Monde Juif

Lettre ouverte à mes frères et sœurs en France

11/01/2015 | par Sara Yoheved Rigler

Il n'y a plus d'avenir pour vous en France. J’en appelle à vous, rentrez à la maison, en Israël.

À l’attention de mes frères et sœurs en France,

Mon cœur saigne en découvrant l’épouvantable attaque dans un supermarché juif de Paris ; la tragédie des victimes, l’état critique des blessés, la panique des otages. Je me rappelle avec beaucoup de tendresse comment vous, la communauté juive parisienne, m’avez accueillie il y a trois ans lors d’une conférence. Vos sourires chaleureux et votre accueil enthousiaste m’ont fait sentir que nous faisons effectivement tous partie d’une seule et même famille, le peuple juif.

Cette visite semble remonter à une éternité. Nous étions « avant Toulouse », où le rav Sandler et ses deux jeunes enfants, ainsi que la petite Myriam Monsonégo de 8 ans, fut assassiné devant une école juive. Nous étions « avant la quenelle », ce salut antisémite qui déferla sur la France. Nous étions « avant l’attaque de la Synagogue de la Roquette », quand des milliers d’émeutiers portant le kefiyeh, et armés de haches, couteaux et barres de fer, piégèrent 200 fidèles juifs dans la peur pendant plus de deux heures. Nous étions avant l’époque où les hommes juifs devaient enlever leurs kippot dans les rues des villes française par crainte d’être attaqués, et où les filles juives vivaient dans la peur d’être aspergées de gaz lacrymogène, ou pire.

Aujourd’hui, au regard de l’indicible douleur qui est la vôtre – et la mienne – je suis hantée par une histoire que m’a raconté une amie de famille de Los Angeles. Ses quatre grands-parents étaient des Juifs aisés et assimilés, qui appartenaient à la haute société des Juifs allemands avant la Deuxième guerre mondiale. Et pourtant ces deux familles connurent des sorts très différents.

La famille de son père, les Adler, détenait une usine qui employait un millier d’employés. En 1936, un an après l’entrée en vigueur des lois de Nuremberg, le gouvernement allemand confisqua les passeports de la famille. Mais Herr Adler avait beaucoup de contacts. Il parvint à récupérer ses passeports. Toutefois, il comprit que, bien que ses ancêtres eussent vécu en Allemagne pendant des siècles, sa famille se trouvait maintenant en danger du fait de sa judaïté. Il prit la décision de fuir l’Allemagne sans aucun délai, mais il se doutait bien que les autorités nazis suivaient le moindre de ses faits et gestes. Alors il élabora un plan audacieux.

À l’occasion de la Bar Mitsva de leurs fils Heinz, les Adler organisèrent une fête somptueuse, avec animation musicale et des centaines d’invités. Au milieu des réjouissances, alors que les invités allaient et venaient, Herr Adler, accompagné de son épouse et ses deux fils, s’échappa par une porte latérale où un employé de confiance l’attendait dans une automobile, avec quelques bagages. Ils n’avaient mis personne au courant, pas même leur personnel. Et à l’heure où leur disparition fut découverte, ils étaient déjà sains et saufs au-delà de la frontière suisse.

Ils laissèrent tout derrière eux – leurs luxueuses automobiles, leur demeure cossue, leur somptueux mobilier. Ils n’emportèrent avec eux qu’une poignée de diamants cousus dans leurs vêtements, dont ils se servirent pour acheter leur passage clandestin de la Suisse vers l’Angleterre, puis vers les États-Unis. À leur arrivée sur les rives américaines, il leur restait à peine de quoi s’offrir une ferme d’élevage de poulets.

Frau Adler n’avait jamais lavé une assiette de sa vie. En la voyant pelleter du fumier de poule vers la fin des années 1940, une connaissance lui demanda si elle ressentait de l’amertume par tout ce qu’elle avait perdu. La question la stupéfia. Elle était en vie, elle, son mari et ses enfants. Qui pouvait parler d’amertume ?

Quant aux parents maternels de mon ami, ils connurent un tout autre destin. Même après les lois de Nuremberg et Kristallnacht, ils nourrissaient l’illusion que les Juifs en Allemagne n’étaient pas en danger de mort. Ce n’est qu’en 1939 qu’ils envoyèrent l’une de leur fille (qui deviendrait la mère de mon amie) en Angleterre. À l’heure où le reste de la famille essaya de fuir l’Allemagne, il était déjà trop tard. Et tous périrent dans la Shoah.

De cette histoire j’ai appris que si l’on ne se sauve pas « au beau milieu des festivités », il est fort possible que l’on ne puisse jamais le faire.

La vérité –  la douloureuse vérité – c’est qu’il n’y a plus d’avenir pour les Juifs en France, ou en Ukraine, ni d’ailleurs où que ce soit d’autre en Europe.

Certes, la France en 2015 n’est pas l’Allemagne de 1939. Dans la France actuelle, l’antisémitisme n’est pas parrainé par l’État. Mais depuis trop longtemps, il est renié par l’État. Jusqu’aux attaques des deux synagogues, l’été dernier, les dirigeants français ont l’un après l’autre refusé d’appeler la violence qui vous ciblait comme de l’antisémitisme. Ils prétendaient que ce n’était que de l’antisionisme. Mais vous, mes frères et sœurs français, vous savez pertinemment que l’antisionisme n’est qu’un antisionisme recouvert d’un très mince voile. Vous savez pertinemment que la police française, malgré toute sa bonne volonté, est incapable de vous protéger de la haine féroce de hordes de Musulmans qui composent 10% de la population française. Vous savez pertinemment que la police française, malgré tous ses efforts, est incapable de vous protéger de la barbarie de ces djihadistes solitaires entrainés par Al-Quaïda ou l’État Islamique.

La vérité –  la douloureuse vérité – c’est qu’il n’y a plus d’avenir pour les Juifs en France, ou en Ukraine, ni d’ailleurs où que ce soit d’autre en Europe.

Alors, j’en appelle à vous, mes frères et sœurs juifs, rentrez à la maison, en Israël. C’est un choix que j’ai moi-même fait 30 ans en arrière. Je ne me suis pas installée ici parce que je fuyais l’antisémitisme dans mon Amérique natale. Ni parce que j’avais été endoctrinée par le rêve assimilant la vie ici à une utopie sioniste. Ni parce que j’ignorais que les Juifs d’ici étaient, eux aussi, en prise au terrorisme. Si je me suis installé ici c’est parce que j’étais fermement convaincue que, comme la Torah le répète à de nombreuses reprises, Dieu souhaite que le peuple juif vive en Israël.

Je suis partie « au beau milieu des festivités. » J’avais 37 ans et j’étais célibataire. Je suis venue sans amis, ni famille ni économies en Israël. Je n’emportais qu’une seule chose avec moi ; la promesse de la Torah voulant que « le regard de Dieu se pose en permanence sur la terre d’Israël. » Ce qui signifie que tout ce qui arrive ici en Israël est placé sous la supervision divine directe. Ceux d’entre vous qui ont déjà passé du temps en Israël le savent. Ils le sentent. Dans cette terre baignée de la présence de Dieu, nos bénédictions, tout comme nos défis, proviennent directement de Dieu. Comme ‘Haya Levine, qui a quitté les états unis pour Israël et dont le mari a été assassiné dans l’attentat d’Har Nof, l’a déclaré : « Nous ne sommes pas des victimes des circonstances ou du terrorisme. Nous sommes un peuple maître de nos choix. »

Et le choix des Juifs en Israël est de vivre avec l’ensemble du peuple juif dans la patrie juive. Je vous en prie, rejoignez-vous.

Avec amour et chagrin, votre sœur,
Sara Yoheved Rigler

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