Odyssées Spirituelles

Naître et renaître.

29/08/2011 | par rabbin Benjamin Blech

Pour la première fois de ma vie, à 77 ans, j’ai pris conscience que j’allais mourir.

 

C’est arrivé sans prévenir.  

Quand le docteur m’a invité à m’assoir dans son bureau, il ne souriait pas.

C’était censé être un examen médical annuel de routine. Je n’étais pas souffrant, je n’avais mal nulle part, et mes deux parents avaient connu une vieillesse sans problèmes. Ça allait être comme d’habitude, on allait me dire sur un ton rassurant que tout va bien, et puis on me renverrait chez moi en me disant de ne pas oublier de revenir dans six mois.  

Mais quand le docteur m’a invité à m’assoir dans son bureau, il ne souriait pas. Ça m’a paru bizarre. J’ai compris alors que quelque chose n’allait pas. 

« Ça m’est difficile de vous annoncer ça » commença t’il. « Je ne veux pas vous raconter d’histoires. Vous êtes un rabbin, un homme de foi. Je suis sûr que vous trouverez un moyen d’assumer ce que j’ai à vous dire. Vous êtes atteint d’une maladie rare qui est mortelle, et pour laquelle on ne connaît pas de traitement. » 

Ma tête se mit à tourner. Je n’entendais plus vraiment la suite de ce qu’il disait. 

Je suis rabbin d’une communauté depuis 40 ans. Je prête l’assistance aux malades et je réconforte ceux qui vont mourir. J’ai presque toujours su quoi dire à ceux qui devaient soudain affronter leur destin. J’aide les gens à confronter la mort. 

Bêtement, je me suis rué  sur Google pour rechercher ce qu’on y dit sur ma maladie.

Mais cette fois c’était tellement différent. Cette fois ça n’arrivait pas à quelqu’un d’autre, ça m’arrivait à moi ! 

Pour la première fois de ma vie, à 77 ans, j’ai pris conscience que j’allais mourir. 

Comment pouvons-nous faire abstraction d’une réalité aussi évidente de notre existence ? C’est une loi universelle de la vie, et pourtant nous choisissons de l’ignorer. Nous prétendons vivre éternellement, alors que personne n’y est jamais parvenu. Nous rejetons l’idée de la mort, comme si sa négation la rendait moins inéluctable. 

Notre route vers la mort a pourtant bien commencé le jour ou nous sommes nés, mais quand on nous rappelle la destination finale de notre voyage, nous réagissons tous comme j’ai réagi dans le bureau du docteur.  

C’était une erreur monumentale.

La maladie dont je souffre s’appelle l’amylose du cœur. Les amyloïdes sont des protéines qui peuvent attaquer différentes parties du corps, Quand elles parviennent au cerveau, elles provoquent l’Alzheimer.  Quand elles touchent les reins ou le foie, ils cessent de fonctionner normalement. Chez moi elles sont dans le cœur. Les amyloïdes rendent le muscle plus rigide et diminuent la capacité du cœur à faire circuler le sang vital. 
 
Le docteur avait essayé de me rassurer, mais je ne l’avais pas écouté et j’avais détourné mon attention de ce qu’il avait à me dire. Au lieu de ça je m’étais jeté sur Google pour voir ce qu’on disait sur Internet.  

C’était une erreur monumentale. 

Le premier site que j’ai consulté après le diagnostic affirmait sans l’ombre d’un doute que les personnes atteintes de cette maladie n’ont pas plus de six mois à vivre. Je me suis heureusement rapidement rendu compte que les données sur lequel il se basait étaient obsolètes. D’autres projections parlaient de plusieurs années d’espérance de vie, et la recherche sur les cellules ainsi que d’autres progrès obtenus en laboratoire permettaient d’envisager mieux encore. 

Je me suis donc rendu à  l’évidence que mon diagnostic n’était pas synonyme d’une mort à court terme, et qu’en réalité, personne ne savait vraiment combien de temps il me restait à vivre. 

C’est alors qu’une pensée m’a frappé. Si cette maladie n’avait pas de terme fixe, je n’étais finalement pas différent de n’importe qui d’autre. La vie elle-même n’est elle pas une maladie mortelle ? 

D’accord, je vais mourir, mais n’est-ce pas le cas de tout le monde ? Peut-être plus vite , peut-être pas, mais ça personne ne le sait.  

La mort est sortie des replis de ma conscience pour s’installer devant mes yeux.

La nouvelle si terrible que mon docteur m’a annoncée, c’est en fin de compte que je suis mortel. Et ça, je le savais. C’est l’intemporelle vérité de la Bible qui nous dit : tu nais poussière et tu retourneras poussière. Mais le fait de l’entendre sous forme d’un diagnostic, et non comme le fruit d’une réflexion sur la destinée humaine, a modifié la perception que j’en avais. La mort est sortie des replis de ma conscience pour s’installer devant mes yeux. Elle n’était plus cette évidence refoulée à laquelle je n’accordais qu’une place limitée dans la réalité de ma vie. L’idée de la mort était maintenant devenue ma compagne de tous les jours. 

Aujourd’hui, plus d’un an après le diagnostic initial, j’ai réalisé quelque chose d’étonnant. Cette compagne est devenue mon alliée. Ma reconnaissance du fait que je suis mortel a énormément élargi le champ de mon existence. Sous bien des aspects, cette période est la plus riche, la plus épanouie, et la plus réjouissante de ma vie.

Je réalise maintenant que mes jours sur Terre sont comptés, et je les apprécie plus que je ne l’aurais jamais cru possible. Fort de ce que j’ai appris en étudiant ma foi, il y a longtemps que je ne considère plus la mort comme un grand vide inconnu. Mais ce que j’ai découvert, c’est que vivre sa vie avec la pleine conscience qu’elle prendra forcément fin, est une source de grande bénédiction. 

Que craignons-nous tellement dans la mort ? 

Beaucoup de nos parcours dans la vie n’ont pas de but bien défini. Mais notre parcours vers la mort a quelque chose de différent. La peur puissante qu’elle inspire tire sa force dans notre incapacité à accepter que nous allons disparaître.  

Comme nous ne pouvons nous y résoudre, cela nous effraie.

Peut-être allons-nous disparaitre sans laisser de trace. Peut-être n’aurons-nous plus aucune conscience de notre existence. Peut-être mourir signifie t-il partir à tous jamais en ne laissant qu’un vague souvenir de nous parmi les vivants. 

Nous avons peur parce que nous craignons que rien de ce que nous avons été n’ait plus d’importance. Nous deviendrons… rien, tout simplement. Et comme nous ne pouvons nous y résoudre, cela nous effraie.  

Et si la réalité de la mort était en fait complètement autre ? Qu’en serait-il si la mort n’était pas la fin d’une vie, mais le début d’une autre ? 

Il nous est presque impossible d’imaginer une vie après la tombe. Nous considérons, nous vivons notre corps comme partie intégrante de nous-mêmes, nous passons le plus clair de notre temps à nous occuper de nos besoins physiques. Comment pourrions-nous envisager de continuer à exister quand notre corps sera devenu poussière ? Notre esprit est incapable d’appréhender un changement de perspective aussi radical. 

Il existe un Midrash remarquable qui nous donne cependant un aperçu de ce que peut être la vie après la mort. Il nous décrit la scéne suivante: 

Deux jumeaux se trouvent dans ventre de leur mère. Leur bouche est close, ils sont nourris par le cordon ombilical qui les irrigue, ils sont tenus au chaud par le liquide amniotique qui les baigne, ils se sentent en totale sécurité. Pour leur conscience il n’existe aucune autre manière de vivre, ni de vie plus confortable. 

Imaginons qu’ils prennent conscience de leur environnement, et qu’ils se mettent à envisager leur avenir. Ils perçoivent soudain que des changements se produisent, qu’ils entament une descente, et ils commencent à débattre de ce qui va leur arriver. 

Mais les deux frères sont de nature différente. L’un est un optimiste, l’autre un pessimiste. L’un est croyant, l’autre est sceptique. 

Il méprise les divagations et les espoirs irréalistes de son frère

Le croyant est sûr qu’une autre vie les attend après qu’on les aura expulsés de leur présente demeure. « Je ne peux pas me résoudre à croire que Dieu nous aie nourris, soignés, et se soit occupé de notre croissance ici pendant neuf mois sans qu’il y ait un but à cela. Il doit y avoir un plan derrière tout cela dont nous ne sommes pas encore au courant. Notre présence ici ne peut s’expliquer que si elle est une préparation à une vie future plus heureuse. Il serait inimaginable que la seule issue soit notre totale annihilation ! ». 

L’autre se montre en revanche plus terre-à-terre. Il méprise les divagations et les espoirs irréalistes de son frère. Pour lui, la foi n’est que « l’opium du peuple » comme disait Marx. « Te voilà encore à prendre tes espoirs pour des réalités » lui dit-il sur un ton de mépris, « Il est évident que tout ce qui nous fait vivre ici, ce cordon, ce placenta, cette chaleur, tous n’existent qu’ici. Dès que nous quitterons cet endroit, nous mourrons. » 

Le frère croyant défend alors à nouveau son point de vue. Il prétend qu’une fois qu’ils seront sortis du ventre, leurs mouvements seront plus libres. Il évoque de nouvelles manières de s’alimenter, son rêve d’une indépendance au-delà de tout ce qu’ils ont pu imaginer jusque là. N’ayant eu encore aucun contact avec la vie telle qu’elle est sur Terre, il ne peut néanmoins l’exprimer par des mots. Quand son frère rejette ses idées comme étant impossibles et lui intime d’exprimer ses idées par des exemples concrets, il se trouve réduit à l’impuissance. 

Et c’est ainsi que les deux jumeaux se rapprochent de la date fatidique de leur naissance, séparés qu’ils sont par des opinions radicalement divergentes sur ce qui les attend. Le croyant est confiant non seulement qu’il va survivre, mais aussi qu’il sera bien plus heureux une fois dehors. Le sceptique quant à lui attend tristement que son monde s’effondre, et que les lumières s’éteignent définitivement pour lui.  

Mort et naissance sont synonymes, l’une mène à l’autre.

Soudain, la mère perd les eaux, ils se sentent poussés, comprimés. Les jumeaux réalisent qu’on est en train de les expulser de chez eux. Le moment décisif est arrivé. Le croyant est le premier à sortir. Son frère, resté à l’intérieur, tente d’obtenir des indices sur ce qui se passe à l’extérieur. C’est le cœur brisé qu’il perçoit soudain le cri perçant émis par son frère. 

« J’avais donc raison » se dit-il. « Ce que je viens d’entendre, c’est le cri d’agonie de mon pauvre frère. » Mais  au même moment, d’heureux parents sont en train de se réjouir de la naissance de leur premier enfant, dont le cri vient de leur annoncer qu’il est bien vivant ! 

Ce qui semblait pour lui être la mort, était en réalité l’accès à une dimension supérieure de la vie. Mort et naissance sont synonymes, l’une mène à l’autre. 

Comment peut-on vivre sans corps ? Comment peut-on vivre en-dehors du sein de la mère ? Ces deux questions semblent sans réponse si on ne connait pas les alternatives. Pourtant, puisque le miracle de la naissance nous permet d’atteindre un niveau supérieur d’existence - sans cordon ombilical -, ne pourrait-il en être de même dans ce que nos appelons « la mort », qui voit l’âme se libèrer des contraintes physiques du corps pour rejoindre un univers de spiritualité ?  

« Mourir est comme passer d’une pièce à une autre, mais l’autre pièce est infiniment plus belle. »

Elizabeth Kubler Ross à passé sa vie à étudier les mourants dans leurs derniers souffles. Elle a écrit qu’après toutes ces années d’avoir assisté à l’instant où la vie s’échappe, ce qui l’a surtout marquée était de voir la soudaine sérénité et la paix qui accompagnaient le passage d’un état à un autre. Elle a décrit la mort comme l’équivalent de « percer le cocon pour en sortir papillon ». Nos corps constituent de notre vivant une limitation. S’en échapper nous permet donc d’atteindre des sommets auxquels nous ne rêvions pas. 

Il y a 150 ans le Rabbi Mendel de Kotzk enseignait une parabole similaire à ses disciples. Il leur disait : « Mourir est comme passer d’une pièce à une autre, mais l’autre pièce est infiniment plus belle. » 

Un endroit meilleur. 

J’ai eu l’occasion de partager ces réflexions avec un certain nombre de lycéens de ma communauté auxquels j’enseignais. J’encourageais leurs questions, ainsi que des discussions ouvertes sur différents sujets, et je répondais à leurs interrogations. Un beau jour le groupe a voulu parler de ce qui faisait alors la une des journaux, à savoir la mort d’une jeune star qui était l’idole de beaucoup d’entre eux. 

Ils étaient tous d’accord pour protester qu’« on parle toujours de Dieu, et voilà ce qui arrive, c’est vraiment injuste !». Comment leur star avait-elle pu décéder en ayant un avenir tellement prometteur devant elle ? La mort n’est-elle pas la tragédie suprême qui remet en question notre foi en la bonté de Dieu ?  

La cruauté apparente de la mort n’est pas contradictoire avec l’existence d’un Dieu d’amour

Je m’interrogeais sur la manière de leur expliquer au mieux que la cruauté apparente de la mort n’est pas contradictoire avec l’existence d’un Dieu d’amour. Je leur ai raconté la parabole des deux jumeaux qui discutaient de leur destin dans le ventre de leur mère. Je leur ai demandé d’envisager la possibilité de l’existence d’un autre monde après celui-ci. Je leur ai expliqué que telle était la perception juive des choses, et je les ai encouragés à réfléchir aux implications d’une telle vision. 

L’idée d’une comparaison a alors traversé mon esprit : « Imaginez que nous soyons en ce moment dans une grande fête, leur dis-je. Imaginez une fête plus belle que tout ce que vous avez jamais vu. Nous sommes tous en train de nous y amuser, et tout d’un coup, quelqu’un frappe à la porte. Le visiteur inattendu nous annonce que John doit quitter la fête immédiatement et le suivre. 

Nous sommes tous tristes, Pauvre John, il s’amusait tellement et le voilà qui doit partir ! » Je demandai alors aux enfants : « Quelle est la chose que nous devons impérativement savoir à cet instant pour décider si notre tristesse est justifiée ? » Leur réponse fut immédiate : « c’est évident, nous devons savoir pourquoi on est venu chercher John ! ». S’agissait-il de l’emmener voir un proche qu’on a emmené d’urgence à l’hôpital ? Ou bien est-on venu le chercher pour l’emmener dans une fête plus extraordinaire que celle-ci encore, un anniversaire surprise qu’on lui a préparé avec ses meilleurs amis, qui s’apprêtent à lui sauter dessus et à le couvrir de cadeaux ? 

Les enfants ont compris l’image. On ne doit jamais décider qu’un départ est triste avant de connaître la destination finale. Il est vrai qu’on peut se sentir triste parce que la personne va nous manquer terriblement, mais cela n’est-il pas compensé par la certitude qu’elle se trouve tellement mieux là où elle se trouve maintenant ? 

Extrait du dernier ouvrage du Rabbin Blech (à paraître) : Why We Shouldn't Fear Death.

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