L'Égypte et les Frères Musulmans
Au nom de la démocratie, certains acteurs devraient être écartés du jeu politique.
Les sociétés libres et démocratiques aiment prendre des risques. Elles garantissent la liberté d'expression et celle de la presse, malgré le risque que des idées nuisibles, folles, ou dépravées puissent être promues. Elles requièrent une procédure régulière de la loi avant qu'un délinquant puisse être puni, même cela permet à certains coupables de s’échapper par la suite. Elles donnent aux citoyens le pouvoir d'élire leurs dirigeants, malgré les troubles que génèrent les campagnes électorales. Et elles donnent la possibilité aux électeurs de choisir des fonctionnaires corrompus ou incompétents.
Mais il y a des limites. «Liberté et justice pour tous» n’est pas synonyme de laisser-faire envers ceux qui cherchent à en finir avec la liberté et la justice.
Il est important de se prémunir contre les cancers antidémocratiques qui s'accrochent aux libertés politiques dans le but de les détruire
Même en Amérique, où les institutions démocratiques sont anciennes et solidement ancrées, il est important de se prémunir contre les cancers antidémocratiques qui s'accrochent aux libertés politiques dans le but de les détruire. Et combien plus encore en Égypte, où une république démocratique a encore peine à naître !
C'est pourquoi la question des Frères Musulmans, le groupe d’opposition le plus important du pays, est si cruciale.
Les Frères Musulmans sont la plus influente organisation du monde islamiste. Et l'islamisme, en tant qu’idéologie radicale qui cherche la soumission de toutes les personnes à la loi islamique, est peut-être la force antidémocratique la plus virulente dans le monde d'aujourd'hui. Selon la formule de Daniel Pipes, «il s'agit d'une version à saveur islamique du totalitarisme. » Comme d'autres agents totalitaires, les islamistes méprisent le pluralisme démocratique et la liberté par principe. Mais ils sont tout à fait prêts à utiliser des élections et des campagnes comme tactique ou tremplin vers le pouvoir.
Comme avec Adolf Hitler en 1933 ou avec les communistes de Tchécoslovaquie en 1946, les islamistes peuvent se présenter aux élections comme démocrates, mais une fois le pouvoir acquis, ils n’y renonceront pas. Quelques mois à peine après que le Hamas, une soi-disant «branche » des Frères musulmans, ait remporté une majorité de sièges dans les élections palestiniennes de 2006, ils ont violemment pris le contrôle de la bande de Gaza. Plus de 30 ans après que l'ayatollah Khomeiny ait prit le pouvoir en Iran, qui était alors une démocratie représentative prometteuse, la dictature islamiste qu’il y a établie maintient encore son emprise.
En Turquie, où les normes démocratiques laïques sont depuis longtemps appliquée par l'armée, le Parti islamiste Justice et Développement, ou AKP, a remporté les élections de 2002 sur une plate-forme de conservatisme démocratique modéré. Depuis lors cependant, l'AKP a rejeté sa coloration modérée. « Le parti est devenu autoritaire envers l'opposition », écrit Soner Cagaptay, qui dirige le Programme de recherche turque à l'Institut de Washington pour la Politique au Proche-Orient. «Les manifestants anti-gouvernementaux se font tabasser par les forces de sécurité, les figures de l'opposition sont sur écoute, et les journaux indépendants sont frappés par des amendes fiscales punitives .... L'AKP a littéralement castré l'armée. Pas seulement les officiers de haut rang, mais aussi les détracteurs du gouvernement parmi les universitaires, qui sont pris d'assaut, et se retrouvent fréquemment emprisonnés. »
Si l'Égypte veut avoir le moindre espoir d'une transition vers une véritable démocratie constitutionnelle, les Frères Musulmans ne doivent pas être traités comme un partenaire démocratique légitime. Pendant plus de 80 ans, ils ont été un fervent défenseur des lois musulmanes, et non des lois séculières, du pouvoir du clergé, et non du peuple. Son credo pourrait difficilement être plus explicite, ou plus anti-démocratique: «Allah est notre objectif, le Prophète est notre chef. Le Coran est notre loi. Le Jihad est notre voie. Mourir dans la voie d'Allah est notre plus grand espoir....."
En 2008, le leader suprême des Frères musulmans a appelé publiquement à l’éducation des jeunes en "moudjahiddines" , en guerriers saints «qui aiment mourir autant que les autres aiment vivre et qui accomplissent ainsi leur devoir envers Dieu, envers eux-mêmes et envers la patrie. » Récemment, un personnage important de la Fraternité, Kamal al-Halbavi, a déclaré que son souhait était de voir en Égypte «un bon gouvernement comme le gouvernement iranien, et un bon président comme M. Ahmadinejad, qui est très courageux. »
La démocratie est souple, mais même dans le meilleur des cas, elle est incompatible avec le totalitarisme religieux. Ce que la Fraternité musulmane recherche est l'antithèse même du pluralisme démocratique et d’une société civile libre. Nos amis égyptiens ne doivent pas hésiter à le dire, clairement et avec insistance.
Cet article a paru dans le Boston Globe.