Témoignages Shoah

Ces photos ne furent pas approuvées par les Nazis

11/01/2018 | par Maayan Meir

Cinq clichés poignants extraits de la Collection du Ghetto de Lodz d’Henryk Ross.

Quand le photographe Henryk Ross se tint à la barre des témoins lors du procès d’Adolf Eichmann, il n’était plus en activité. En fait, cela faisait 16 ans qu’il n’avait pas pris de photos. Pourtant, tout son témoignage fut centré autour de son travail de photographe, des photos qu’il put prendre, des pellicules qui survécurent à l’horreur. Ce qui ne fut malheureusement pas le cas de leurs sujets.

Un enfant cherchant de la nourriture, 1940-1944

HHenryk Ross fut le photographe officiel de ce morceau d’enfer sur terre que fut le ghetto de Lodz. Et quand le ghetto disparut, son travail fut terminé. Il avait documenté les réalités de la vie et de la mort à l’intérieur des murailles du ghetto, et puis il fit tout ce qu’il put pour s’assurer que ces images surviraient à la guerre. Mais il se jura de ne plus jamais toucher à un appareil-photo.

La carte d'identié du ghetto de Litzmannstadt d'Henryk Ross, 25 décembre 1941
(Henryk Ross/Art Gallery of Ontario)

Né en 1910, Ross était déjà un photographe sportif avec beaucoup d’expérience quand la Deuxième Guerre mondiale éclata. Une fois que les Juifs de Lodz furent déplacés dans le nouveau ghetto, il fut engagé par le Conseil juif (le Judenrat) pour effectuer des photos d’identité dans le département des statistiques. Mais Ross n’était pas seulement – ou surtout – intéressé à effectuer son travail officiel. Sa véritable mission était de graver des scènes de la vie quotidienne dans le ghetto et de documenter les atrocités commises par les Nazis.

Des Juifs déportés marchent dans la neige en hiver, 1940-1944

Si Ross avait été surpris en train de documenter les terribles réalités de la vie au ghetto, sa propre vie aurait été en danger.

Et s’il put mener à bien sa mission, ce fut grâce à son travail officiel, son immense courage, ainsi qu’à l’assistance de sa femme, Stefania, qui montait généralement la garde quand il prenait des photos clandestines. La raison principale pour laquelle Ross décrocha un tel emploi fut parce que la machine à propagande nazie était bien huilée et agissait de façon éhontée : les photographes comme Ross, qui vivaient dans le ghetto et connaissaient ses horreurs de première source, avaient l’ordre de mettre en scène des photos joyeuses montées de toutes pièces qui montreraient au monde entier que les ghettos étaient des quartiers assez agréables, où les habitants pouvaient gagner leur vie correctement et profiter de la vie. Si Ross avait été surpris en train de documenter les terribles réalités de la vie au ghetto, sa propre vie aurait été en danger. Mais cela ne le dissuada pas. Comme il le dirait plus tard, il était déterminé à « laisser un témoignage historique de notre martyr. »

Portrait de deux fillettes, 1940-1944

Une certaine occasion fut particulièrement mémorable pour lui, et il la relata pendant son témoignage lors du procès d’Eichmann.

« À une certaine occasion, quand des gens que je connaissais travaillaient à la gare ferroviaire de Radegast, laquelle se trouvait en-dehors du ghetto mais reliée à lui, et où les trains à destination d’Auschitz étaient stationnés – à une certaine occasion, je suis parvenu à entrer dans la gare ferroviaire déguisé en homme d’entretien. Mes amis m’ont enfermé dans un hangar en ciment. Je suis resté sur place depuis six heures du matin jusqu’à sept heures du soir, jusqu’à ce que les Allemands s’en aillent et que les convois démarrent. J’ai observé le convoi partir. J’ai entendu des cris. J’ai vu les coups. J’ai vu comment ils leur tiraient dessus, comment ils les assassinaient, ceux qui refusaient d’obtempérer. À travers un trou dans le mur du hangar, j’ai pris plusieurs photos. »1

À l’été 1944, les Nazis commencèrent à liquider le ghetto de Lodz. Ross savait qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps. Avec l’assistance de son épouse, il ensevelit plus de 6000 négatifs dans la cour de sa maison, rue Jagielonska. Il espéra que quelqu’un les trouverait un jour. Il n’osait même pas croire que ce serait lui.

Des parents avec leur bébé, 1940-1944

Le ghetto de Lodz fut libéré le 19 janvier 1945, par l’armée soviétique. Peu de Juifs survécurent pour y assister. Seules 877 personnes étaient encore en vie dans le ghetto. Henryk Ross était l’un d’entre eux. En mars de la même année, il déterra les négatifs cachés, déterminé à les prendre avec lui partout où il allait. Beaucoup furent ruinés par l’humidité, mais suffisamment furent épargnés pour que Ross puisse sentir que ses efforts n’avaient pas été en vain. La guerre était terminée, et il avait réussi à créer un témoignage historique de la vie au ghetto – au nez et à la barbe des Nazis.

Ross et son épouse firent leur Aliya en 1956. Pendant le procès d’Eichmann, les photos de Ross furent utilisées dans le cadre des témoignages contre Eichmann. Mais ce ne fut qu’après son décès en 1997 que l’on apprit que Ross n’avait pas documenté uniquement la mort et la destruction, il avait été aussi déterminé à photographier des moments d’humanité authentiques au ghetto : des enfants jouant à « Nazis et Juifs », une mère tenant son bébé avec tendresse, deux petites filles qui s’enlaçaient. Il est possible que ces photos soient encore plus obsédantes. Elles immortalisent des moments passagers de bonheur, mais nul ne peut oublier que peu de temps après qu’elles aient été prises, ces innocents êtres humains furent réduits en cendres.

Un homme qui sauve un rouleau de Torah des ruines de la synagogue de la rue Wolborska, 1940

La collection intégrale des photos de Ross est conservée par la Galerie d’art de Toronto. Dans un article qui lui est consacré, le New York Times a relevé une photo particulièrement marquante ; celle d’un jeune homme portant un rouleau de Torah dans ses bras, un rouleau qu’il venait de sauver d’une synagogue en flammes. Et l’auteur de conclure : « Ce bâtiment est peut-être parti en fumée, mais ce qui est le plus sacré a perduré. »


1. Lodz Ghetto Album, p. 155.

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