Société

L'artiste

25/01/2012 | par Judy Gruen

Un film muet qui nous apprend l'importance des mots

Lorsque Michael Medved, le critique de cinéma je respecte le plus, a récemment élu L'artiste comme le meilleur film de 2011, je me suis soudain découvert une nouvelle énergie qui m’a permis ce jour-là de terminer tout mon travail pour aller le voir. Michael Medved n’est pas le seul à vanter ce film muet en noir et blanc, situé à la fin des années 1920, juste avant l'avènement de ce "cinéma parlant" qui allait révolutionner l'industrie du cinéma. L'artiste a déjà remporté trois Golden Globe Awards, dont celui du meilleur film, celui du meilleur acteur pour Jean Déjardin, et celui de la meilleure musique originale. Jean Déjardin, qui joue le personnage principal de George Valentin dans le film, a également décroché un Prix du Meilleur Acteur au Festival de Cannes 2011, tandis que la Directors Guild of America a choisi le réalisateur Michel Hazanavicius (qui a également écrit le scénario) parmi ses cinq nominés. Les Oscars ne peuvent pas être loin derrière… 

La plupart d'entre nous ont oublié ce qu’est le silence.

J'étais déjà intriguée par le concept de ce film, et je me demandais si un film muet pourrait capter toute mon attention pendant une heure et demie. Soyons honnêtes: nous vivons une époque où nous ne savons plus ce qu’est le silence. Nous sommes en permanence bombardés par des médias qui nous jettent à la figure des choses que nous n'avons pas choisi de voir (grâce aux télés dans les supermarchés, les cafés et les stations de métro par exemple) et nous nous sommes habitués à un fond sonore constant que nous n’avons pas choisi d’écouter: l'incessant bourdonnement de nos téléphones, nos ordinateurs qui nous alertent à chaque message, etc. Pour moi, le prix du ticket était justifié ne serait-ce que pour regarder un film sans entendre un seul mot. 
 
Dès la première scène, j'ai été accrochée. L'artiste raconte l’histoire de George Valentin, une star du cinéma muet au sommet de sa carrière. Beau, charismatique, talentueux et adoré par des millions de fans, il est aussi pris dans les pièges de la célébrité. En égoïste incorrigible, George accapare tous les feux de la scène pour sa personne. Il préfère recueillir les applaudissements du public en compagnie de son chien plutôt qu'avec une autre actrice. Mais George va droit à la chute. Il rigole quand le patron du studio, cigare aux lèvres, lui annonce que l’avènement des films sonores est sur le point de changer l'industrie du cinéma et qu'il devra s'adapter – sans quoi il disparaitra. Comme d'autres qui ont refusé de croire ou de comprendre que la technologie allait changer leur carrière, George se montre incrédule et méprisant, et en rajoute en se lançant dans la production d'un nouveau film muet que lui-même finance. Le thème du refus de George à s'adapter au cinéma sonore est brillamment présenté lors de la scène d'ouverture du film, où nous le voyons debout au fond d'un cinéma bondé. Il regarde son personnage sur l'écran, et jubile à la vue des réactions enthousiastes de l'auditoire. Mais dans le film qu'il regarde, il joue un Américain torturé par ses ennemis qui veulent extraire de lui des informations. "Je ne parlerai pas, je ne dirai pas un mot!" dit-il, avant d’opérer une évasion héroïque de ses bourreaux. 
 
L'artiste est à bien des égards un hymne au cinéma, à son pouvoir de divertir et de captiver les foules, et à la passion des acteurs pour leur art. Mais le film traite également plusieurs thèmes intemporels, notamment la façon dont les gens font face aux revers de fortune, le pouvoir rédempteur de l'amitié et la possibilité de repartir à zéro. Au début du film, George a une "gentille rencontre " avec Peppy Miller (Bérénice Bejo), une femme jeune, lumineuse, belle, impatiente de devenir elle-même une star. Peppy a le béguin pour George, mais contrairement à George, elle a hâte d’adopter les changements qui se profilent à l’horizon. Les studios cherchent de nouveaux visages – des visages avec des voix – et Peppy arrive au bon moment, avec les talents qu’il faut. Au fil de l'histoire, nous voyons George passer brutalement de la richesse à la misère, et sombrer dans le désespoir, pendant que la bien-nommée Peppy profite de sa nouvelle célébrité. Mais elle essaie toujours de rester en bons termes avec George, œuvrant discrètement en coulisses pour l'aider à sortir de sa situation. Alors que George nous avait semblé au départ insensible et égoïste, il est maintenant impossible de ne pas compatir avec le «Monsieur tout le monde» qu’il porte en lui et qui se débat contre cette transition indésirable vers une nouvelle époque. Comme Peppy Miller, le public voudrait que George se rétablisse. 
 
Malgré l'absence de dialogue, il est facile de suivre l'histoire telle qu’elle se déroule dans chaque scène. Quelques textes occasionnels nous informent de ce que disent les personnages, mais nous comprenons facilement l'intrigue en regardant le jeu des acteurs. Leurs rapports, le langage corporel, les expressions faciales, les décors, et même le titre occasionnel d’un journal ou les panneaux du studio nous tiennent pleinement informés. La fabuleuse bande-son qui joue sans effort à travers les scènes - ludique pendant les moments comiques,  et dramatique, voire mélodramatique quand la scène l’exige - est un élément essentiel du film. 
 
En regardant L'artiste d’un point de vue juif, je n’ai pas pu m'empêcher d'être heureuse que la célébrité ne soit pas une valeur juive. Bien sûr, George aurait de toutes façons eu du mal à faire face aux changements de son métier, même s'il n'avait pas tant cru en lui-même. Mais ses revers de fortune étaient d'autant plus douloureux qu'il avait misé beaucoup sur sa célébrité. 

Regarder un film muet aussi passionnant m’a aussi rappelé la valeur des mots. Le judaïsme met l’accent sur le pouvoir de la parole, en nous demandant d’éviter coûte que coûte de répandre des rumeurs ou de faire des remarques douloureuses, et de soigneusement peser nos mots avant de parler. La valeur des mots se perd facilement dans une société où parler est si bon marché. Regarder un film muet m'a rappelé qu’elle est inestimable.  
 
Et si tout cela n’a pas suffit  à vous donner l’envie d’aller voir L'artiste, allez-y pour savourer le jeu de Uggie, le chien de George, qui mérite le Prix Canin du meilleur acteur pour sa performance tout au long du film. 
 
Parfois drôle, parfois dramatique et occasionnellement mélodramatique dans le style des films des années 20, L'artiste est divertissant et captivant, sans qu’on ait besoin d’ajouter un mot.

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