Mary Elmes : une héroïne discrète
Elle a risqué sa vie pour sauver au moins 200 enfants juifs des griffes nazies, et il y a de fortes chances que vous n’ayez jamais entendu parler d’elle.
Mary Elizabeth Elmes a risqué sa vie pour sauver au moins 200 enfants juifs des griffes nazies, et il y a de fortes chances que vous n’ayez jamais entendu parler d’elle. D’ailleurs, si ça ne tenait qu’à elle, elle aurait préféré rester dans l’anonymat.
Née en 1908 à Cork, en Irlande, d’un père pharmacien, Mary fut une brillante étudiante du Trinity College de Dublin, où elle remporta la plus haute distinction en français et en espagnol. Deux langues qui s’avèreront être d’une importance vitale dans sa vie.
Renonçant à une carrière académique prometteuse, Mary fut attirée par le travail humanitaire pendant la guerre civile espagnole. Elle se joignit courageusement aux nombreux réfugiés qui s’enfuirent en France en passant par les Pyrénées. Les conditions qui régnaient dans les camps de réfugiés étaient horrifiantes, mais la jeune Irlandaise s’efforça de leur rendre la vie plus supportable en organisant des ravitaillements alimentaires et en se procurant des livres éducatifs pour les enfants.
Quand la France se rendit aux Nazis en 1940, des milliers de Juifs et d’autres individus recherchés par la Gestapo s’enfuirent dans le Sud de l’Hexagone. Beaucoup furent arrêtés par la police française et détenus avec des réfugiés espagnols dans un camp militaire désaffecté appelé Rivesaltes.
Glacial en hiver et étouffant en été, ce camp décrit comme inadapté ne serait-ce que pour des chevaux commença à accueillir un flot ininterrompu de réfugiés en 1941. En moins d’un an, plus de 4000 personnes furent entassées dans le camp, dont un tiers d’enfants.
En 1942, les Juifs commencèrent à être rassemblés puis envoyés à Auschwitz. Conscients du grave danger qu’ils courraient, Mary Elmes et ses collègues planifièrent de sauver autant de Juifs que possible en dépit des risques. Jusque-là, les enfants avaient été exemptés de la déportation, mais en septembre 1942, le gouvernement de Vichy annula cruellement cette dispense.
Mary prit des mesures immédiates pour venir à leur secours, sauvant des dizaines d’enfants juifs en les plaçant dans des familles ou en les aidant à fuir le pays. Malheureusement, un grand nombre de ces enfants ne revirent jamais leurs parents.
Avec un héroïsme discret, elle cacha des enfants dans le coffre de son automobile et les conduisit en lieu sûr dans les montagnes des Pyrénées. Elle aida d’innombrables autres personnes à se procurer des papiers d’identité leur permettant d’être évacués par un réseau clandestin opérant dans la France occupée.
Louis Gunden, un employé d’une organisation humanitaire responsable d’un centre établi par Mary, écrivit : « Mary m’a informé du retour des Juifs polonais et allemands en Pologne où la mort les attend. Elle nous a amenés trois garçons juifs, dont les parents devaient être déportés, pour essayer de les sauver ; nous avons eu un peu de mal à calmer l’un de ces pauvres petits bonshommes, mais finalement ses sanglots se sont tus. »
Grâce à sa citoyenneté irlandaise neutre, Mary Elmes eut droit de circuler dans la zone de guerre alors que les personnes d’autres nationalités furent contraintes de partir.
Rivesaltes devint le centre de détention de tous les Juifs trouvés dans la France non-occupée. Durant l’automne de 1942, neuf convois quittèrent Rivesaltes en direction du camp de Drancy, à proximité de Paris. Plus de 2000 adultes juifs et 110 enfants se trouvèrent à bord. Tragiquement, pour beaucoup d’entre eux, le prochain arrêt fut Auschwitz.
« Le nombre d’enfants à bord aurait été considérablement plus important sans l’intervention de Mary et de ses assistants, » affirma l’une de ses collègues.
En janvier 1943, Mary fut arrêtée par les Nazis parce qu’on la soupçonnait d’aider les Juifs à s’évader. Accusée d’espionnage, elle fut également soupçonnée d’actes hostiles contre l’Allemagne, de traversées clandestines de frontières, de fuite d’informations de tous genres et de propagande contre le Reich.
Ses employeurs, l’American Friends Service Committee (la branche américaine de la Société religieuse des Amis), profondément affligés par la nouvelle de son arrestation, envoyèrent immédiatement un télégramme aux autorités irlandaises pour leur demander de l’aide.
Au début, Mary fut incarcérée dans la prison de Toulouse près de ses collègues qui avaient le droit de lui rendre visite et de lui remettre des colis alimentaires. Mais elle fut par la suite transférée dans la redoutable prison de Fresnes contrôlée par la Gestapo, et ses collègues perdirent tout contact avec elle.
Mary était indubitablement consciente que de nombreux prisonniers de Fresnes ne furent jamais relâchés. Les membres de la Résistance française et des forces spéciales britanniques étaient plus souvent mis à mort que remis en liberté.
Étant donné que Mary Elmes était une citoyenne irlandaise employée par l’American Friends Service Committee, ses collègues des États-Unis firent appel Robert Brennan, ministre de la délégation irlandaise à Washington, afin que celui-ci intervienne en sa faveur et tente d’obtenir sa libération. Comme l’Irlande était un pays neutre pendant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands acceptèrent de la libérer en juillet 1943.
Une photo de classe de Ronald Friend (rang du milieu, 3ème à partir de la gauche) qui fut mêlé à des enfants locaux dans une école du sud de la France.
Par la suite, dans sa discrétion caractéristique, Mary ne s’étendit jamais sur ses terribles conditions d’incarcération, se contentant d’un vague : « Que voulez-vous, nous avons tous dû subir quelques désagréments à cette époque ! »
Bien que sa mère espérât vivement que Mary quitte alors la France, la courageuse jeune femme refusa d’abandonner les réfugiés qui avaient encore besoin de son aide. Nullement effrayée par les Nazis ou leurs collaborateurs français, elle resta travailler dans son bureau à Perpignan jusqu’à ce que la guerre se termine.
En 1947, les quakers britanniques et américains (membres de la Société religieuse des Amis) reçurent le prix Nobel de la paix pour leurs œuvres humanitaires pendant la guerre. Bien que le gouvernement offert lui ait proposé sa plus haute distinction, la Légion d’honneur, Mary Elmes la refusa. Elle préférait oublier ses activités pendant la guerre et reprendre une vie normale.
Elle épousa un Français, Roger Danjou, et eut deux enfants, Caroline et Patrick. Durant leur enfance, ces deux derniers ignoraient tout de l’héroïsme de leur mère pendant la guerre. Mary Elmes vécut jusqu’à un âge avance. Elle décéda en 2002, à l’âge de 94 ans.
Mary Elmes (à gauche, âgée de 90 ans) reçoit une peinture du camp de réfugiés de Rivesaltes des mains de son ancienne collègue Friedel Bohny-Reiter de la Croix rouge suisse.
En 2012, le professeur Ronald Friend, l’un des nombreux enfants juifs sauvés par Mary, contacta sa famille pour obtenir l’autorisation de décerner à leur mère le titre de « Juste parmi les Nations ». Si dans un premier temps, Caroline et Patrick Danjou firent preuve de réticence, arguant que leur mère aurait préféré taire ses actions pendant la guerre, ils décidèrent ensuite de faire enfin reconnaître son héroïsme au grand jour.
En 2014, le professeur Friend entouré de ses proches et amis rendirent un hommage posthume à Mary Elmes dans une cérémonie tenue dans le sud de la France. Elle demeure la seule citoyenne irlandaise à être honorée à Yad Vashem.
La médaille d'or remise à titre posthume à Mary Elmes par l'ambassadeur d'Israël à ses enfants Caroline et Patrick Danjou et trois de leurs petits-enfants.
« Elle devrait être consignée dans les livres d'histoire et reconnue par le gouvernement irlandais, soutient le professeur Friend. Mary fut une héroïne discrète qui mérite de rester dans les mémoires. »