Société

Le Code Michel-Ange

17/01/2013 | par rabbin Benjamin Blech

Et si la Chapelle Sixtine abritait l’acte le plus subversif de l’histoire de l’art ?

Nichée au cœur du Vatican, la Chapelle Sixtine abrite le conclave où se tient l’élection de chaque nouveau pape. C’est sans aucun doute la chapelle la plus sainte du monde chrétien, et elle attire plus de quatre millions de visiteurs chaque année. Elle est surtout connue du grand public pour ses magnifiques fresques peintes par ce remarquable artiste de la Renaissance, Michel-Ange Buonarroti. Ce qui est beaucoup moins connu, en revanche, est le fait que ce bastion de la chrétienté pourrait abriter l’acte le plus subversif de l’histoire de l’art.  

Pratiquement aucun visiteur pénétrant dans la chapelle Sixtine ne réalise qu’il contemple des messages secrets glissés par Michel-Ange dans son chef-d’œuvre artistique. Ils seraient certainement surpris d’apprendre que dans la propre chapelle du pape, Michel-Ange usa de messages secrets pour promouvoir un changement révolutionnaire dans la relation du Christianisme au Judaïsme, et que ce code lui-même était enraciné dans la tradition juive.  

À l’âge de l’adolescence, Michel-Ange fut fasciné par le Midrach et la kabbale, il étudia avec des tuteurs privés mis à sa disposition par son mécène, Laurent de Médicis. Fort de ses connaissances du Judaïsme et de ses symboles mystiques, il incorpora ensuite, par le biais d’images peintes sur les murs de la chapelle, des messages dangereusement opposés aux enseignements de l’Église. De cette manière, il critiqua les dirigeants spirituels corrompus de l’époque, et condamna l’échec de l’Église à reconnaitre sa dette envers ses origines juives.  

Exprimée 500 ans avant la théologie plus libérale et contemporaine du Pape Jean-Paul II et du « Bon Pape », Jean XXIII, la découverte de son code secret et de ses vues hérétiques aurait pu coûter la vie à Michel-Ange.

Lorsque j’entendis pour la première fois ces arguments avancés par Roy Doliner, un guide et expert en sciences humaines qui conduit des visites guidées de la Chapelle Sixtine depuis près d’une décennie, je pensais qu’ils étaient trop invraisemblables pour être vrais. Après avoir pris connaissance de ses recherches appliquées (et exécuté de mon côté un véritable travail de détective), je suis alors devenu convaincu de leur légitimité. Nous avons finalement couché nos découvertes par écrit dans un ouvrage intitulé "The Sistine Secrets: Michelangelo's Forbidden Messages in the Heart of the Vatican," qui est sorti il y a peu de temps. À notre grande satisfaction, ce livre est déjà en train de changer la manière dont les spécialistes interprètent l’œuvre de Michel-Ange, déclenchant un débat vif, parfois même houleux.  

« De même que l’œuvre de Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine a changé pour toujours le monde de l’art, ce livre va aussi modifier pour toujours notre manière de considérer et par-dessus tout, de comprendre l’œuvre de Michel-Ange, » affirme Enrico Bruschini, historien officiel de l’art pour l’ambassade américaine à Rome et expert renommé de l’art de Rome et du Vatican.

Véritable homme de la Renaissance, Michel-Ange était versé aussi bien dans la philosophie que l’art, la théologie chrétienne que le mysticisme juif. Néanmoins, ceux qui ont étudié son œuvre dans le passé n’étaient pas familiarisés avec le vaste corpus de connaissances qui le forgèrent en tant qu’artiste. La plupart des experts de la Chapelle Sixtine n’étant pas versés en Judaïsme ni en kabbale ; il leur était impossible de saisir totalement  les allusions de l’artiste. En combinant l’érudition de nos domaines respectifs, Roy, le guide et moi, le rabbin orthodoxe, nous avons réussi à percer les secrets enfouis depuis longtemps dans les fresques de Michel-Ange.   

D’emblée, Michel-Ange caressait des projets bien différents de ceux de son employeur. En 1508, nous savons que le Pape Jules II ordonna à Michel-Ange de replâtrer et de peindre le plafond en ruines de la Chapelle Sixtine, un travail avilissant à cette époque pour tout grand artiste, et en particulier pour Michel-Ange, qui détestait peindre et ne vivait que pour la sculpture. Le pape lui fournit une esquisse rapide, un agencement très standard et banal de Jésus et Marie des deux côtés du plafond, entourés des Apôtres ainsi qu’un tracé banal de formes géométriques au centre. L’artiste opposa un refus, et lutta contre le pape, qui, malade et soucieux, le laissa finalement développer son propre projet.   

Imaginez la surprise du pape et des spectateurs lorsque le projet fini fut dévoilé quatre ans et demi plus tard : quatre-vingt-quinze pour cent de la Chapelle avait été orné de héros et d’héroïnes de la Bible juive. Le reste était rempli de sibylles païennes et de garçons nus. 

Dans les 3000 m2 de la plus grande fresque du monde, pas une seule figure chrétienne ne figurait. Le seul clin d’œil aux Évangiles - et l’une des manières qui permirent à Michel-Ange de sauver à la fois sa vie et sa peinture - fut une série à peine visible de noms d’ancêtres juifs de Jésus qui n’apparaissent même pas dans l’ordre chronologique. Pourquoi Michel-Ange a-t-il désobéi au pape de cette manière ?

Michel-Ange avait des projets tenus secrets : rappeler à l’Église que ses racines puisent dans la Torah donnée au peuple juif.

Michel-Ange avait des intentions secrètes : rappeler à l’Église que ses racines puisent dans la Torah donnée au peuple juif. Cette idée, qu’il dissémina en tout au long de son œuvre, ne fait que commencer à attirer l’attention des milieux savants contemporains. Elle fait également les gros titres des médias populaires. La manchette du magazine Times du 25 mars 2012 « Dix idées qui changent le monde » a défini ce que les experts qualifient maintenant de « rejudaïsation de Jésus », comme l’idée la plus influente dans le domaine de la religion. 

Les fresques de Michel-Ange mettent en relief l’universalité de D.ieu et la parenté de toute l’humanité en commençant la narration illustrée par l’histoire de la Création, la Genèse, et non par la naissance de Jésus. À une église qui prêchait l’exclusion et accordait l’amour divin à un nombre limité de ses enfants, Michel-Ange opposait la tolérance de toutes les croyances, même les Juifs méprisés de son époque.   

Une fresque illustrant cette idée est le portrait d’Aminadab , le père de Na’hchon, qui apparaît au-dessus de la zone surélevée où le pape siégeait sur son trône. Les érudits juifs savent que le nom hébraïque d’Aminadab signifie « de mon peuple, un prince. » Mais l’Église interprète un « prince des Juifs » comme une référence directe à Jésus. Michel-Ange plaça Aminadab, « Prince des Juifs », en tant que substitut de Jésus même. 

C’est l’une des figures extrêmement rares peintes par Michel-Ange assise parfaitement droite, regardant vers l’avant, le signe d’une distinction pour l’artiste. En outre, un cercle jaune vif, un bout de tissu cousu sur le vêtement apparaît sur la partie supérieure du bras gauche d’Aminadab. (Ce détail ne fut révélé au public moderne qu’après la restauration des fresques en 2001.) Cette pièce présente l’écusson humiliant que les Juifs d’Europe furent contraints de porter suite au Quatrième Concile de Latran en 1215 et pendant l’Inquisition au quinzième siècle. Ici, directement au-dessus de la tête du pape, le pasteur du Christ, Michel-Ange rappelait à l’Église que Jésus était juif. Il condamnait celle-ci pour son traitement scandaleux des Juifs, dont Jésus était issu.

C’était une position courageuse. Ses messages voilés furent peints à une époque où le Talmud et d’autres textes juifs sacrés étaient brûlés dans toute l’Europe, l’Inquisition fonctionnait à plein régime et le peuple juif venait d’être expulsé d’Espagne en 1492. Michel-Ange eut le courage de mettre au défi la cour papale, en demandant par l’intermédiaire des symboles de sa peinture : « Est-ce la manière dont vous traitez la famille même de notre Seigneur ? » 

Le mépris de Michel-Ange pour le traitement par l’Église des Juifs alla plus loin, jusqu’à insulter le pape lui-même par l’intermédiaire d’un geste presque imperceptible d’Aminadab. Presque caché dans l’ombre, ce substitut de Jésus fait subtilement les « cornes du démon » avec ses doigts, qui pointent vers le bas en direction de l’emplacement exact du baldaquin richement brodé et cérémonial du pape Jules II, au-dessus du trône papal. 

D’une manière assez similaire, dans une autre fresque placée au-dessus du portail de la chapelle originelle par lequel le pape Jules entrait, Michel-Ange dépeint le prophète Zacharie avec le propre visage du pape. On peut apercevoir au-dessus de son épaule un petit ange effectuant avec ses doigts un geste obscène.

Dans le symbolisme des fresques de la Chapelle Sixtine, au lieu de la honte et de la persécution, la tolérance et la reconnaissance de la faveur divine sont les qualités préconisées par Michel-Ange pour le traitement par l’Église des Juifs. Nous possédons une indication encore plus nette du philosémitisme de Michel-Ange dans son œuvre plus tardive « Le Jugement dernier. »

On y voit un ange aux cheveux d’or vêtu d’une robe rouge posé directement sur la tête de Jésus et qui pointe en direction de deux hommes appartenant à un groupe, « Les âmes vertueuses », une série de figures qui représentent ceux qui ont le privilège de passer l’éternité dans un état de félicité avec Jésus, comme récompense pour leurs actes sur terre. Michel-Ange dépeint ces deux hommes comme Juifs, un acte potentiellement blasphématoire. L’un est revêtu de la cape à deux pointes que l’Église contraignit les hommes juifs à porter pour renforcer le préjudice médiéval selon lequel les Juifs, ayant été engendrés par le Diable, avaient des cornes. Cette figure peinte s’adresse à l’autre Juif plus âgé qui lève un doigt vers le haut, indiquant l’Unicité de D.ieu. L’autre figure porte une cape jaune, symbole d’humiliation; au cours du treizième siècle, l’Église ordonna aux hommes juifs en Italie de porter de telles capes en public. Devant ces deux figures se trouve une femme dont la chevelure est décemment couverte, et qui murmure quelque chose à l’oreille d’un jeune homme placé devant elle. Ce dernier ressemble au jeune tuteur de Michel-Ange, Pico della Mirandola, qui possédait à l’époque la plus grande bibliothèque de kabbale dans le monde, et qui enseigna au jeune artiste les secrets du mysticisme juif et instilla en lui un respect inconditionnel pour le peuple juif.   

En accordant aux Juifs une place avec Jésus, Michel-Ange, artiste du seizième siècle prit une position alors blasphématoire sur un sujet qui provoque encore des débats houleux parmi les chrétiens du 21e siècle. Sa description de ceux qui reçurent la faveur divine enfreignait clairement la doctrine officielle de l’Église, qui soutenait que les Juifs ne pouvaient jamais espérer obtenir une récompense céleste.  

Michel-Ange définit le génie comme une « patience éternelle. » Cette année, le 500è anniversaire du début des travaux de Michel-Ange sur le plafond de la Sixtine, nous avons enfin « déchiffré » son « code », et ses idées, habilement dissimulées dans son travail, peuvent enfin être mises à jour.

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