
Laurelle a découvert sa véritable identité durant Roch Hachana après un long chemin parsemé d’embûches. Découvrons le récit de son parcours, si proche de nous…
Je suis née dans une famille traditionnaliste qui ne connaissait pas la hala’ha. Pure ignorance faite en partie d’indifférence, nous vivions notre judaïsme de façon décontractée, comme bon nombre de Juifs. Enfant, je me suis fait insulter par un camarade de classe qui m’a traitée de « sale Juive » mais je n’y ai pas prêté réellement attention. Chez nous, nous fêtions la nouvelle année en trempant la pomme dans le miel mais nous n’avions aucune idée de ce que pouvait signifier un Yom Tov ou une quelconque interdiction liée à la sainteté de ce jour. Nous ne changions pas notre programme et nous vivions Roch Hachana exactement comme les autres jours de l’année. D’ailleurs, nous ne savions pas non plus qu’il fallait « chômer » deux jours… Ni qu’il s’agissait d’un moment crucial où le monde et les hommes sont jugés un par un. Bizarrement, je ne me posais pas beaucoup de questions sur le judaïsme, trop préoccupée par ma vie sociale et estudiantine, par mes ambitions et mes projets professionnels.
Un héritage sans prix
Passionnée de lecture, je dévorais des romans, des pièces de théâtre et des ouvrages de poésie. Je m’identifiais aux personnages, tentant de mon mieux de leur ressembler. Ces lectures me donnaient également l’occasion de me poser certaines questions existentielles, sans trouver vraiment de réponse mais en vivant des vies exaltantes par procuration.
Au fond, je préférais ressembler à Sara imenou qu’à Madame Bovary.
Pourtant, au fond de moi, je souhaitais être une juive authentique et développer cette identité qui était un peu mystérieuse et lointaine. Un jour, je découvris les Pirké Avoth où il était question d’un héritage ancestral, au sein d’un peuple qui comptait Moïse, les prophètes, les rois d’Israël et les saints de toutes les époques. Je compris subitement que j’avais peut-être un choix crucial à faire, qui dépendait de mon pouvoir d’identification. Au fond, je préférais ressembler à Sara imenou, la femme d’Avraham, mère du peuple juif, qu’à Madame Bovary. Tout est question de conviction. Mais comment y parvenir, moi qui vivais dans un monde parfaitement laïque, rythmé de temps à autre par des manifestations communautaires et autres célébrations sans véritable signification ?
Le chemin fut long. Mais dans ma quête, il faut avouer que j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont inculqué la soif de l’absolu et la recherche de la grandeur.
À l’âge de dix-huit ans, ma grand-mère est décédée. J’ai vécu ce deuil comme un choc et comme l’entrée dans une réalité nouvelle. Nous avions assisté et tenté de soulager sa longue maladie, ce qui m’avait poussée à revoir le sens de la vie et de la souffrance. Lorsqu’elle est partie, j’ai commencé à réfléchir sur le concept de la mort et j’ai compris que ce n’était pas seulement le moment de quitter cette terre et notre corps. Il est vrai que c’est un moment solennel, où l’on va se retrouver un peu seul face à nous-mêmes. Mais je compris que c’est un moment finalement positif où l’on est capable de mieux comprendre ce qu’est vraiment l’existence et où tout doit apparaître de façon très claire. Cette clarté doit un peu éblouir, mais c’est certainement aussi une sorte de délectation.
L’énergie d’un nouveau départ
Je compris en accompagnant ma grand-mère vers le terme de sa vie terrestre, que notre monde matériel n’est pas en paix avec le monde spirituel et qu’il est difficile de concilier les deux dimensions de l’être humain, sa soif spirituelle et son attirance pour les jouissances immédiates. Je pressentis qu’une vie menée sans dimension spirituelle n’avait pas grand intérêt et qu’il existait une mort plus quotidienne et qui nous enterre bien plus profondément, dans une terre plus triste et plus noire. Cette mort s’appelle l’habitude, cette mort s’appelle le hasard, l’arbitraire, et elle s’exprime par le cynisme. Les auteurs postromantiques l’ont compris, ainsi que les existentialistes. Mes conclusions rejoignaient donc celles de grands auteurs et de célèbres philosophes.
Il n’y a jamais eu autant de consommation d’anxiolytiques et d’antidépresseurs
Le monde actuel n’a pas la force de réagir même s’il est conscient de ces dérives parce qu’il est victime de l’habitude. Il a voulu vivre le hasard et l’arbitraire pour être libre. Mais en faisant ce choix, il n’a pas seulement renoncé à son « olam haba », comme Don Juan au bord du gouffre, il a également renoncé à son « olam hazé ». Il n’y a jamais eu autant de consommation d’anxiolytiques et d’antidépresseurs (la France est le consommateur n°1 en Europe !) car les gens repoussent les occasions de faire le lien avec l’éternité, de suivre cette voix intérieure qui nous attire vers le Bien, vers la pureté et la conscience. Ils refusent l’altérité parce qu’ils n’ont pas la force de surmonter la pesanteur de petits sacrifices. Ils croient que c’est trop lourd à porter et se ferment les portes du bonheur. Allais-je suivre le troupeau ? Une veille de Roch Hachana, j’ai entendu dans un cours de Thora que D.ieu passait en revue les hommes comme les brebis d’un troupeau. Je ne sais pas pourquoi, mais cette image m’a bouleversée et je me suis imaginée comme un agneau passif que l’on mène à l’abattoir. Je n’ai pu supporter cette passivité et j’ai décidé de prendre un tournant dans ma vie.
Prendre le taureau par les cornes
Il fallait que mes pensées trouvent un terrain d’action et que je cesse de me laisser mener par les aléas de la vie. C’était le jour du jugement, je l’avais enfin compris, et il fallait faire preuve de dynamisme. Grâce à ce Roch Hachana, j’ai pris mon existence en main, le taureau par les cornes (restons dans la métaphore) et laissé mon âme guider mon corps, au son du chofar. Ce sont les sons de cette corne-là, semblables à des gémissements, qui éveillèrent en moi la fibre juive. Et depuis, chaque Roch Hachana, j’ai l’impression de recevoir un nouvel éclairage sur la vie durant la sonnerie à la synagogue. « Réveillez-vous cœurs endormis ! » s’exclamait un poète de la Renaissance. C’est ce que je tente de réaliser chaque année, en particulier à Roch Hachana. Je souhaite à tous une année de bonheur et de conscience afin de pouvoir lutter contre les forces d’inertie, si dangereuses pour notre épanouissement personnel !