Monde Juif

Le scandale des banques suisses

14/05/2014 | par Laly Derai

70 ans après la fin de la Shoah, certaines banques suisses refusent encore de restituer aux descendants de victimes des nazis d’importants dépôts d’argent et de bijoux qui sommeillent dans leurs coffres-forts.

Délicatement, Moché Katz sort un petit carnet vert d’une pochette en plastique. Ses pages sont usées par le temps, le papier est si fin qu’on craint qu’il ne se désintègre au moindre contact. On peut pourtant lire très clairement ce qui est écrit, en roumain. 200 gr de farine, 30 gr de sucre, 500 gr de fromage… Le carnet de recettes de Paulina Grünfeld, la mère de Moché Katz. 34 pages. Une reliure verte. Tout ce qu’il y a de plus commun. Mais rien n’est moins commun que ce carnet de recettes. Car dissimulés entre les ingrédients et les notes se cachent les numéros des comptes en banque suisses et des coffres où Paulina a caché l’argent familial, voici maintenant 76 ans. Peu avant que l’obscurité nazie ne jette son ombre sur l’Europe.

Un Picasso dans un coffre-fort

L’histoire commence en 1938. Le 28 novembre plus précisément. Paulina et sa sœur, Toni, ainsi que trois cousins, arrivent à Zurich. Ils appartiennent à une famille aisée, qui possède des affaires dans plusieurs pays d’Europe ainsi qu’une banque de prêts à Fokschan, à l’est de la Roumanie, où ils vivent. S’ils ont fait ce voyage, c’est parce qu’ils ont compris que les années à venir ne leur réservent rien de bon et qu’il est nécessaire de mettre à l’abri leurs biens. La réputation des banques suisses, dont les clients sont protégés par le secret bancaire pratiqué depuis la fin du 19e siècle ainsi que la neutralité helvète dans le conflit, pousse la famille Grünfeld à confier à deux établissements banquiers, l’UBS (United Bank of Switzerland) et le Crédit Suisse, la somme d’un million et demi de dollars, ainsi que des bijoux et œuvres d’art, dont un Monet et un Picasso. À l’UBS, Paulina confie un million de dollars. Au Crédit suisse, elle laisse 450 000 $, les bijoux et les tableaux.

C’est l’employé de l’UBS qui leur propose de choisir deux numéros de compte dans une fourchette de numéros et Paulina et ses cousins choisissent le 20100 et le 20500. Ils quittent ensuite Zurich pour retourner à Fokschan rejoindre leur famille.

La Seconde Guerre mondiale n’épargne bien évidemment pas la Roumanie, où le pouvoir en place organise des pogroms et des massacres et adopte une série de lois antisémites allant bien au-delà des attentes nazies. La famille Grünfeld passe les années de guerre cachée à Fokschan et parvient à survivre, grâce aux pots-de-vin qu’elle distribue en échange de sa liberté. Lorsqu’en 1945, les Soviétiques conquièrent la Roumanie, c’est un régime communiste totalitaire qui s’y installe et confisque à bout de bras les biens des citoyens de la République populaire roumaine, qui sont nationalisés.

C’est là qu’entre en scène le carnet de recettes. Pas question en effet pour Paulina de déclarer que sa famille possède des comptes et un coffre-fort dans une banque suisse. Elle risque la mainmise, ou pire, la mort. Soucieuse de protéger les numéros de compte, elle crée donc tout un système de combinaisons et de codes à l’intérieur duquel elle cache des informations.

Quarante ans sans réponse

En 1948, trois ans après la fin de la guerre, Paulina retourne à Zurich et demande à retirer son argent. Et là, elle subit ce que des milliers de Juifs subiront après-guerre : on lui signifie qu’on ne la connaît pas, qu’elle doit d’abord prouver que cet argent lui appartient et on se débarrasse d’elle manu militari. Paulina, qui est venue à Zurich munie des numéros de compte et d’une pièce d’identité, est abasourdie.

Deux ans plus tard, elle monte en Israël où elle se marie et tente de mener son combat depuis sa nouvelle patrie. Elle envoie des lettres aux banques suisses par le biais d’avocats, mais essuie échec après échec. Les banques ne répondent même pas.

Paulina ne dit quasiment rien de son secret à son fils, Moché, né en 1955. « Ma mère n’a évoqué cette histoire de comptes bancaires suisses qu’à trois occasions : la première, lorsque j’étais enfant, lorsque je l’ai entendu une fois pleurer aux oreilles de mon père sur cet argent perdu à jamais. La seconde fois, c’était quelque temps après que je me sois marié, vers 1975. Elle m’a raconté l’histoire familiale, sans me parler du carnet ni de ce qu’il renfermait et surtout en me demandant de ne rien faire pour essayer de régler cette histoire. La troisième fois, ce fut quatre mois avant sa mort, en 1984, le jour où elle me confia la clé pour décoder les secrets du carnet de recettes », confie Moché Katz à Hamodia.

Ce jour-là, Paulina dicte, ligne après ligne, la clé de décodage du carnet : page 19, ligne 12, est écrit Zukar (sucre) qui, une fois décodé, devient Zurich. Ligne 10, Albush (blanc d’œuf en roumain) devient UBS (la banque suisse)… Idem pour le numéro de compte, caché entre les grammes de sel et les kilos de farine. Idem pour l’emplacement exact du coffre-fort : Paulina a écrit non seulement son numéro, 682, mais aussi la ligne et la colonne où il se trouve, dans le coffre-fort central du Crédit suisse !

Des documents volatilisés

Quelques mois après, Paulina décède et Moché se trouve en possession d’un secret familial qui, finalement, ne lui sert pas à grand-chose puisque les banques suisses continuent d’ignorer systématiquement les demandes des Juifs ayant possédé des comptes avant et pendant la guerre. Les avocats de la famille confirment à Moché et à son père que les banques ne répondent à aucune de leurs lettres, et ce, depuis les années 50, date à laquelle Paulina leur a confié l’affaire. Ils leur conseillent toutefois de ne pas baisser les bras et émettent l’espoir que le million de dollars déposé en 1938 leur soit rendu, avec intérêts.

Malheureusement, les années passent et les banques suisses perpétuent leur politique.

Dans les années 90, la procédure intentée contre les banques suisses aux États-Unis commence à porter ses fruits et le CRT (Claims Resolution Tribunal), l’organisme chargé de retrouver les propriétaires des comptes dormants, publie une liste de noms, parmi lesquels Moché Katz retrouve un Grünfeld. En 2005, il dépose donc une demande en bonne et due forme au CRT, qui refuse d’y répondre, arguant que les documents qu’il a présentés ne sont pas suffisants pour retrouver les comptes de sa mère. Le recours qu’il dépose est rejeté également. Mais l’une des raisons évoquées par le juge Edward Korman, du district Est de New York, pour expliquer l’absence de documents côté suisse, éveille la curiosité de Me Roland Roth, un avocat de Jérusalem originaire de France, spécialiste en droit international et expert dans ce dossier : si les comptes n’ont pas été retrouvés, c’est entre autres parce que les banques ont pris soin de détruire de très nombreux documents concernant les comptes des Juifs persécutés par les nazis. En outre, les banques refusent catégoriquement que l’on procède à une vérification indépendante.

Se battre seul…

Calculée selon le barème américain, qui double la somme tous les sept ans, la somme qui revient à la famille Katz de la part d’UBS à dater d’aujourd’hui dépasse les 200 millions de dollars. « Je ne parle ici que d’UBS et pas du Crédit suisse, ni des objets de valeur », souligne Me Roth qui devient l’avocat de Katz. Et d’ajouter : « Cette affaire dépasse les considérations personnelles de Moché Katz. Elle concerne tout le peuple juif qui a été spolié et à qui on a retiré toute possibilité de récupérer ce qui lui est dû. En marge de Moché Katz, je représente une deuxième famille, qui a elle aussi déposé des sommes extrêmement conséquentes dans des comptes en suisse avant la guerre et s’est vu opposer une fin de non-recevoir lorsqu’elle est venue récupérer ses biens. Si moi-même je connais deux familles dans ce cas, je peux vous certifier qu’il en existe encore plusieurs dizaines dans le monde. La somme de 1,25 milliard de dollars peut sembler énorme, mais à mon humble avis, elle aurait dû être multipliée au minimum par cinq pour coller à la réalité ».

Moché Katz, pour sa part, ne baisse pas les bras. Si le recours collectif n’a rien donné, il assignera seul les banques suisses, toujours aux États-Unis. « Nous avons essayé durant des décennies de négocier avec les banques et le gouvernement suisses, nous leur avons présenté des documents et des témoignages répondant aux standards les plus stricts, mais ils nous ont menti et nous ont escroqués. Ils veulent que nous mourions pour ne pas avoir à payer. Mais même si je ne parviens pas, de mon vivant, à obtenir ce qui nous est dû, la relève est déjà assurée ».

Reproduit avec l’aimable autorisation du Hamodia – Édition française.

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