Odyssées Spirituelles

La vie secrète de Gershon Burd

21/10/2013 | par Sara Yoheved Rigler

Il y a des gens que l’on pense connaître, mais dont on est loin de soupçonner la véritable grandeur. Gershon Burd en faisait partie…

Dans la vie, il y a des gens que l’on connaît, et des gens que l’on ne connaît pas. Et puis il y a des gens que l’on pense connaître, mais dont on est loin de soupçonner la véritable grandeur.

Pour les habitants de la Vieille Ville de Jérusalem, Gershon Burd appartient désormais à la troisième catégorie. Les hommes qu’il côtoyait dans la Yéchiva qu’il dirigeait pensaient bien le connaître. Batya, son épouse depuis 10 ans et la mère de ses 5 enfants, pensait tout savoir de lui.

Mais ce n’est que le jour où il périt noyé, le jour de son 40ème anniversaire, que tous découvrirent le vrai visage de cet homme d’exception.

Le deuxième jour des Chiva (la semaine de deuil), une femme que Batya connaissait se présenta à son domicile. Elle lui lança un drôle de regard avant de lui confier : « Je voudrais vous raconter quelque chose que vous ignorez, que personne au monde ne connaît, à part moi et votre mari. » Puis elle marqua une pause, comme si elle hésitait à révéler son secret : « Pendant neuf ans, j’ai représenté le fonds de Tsésaka (charité) de votre mari. »

Batya en fut abasourdie : « Mais quel fonds de Tsédaka ? » Et la femme d’enchaîner : « Votre mari venait me voir chaque mois avec de l'argent et une liste de noms. Je devais appeler ces gens pour qu’ils viennent chercher leur enveloppe. Jamais ils ne surent d’où provenait cet argent. »

Le propriétaire révéla à Batya que les ballons à l’hélium avaient été payés par Gershon.

Puis ce fut le tour de l’histoire des ballons à l’hélium. Dans la Vieille Ville, ce n’est un secret pour personne que chaque enfant, le jour de son anniversaire, peut venir chercher un ballon à l’hélium, offert gracieusement par un certain magasin du quartier. Pour la plupart de ces enfantsissus de familles nombreuses à faible revenu, ce ballon à l’hélium représente un véritable trésor. Le jour de leur Bar Mitzvah ou Bat Mitzvah, chaque enfant reçoit en cadeau deux ballons à l’hélium. Les enfants de la famille Burd, comme tous les autres enfants, profitaient eux aussi de cette merveilleuse aubaine.

Tout le monde pensait que les ballons étaient offerts par le propriétaire du magasin. Mais lorsque ce dernier vint présenter ses condoléances à Batya durant les Chiva, il en profita pour lui révéler que c’était Gershon qui réglait l’adition. A la fin de chaque mois, il venait discrètement dans le magasin pour s’acquitter du coût des ballons offerts durant le mois écoulé.

100 questions

Greg Burd naquit à Odessa en 1973. Trois ans plus tard, ses parents immigrèrent à Chicago. Fiers d’être juifs mais non-pratiquants, ils n’étaient pas à même de fournir une éducation juive à leur fils unique et ses deux sœurs. Greg fréquenta donc l’école publique, intégra l’équipe de football de son lycée, devint maître nageur et décrocha un diplôme de commerce dans une prestigieuse université américaine.

A 25 ans, alors qu’il travaillait dans l’agence d'assurance de son père, sa mère lui proposa de l’accompagner à un cours de Torah dispensé par Rav Daniel Deutsch. Greg fut tellement enchanté par cette conférence qu’il prit rendez-vous pour s’entretenir en privé au Rav Deutsch. Il lui apporta une liste de cent questions qu’il avait préparée.

Trois mois plus tard, il déclara à ses parents : « Je ne sais rien du Judaïsme, j’ai le niveau d’un enfant de l’école maternelle. » Il voyagea en Israël pour étudier à la Yéchiva d’Ohr Sameach puis rentra à Chicago dix mois plus tard, mais ne s’y attarda guère. « A présent, j’ai un niveau de CM1, confia-t-il à ses parents. Je dois en savoir plus. » Il retourna donc à Jérusalem. Chaque année, ses parents avaient droit au même refrain: « Je suis en sixième. Il faut que j’en sache plus, je suis en cinquième, il faut que j’en sache plus...»

À l'âge de 30 ans, Greg (devenu à présent Gershon) épousa Batya Fefer, 28 ans. Issue, elle aussi, d'une famille russe, Batya avait grandi à Toronto et était avocate. Elle travaillait dans la plus prestigieuse société de taxes et d’imposition de la ville quand elle décida que la vie avait certainement autre chose à offrir. Sa quête spirituelle l'emmena jusqu’au Népal, où elle escalada l’Annapurna, en Inde où elle rencontra le Dalaï Lama, et dans une douzaine d'autres pays.

De retour à Toronto, un ami lui parla d’un voyage gratuit organisé par Taglit (programme destiné à faire découvrir Israël) auquel elle pourrait s’inscrire pour se rendre en Israël. Batya pensa que ce serait un bon moyen de se rapprocher de l'Inde. Toutefois, une fois en Israël, elle se mit à étudier le Judaïsme à EYAHT, le Centre d’Etudes pour femmes d’Aish HaTorah. Elle devint pratiquante et épousa Gershon Burd en 2003. Ils s’installèrent dans la Vieille Ville.

Des ruses de Sioux

Gershon avait la réputation d’être un type sympa. Un de ses partenaires d’études se souvient que Gershon prenait toujours soin de s’assoir face à la porte d’entrée de la Yéchiva afin de pouvoir offrir son sourire à tous ceux qui entraient. Il était aimable et doux. En dix ans de mariage, Batya n’entendit qu’une seule fois son mari élever la voix, et c’était quand il eut l’impression que quelqu'un tentait de détourner des fonds de la Yéchiva. Mais le coté « chic type » de Gershon n’était qu’une façade qu’il utilisait pour cacher soigneusement sa véritable identité.

Il y a trois ans, Gershon vint trouver Rav Nissim Tagger, responsable de la Yéchiva Bircas HaTorah, où Gershon étudiait et faisait également office d’administrateur. Il demanda au Rav Tagger d'accepter comme élève un jeune homme nommé David, lequel, aux dires de Gershon, présentait un énorme potentiel. Rav Tagger avait déjà rencontré David, avec ses longues papillotes bouclées qui pendaient de part et d’autre de son visage et son look hippie très années 60. « Il ne correspond pas du tout au style de notre Yéchiva » avait-il déclaré alors Rav Tagger.

Mais Gershon ne se laissa guère rebuter par ce refus.

—Il a l’air d’un rigolo, mais il est loin de l’être, plaida Gershon.

— A-t-il de quoi régler les frais de scolarité ? demanda Rav Tagger.

— Non, répondit sans ambages Gershon. Il n’a pas un rond.

— Je n'ai plus de bourses disponibles, répondit alors Rav Tagger.

Le lendemain, Gershon revint voir Rav Tagger et lui dit : « Les parents de David sont d’accord pour payer la majorité des frais de scolarité et lui est prêt à faire des petits boulots pour compléter le reste. »

Rav Tagger décida, non sans une certaine appréhension, d’accorder à David une période d'essai de deux semaines.

Ce n'est qu'après la mort de Gershon que Rabbi Tagger apprit que c’était Gershon lui-même qui avait payé les frais de scolarité de David.

Trois ans plus tard, David devint un érudit accompli de la Yéchiva. Ce n'est qu'après la mort de Gershon que Rav Tagger apprit que les parents de David n'avaient pas déboursé un seul centime. C'était Gershon qui avait payé les frais de scolarité de David. « Il m'a menti sans vergogne » déclara Rabbi Tagger en refoulant ses larmes.

L'épouse américaine de l'un des étudiants de la Yéchiva n'avait pas vu ses parents depuis plusieurs années. Quand elle apprit que sa mère était malade, elle voulut rentrer en Amérique mais elle n'avait pas de quoi se payer un billet. En l’apprenant, Gershon lui dit qu’une société de carte de crédit offrait en ce moment une promotion exceptionnelle. Si elle prenait cette carte et payait seulement 50 $, elle recevrait suffisamment de points pour obtenir un billet aller-retour gratuit. Gershon lui montra la promotion sur son ordinateur et proposa d’effectuer lui-même la réservation, arguant que lui aussi recevrait des points du fait de son parrainage.

Folle de joie, la femme fournit tous les renseignements nécessaires à Gershon, obtint son billet et s'envola pour l'Amérique pour être aux cotés de sa mère. Elle ne sut jamais que Gershon avait inventé toute cette histoire de promotion, allant même jusqu’à concevoir le graphisme de l’annonce… Ce fut Gershon qui paya son billet.

Une autre fois, Gershon décida qu'il était temps pour une famille en difficulté d’emmener leurs enfants dans un parc d’attraction pour qu’ils puissent se défouler dans les trampolines géants et les châteaux gonflables. Mais la famille n'avait pas les moyens nécessaires de s’offrir une telle extravagance alors Gershon leur obtint un coupon pour une entrée gratuite. Ils ne se doutèrent jamais que Gershon avait payé leurs entrées au préalable et fabriqué lui-même ce coupon.

Batya ne peut s’empêcher de rire en racontant : 

«  Gershon était un cachottier de premier ordre. Je ne sais certaines choses que parce que je l’ai surpris sur en flagrant délit. »

Quand Gershon avait vent de problèmes chez certains couples, il organisait discrètement des séances de thérapie et ni le couple ni le thérapeute ne savaient qui payait réellement les honoraires.

Il y a neuf ans, Gershon eut une idée. Il créa le service « Prières au Mur Occidental », et nomma Batya comme responsable. Les gens du monde entier purent payer les services de quelqu’un pour se rendre au Kotel et prier en leurs noms durant 40 jours consécutifs. Des centaines de personnes virent leurs prières exaucées grâce à cette coutume millénaire. De plus, l'argent récolté permit le soutien financier de nombreuses familles d’érudits de la Torah dans la Vieille Ville.

Durant les Chiva, le Roch Yéchiva (directeur de la Yéchiva) révéla que Gershon se présenta une fois pour lui demander si la Loi Juive autorisait l’utilisation de « faux noms » à communiquer aux personnes chargées de prier au Kotel. Et pour cause, dernièrement, le nombre de demandes de prières par procuration avait diminué et Gershon s’inquiétait de l’impact financier sur les familles qui comptaient sur cette rentrée d’argent. Soucieux de préserver leur dignité, il cherchait donc à poursuivre le financement en donnant des noms fictifs pour lesquels prier.

Pourquoi Gershon était-il prêt à utiliser de tels subterfuges pour cacher ses actes de bienfaisance ? « Il était persuadé que si le donateur tire un quelconque profit de son Hessed (acte de bonté), cet acte s’en trouve diminué. Ainsi, si quelqu'un sait ce que vous faites, cela signifie que vous en tirez quelque chose, ne serait-ce que sa gratitude. La mitsva a beaucoup plus de force et un plus grand impact si vous n’en obtenez rien dans ce monde-ci pour laisser sa pleine récompense dans l’Autre Monde » confia Batya.

Le vrai mystère<

Le mystère dans tout cela est bien sûr : d’où provenait cet argent ? Les Burd étaient loin d’être riches. Ils ne possédaient même pas de voiture. Ils n'avaient hérité d’aucun bien et le salaire de Gershon comme administrateur de la Yéchiva était juste suffisant pour assurer les besoins de sa propre famille. Assise en face de Batya durant les Shiva, je ne pus m’empêcher de lui demander : « D’où Gershon avait-il cet argent ? »

« Je n'en ai aucune idée ! s’exclama-t-elle. Pendant des années, nous avons eu une fissure dans l'évier que nous n'avions pas les moyens de faire réparer. Je n'ai aucune idée d'où il a obtenu l'argent pour faire tout ce Hessed dont j’entends parler. Vraiment aucune idée. »

C’est Daniel Rostenne, le meilleur ami de Gershon et son partenaire d'étude, qui éclaira ce mystère. « Gershon ne dépensait quasiment rien pour lui-même » expliqua-t-il. « Il achetait ses chaussures d'occasion sur eBay. Des chaussures usagées ! Il achetait aussi ses costumes d’occasion sur EBay. Et il en était tout fier « Regarde moi ce costume, je l'ai eu pour 10 $, plus 10 $ de frais d’expédition ! Il s’est acheté son ordinateur portable, un MacBook Air d’occasion qui se vend neuf pour 1200 $, pour seulement quelques centaines de dollars. Il ne dépensait rien pour ​​ses besoins personnels ».

Gershon n’hésitait pas à lésiner sur son propre confort pour se montrer plusgénéreux envers les autres et satisfaire leurs besoins.

Le tapis rouge qui mène Gershon au monde futur est certainement bordé de ballons d’hélium, de faux bons de réduction, d’un fonds secret de charité anonyme.

Son ultime geste fut une escapade d’une nuit à l’hôtel Sheraton de Tel Aviv pour célébrer son 40ème  anniversaire en tête à tête avec Batya, séjour payé grâce à des points obtenus par une carte de crédit. Gershon adorait nager et allait à la plage dès qu’il le pouvait. Après avoir déposé leurs effets dans la chambre d’hôtel, le couple descendit à la plage. Il suffit à Batya de jeter un coup d'œil à l'eau trouble pour décider de rester assise sur le sable. Mais Gershon, excellent nageur et maître nageur certifié, plongea dans les vagues. Quelques minutes plus tard, une pierre ou un débris quelconque le frappa à la nuque. Il perdit connaissance et se retrouva sous l'eau pendant 15 minutes avant que Batya, qui tentait désespérément de le repérer, ne vit son corps flotter vers le rivage.

Quelques heures avant les funérailles, Batya confia à un des étudiants de la Yéchiva : « C’était prévu, tout cela fait partie d’un Plan, ce qui devait arriver arriva. Gershon sourit maintenant dans son monde à lui. Ça va être dur pour moi et les enfants. Mais Gershon, lui, est radieux. »

Le tapis rouge qui mène Gershon au monde futur est certainement bordé de ballons d’hélium, de faux bons de réduction, d’un fonds secret de charité, de paiements anonymes de frais de scolarité, de séances de conseils matrimoniaux discrètement organisées et de bien d'autres actes de bonté anonymes que nous ne découvrirons peut-être jamais.

La discrétion est une valeur sacrée du Judaïsme. A tel point que selonla tradition juive, le monde repose à chaque génération sur le mérite de 36 Justes cachés. Et si l’un d’entre eux était un ancien joueur de football de Chicago reconverti en agent secret au service de Dieu ?

Pour faire une donation au fonds de charité consacré à Batya et ses enfants, cliquez ici :

ww.bircas.org/donate

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