Monde Juif

Nelson Mandela et les Juifs: des relations complexes

09/12/2013 | par Aish.fr

Entre hostilité et soutien, retour sur les relations mouvementées de l'ancien président sud-africain avec la communauté juive.

L’étonnante attitude de réconciliation de Mandela après sa libération en 1990, après 27 ans d’emprisonnement, rassura les Juifs sud-africains, très anxieux, ainsi que les Blancs dans leur ensemble : après avoir vécu avec leurs « valises prêtes sous le lit » pendant l’apartheid, il semblait qu'ils pouvaient désormais entrevoir un avenir dans le pays.

En dépit de la brutalité du régime, et de la peur d'un soulèvement qui aurait pu se solder par un bain de sang racial, la plupart des gens avaient pris conscience que l’apartheid ne durerait pas éternellement. Sous le régime de Mandela, décédé à Johannesburg le 5 décembre dernier à l’âge de 95 ans, des suites d’une longue maladie, il n’y aura pas eu de bain de sang. Il avait invité tous les Sud-Africains à se rassembler dans le but de construire une « nation arc-en-ciel. »

Au cours des sept décennies qui ont suivi l’arrivée du jeune Mandela à Johannesburg en 1941, venu là pour chercher du travail, ses nombreuses interactions avec les Juifs oscillèrent du soutien à la franche hostilité. L’un de ses premiers contacts avec le monde juif fut l’avocat juif Lazar Sidelsky qui lui offrit son premier emploi au sein de son cabinet d’avocats. Plus tard, il s'avéra que beaucoup de ses camarades blancs qui combattirent l’apartheid à ses côtés étaient des Juifs avec lesquels il forma de solides liens. Sur les 17 activistes arrêtés à Liliesleaf, Rivonia, en juillet 1963, cinq étaient blancs et tous étaient Juifs.

Or, à l’instar des autres groupes de Blancs, seul un petit pourcentage des Juifs d’Afrique du Sud combattit l’apartheid, et Mandela eut peu de contact avec ces derniers pendant les années de lutte. La tendance générale de la communauté juive tendait vers l’apathie et souscrivait à l’apartheid, sans la soutenir activement : les Juifs avaient presque toujours voté pour les partis d’opposition libérale lors des élections. Le nom de Mandela était à peine mentionné dans les cercles juifs lors de son emprisonnement : l’image dressée par le régime d’un « terroriste » brutal dont l’emprisonnement était préférable, était toujours perceptible dans leurs conversations.

Les Juifs sud-africains sont également mal à l’aise du fait que Percy Yutar, un membre respecté d’une synagogue orthodoxe de Johannesburg, fut le procureur du gouvernement lors du procès de Rivonia en 1964 au cours duquel Mandela fut condamné à la prison à vie. Fidèle à sa générosité d’esprit, Mandela invita Yutar à déjeuner quelques mois seulement après avoir été intronisé comme Président d’Afrique du Sud, et ne manqua pas de serrer sa main en public, envoyant par là un message : le passé amer ne devait pas empêcher l’émergence d’un avenir meilleur. 

Mandela s’engagea fermement aux côtés d’organisations juives et d’importants philanthropes et hommes d’affaires juifs de premier plan.

Lorsqu’il luttait contre l’apartheid, sa relation avec les Juifs se borna principalement à certains avocats, journalistes et activistes. Ensuite, lorsque le Président F.W. de Klerk annonça le 2 février 1990 que l’interdiction sur le Congrès national africain était levée et que Mandela serait libéré de prison, une nouvelle ère s’ouvrit et Mandela s’engagea fermement aux côtés d’organisations juives et d’importants philanthropes et hommes d’affaires juifs de premier plan.

Parmi ces organisations juives, on comptait le Bureau des députés juifs d’Afrique du Sud (l’organisme regroupant toutes les instances juives), dont il fut l’orateur principal lors de la Conférence nationale de 1993 ; mais au fond, il y avait toujours le souvenir déplaisant que pendant l’apartheid, ce même organisme avait adhéré à une politique formelle de « non-intervention », soutenant que son rôle était de veiller aux intérêts des Juifs, et de ne pas se mêler de la politique d’Afrique du Sud. Une telle attitude, en plein apartheid brutal, alors que les Juifs menaient des existences nettement privilégiées en raison du système, avait de lourdes implications morales.

L’apartheid posait des questions difficiles au judaïsme d’Afrique du Sud : quel était le devoir du judaïsme envers les opprimés parmi lesquels ils vivaient ? Qu’est-ce que les Juifs avaient appris de leur propre histoire de persécution ? Et avaient-ils le courage de se dresser contre l’apartheid lorsque, dans ce quasi-État policier, le régime pouvait les sanctionner ?

Aujourd’hui, la communauté juive dans son ensemble évoque non sans fierté les activistes juifs qui ont courageusement combattu aux côté de Mandela, dont beaucoup ont été condamnés, emprisonnés ou conduits en exil forcé. En réaction, certains soutiennent que les Juifs qui n’ont rien fait jouissent des effets de la gloire de ces valeureux militants.  

Le resserrement enthousiaste des liens de Mandela avec la communauté juive postapartheid, manifesté à plusieurs échelons, inclut l’organisme voué au développement de la communauté, Maafrika Tikoun, dont il devint le mécène principal. Fondée par le grand-rabbin Cyril Harris et les hommes d’affaires Herby Rosenberg et Bertie Lubner, Maafrika Tikoun fut un bel exemple de l'action de la communauté juive auprès des victimes de la ségrégation.

Depuis le début des années 1940, Sidelsky, l’employeur de Mandela, insista pour qu’il finisse ses études de droit à l’Université de Witwatersrand, où des étudiants juifs devinrent ses amis. Certains le défendirent par la suite dans les deux procès majeurs où il fut accusé : le procès pour haute trahison de 1956 et le procès de Rivonia de 1964.

Lors du procès pour haute trahison au cours duquel 156 personnes, y compris Mandela, se trouvaient sur le banc des accusés, les membres de la défense furent conduits par l’avocat Isie Maisels, un membre respecté du barreau de Johannesburg. Un autre juriste juif, Sydney Kentridge, s’occupa particulièrement de Mandela en qualité d’avocat. Kentridge se rappela plus tard : « Je sentais quelque part, d’après les nombreuses discussions que j’avais eues avec cet homme, qu’il avait l’envergure d’un leader : bien entendu, je ne pouvais pas deviner qu’il allait devenir le leader qu’il est effectivement devenu. » Le procès s’acheva en 1961, et tous les accusés furent acquittés.

Parmi les contacts principaux de Mandela avec les Juifs dans la nouvelle Afrique du Sud, on trouvait le grand-rabbin Harris, né à Glasgow, qui s’installa dans le pays en 1988 lorsque l’emprise de l’apartheid sur la société commençait à se relâcher. Les deux hommes devinrent des amis proches : Mandela appelait le rabbin Harris « mon rabbin. » Leur amitié mit en relief la question : pourquoi si peu de rabbins, qui véhiculent les valeurs juives, jouèrent-ils un rôle dans la résistance contre l’apartheid ?   

« Nous sommes désolés que vous ayez des problèmes aux yeux, mais nous voulons que vous sachiez que votre vision des choses est tout à fait correcte. »

Mandela souffrit de problèmes d’yeux lorsqu’il travailla dans des mines de chaux lors de son emprisonnement, et son médecin juif, Percy Amoils, le soigna. Le rav Harris commenta à ce moment-là : « Nous sommes désolés que vous ayez des problèmes aux yeux, mais nous voulons que vous sachiez que votre vision des choses est tout à fait correcte. »

Lorsque le rav Harris apparut aux audiences des communautés religieuses de la Commission de Vérité et réconciliation de 1997 au nom du Bureau des députés juifs d’Afrique du Sud, il s’excusa pour l’« inactivité et le silence » de la communauté juive pendant l’apartheid. D’autres groupes de Blancs n’avaient pas fait mieux, mais les paroles de rav Harris incitèrent les Juifs sud-africains à effectuer un examen de conscience.

En 1985, un mouvement appelé « Juifs pour la Justice sociale » commença à œuvrer en faveur de l’action sociale contre l’apartheid, soutenu par les rabbins Norman Bernhard et Ady Assabi. Ensuite, dans un élan conciliateur, quelques mois après sa libération de prison, Mandela assista à un office de Chabbat à la synagogue Chalom à Johannesburg, sur l’invitation du rabbin Assabi. Juste avant cela, Mandela était apparu à la télévision embrassant chaleureusement le Président de l’OLP Yasser Arafat lors des célébrations du Jour de l’Indépendance de la Namibie ; en conséquence, certains membres outrés de la communauté d’Assabi accablèrent d’insultes ce dernier pour avoir invité Mandela.     

L’une des amitiés durables de Mandela fut celle qui le lia à Helen Suzman, la célèbre politicienne juive à l’esprit combatif qui lutta sans relâche contre le système de l’apartheid à l’intérieur des Chambres du Parlement. À l’époque où elle était l’unique membre du Parti libéral progressiste au Parlement, elle fut le premier membre du Parlement à visiter le prisonnier Mandela à Robben Islande et s’intéressa à la condition critique des détenus politiques. Il l’appelait la voix de la véritable opposition. Après l’apartheid, il resta fidèle à leur amitié même après qu'elle fut presque totalement marginalisée par le nouveau leadership politique du pays. Suzman commenta : « J’ai été pulvérisée hors de l’histoire par le nouveau régime, mais Mandela continue à me rendre visite. »    

Les Juifs sud-africains étant passionnément sionistes, la question du conflit israélo-palestinien allait inévitablement les séparer de Mandela. Il acceptait le droit d’Israël à exister dans les frontières de 1967 et promouvait également un État palestinien. Instinctivement, cependant, il resta plus près des Palestiniens que des Israéliens, en particulier compte tenu des liens étroits entretenus pendant l’apartheid entre l’ANC et l’OLP. Il établissait un parallèle de la situation critique des Palestiniens et des noirs d’Afrique du Sud.

Ses propositions furent considérées comme « simplistes » à la fois par les Israéliens et les Palestiniens.

Néanmoins, il montra à nouveau sa grandeur en 1995 lorsqu’il assista à une cérémonie à la synagogue Oxford à Johannesburg en l’honneur du premier ministre israélien assassiné, Its’hak Rabin. En octobre 1999, il effectua une visite en Israël, accompagné par des chefs de la communauté juive. Ce voyage était destiné à réparer les dégâts politiques causés par les liens d’Israël avec l’Afrique du Sud sous l’apartheid. Israël, bien que n’étant pas impliqué dans la violence de l’apartheid, avait coopéré sur le plan militaire avec le gouvernement.  

Mandela proposa un plan de paix pour le Moyen-Orient, affirmant que les Arabes devaient reconnaître l’État d’Israël dans les frontières de 1967 et Israël rendre des territoires en échange de la paix. Ses propositions furent considérées comme « simplistes » à la fois par les Israéliens et les Palestiniens. À Gaza, il rencontra Arafat et, en Israël, il se rendit sur la tombe de Its'hak Rabin et à Yad Vachem. 

À présent, Mandela nous a quittés. Quel est son héritage pour son pays, pour le monde et pour les Juifs ? De toute évidence, en Afrique du Sud, personne dans le leadership actuel n’a l’envergure visionnaire de Mandela. Et au Moyen-Orient ? Si seulement un Mandela, issu du côté israélien ou palestinien, pouvait prendre les manettes du pouvoir et agir dans la continuité de l’œuvre de Nelson Rolihlahla Mandela en Afrique du Sud.

Cet article a paru dans le Jewish Week.

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