Témoignages Shoah

Nazis en fuite

16/02/2014 | par Yvette Miller

Comment le Vatican et la Croix Rouge ont aidé des milliers de Nazis à échapper à la justice.

Quel fut le sort des Nazis après la Seconde Guerre mondiale ? Combien de responsables nazis ayant entraîné la mort de millions de Juifs et d’autres peuples ont-ils payé pour  leurs actes ? Combien de Nazis ont-ils échappé à la justice et repris une vie normale, n’ont jamais reconnu leurs crimes, ou seulement tardivement, ni payé pour les malheurs qu’ils ont causés ?

Tandis que les procès de Nuremberg organisés par les Alliés jugeaient certains haut gradés  nazis et que des procès à l’échelon national étaient intentés contre d’autres nazis en Allemagne, Autriche et d’autres pays, des milliers de soldats nazis, de soldats SS, de collaborateurs et de sympathisants n’ont jamais été jugés. Certains ont simplement repris une vie civile. D’autres - y compris d’infâmes criminels de guerre et de hauts responsables nazis - ont bénéficié de multiples soutiens pour adopter de nouvelles carrières, et même assumer de nouvelles identités, par certaines des institutions les plus fiables de l’Europe d’après-guerre.

Durant son enfance le pittoresque Tyrol autrichien, célèbre pour ses lieux de vacances et ses stations de ski alpin, Professeur Gerald Steinacher n’entendit pas beaucoup parler du passé nazi de son pays. Un changement se produisit dans les années 80, lorsque Kurt Waldheim présenta sa candidature à la présidence de l’Autriche. Alors qu’il était en lice pour la présidence, de nombreux jeunes Autrichiens furent choqués quand les activités de guerre de Waldheim – qu’il avait soigneusement réussi à dissimuler jusque-là – furent révélées au grand jour. Suite à cette affaire, M. Steinacher décida de devenir historien de l’histoire contemporaine, faisant de l’étude de la Shoah sa profession.

Interrogé par Aish.fr sur le choix de sa carrière, M. Steinacher explique : « Je tenais à savoir ce qui était advenu des Nazis autrichiens (et autres) après la guerre. En Autriche, l’intérêt suscité par ce sujet auprès du public était faible. »

Il est actuellement professeur aux États-Unis et auteur de l’ouvrage universitaire révolutionnaire : Nazis on the Run: How Hitler’s Henchmen Fled Justice. « Nazis en fuite : comment les Hitlériens ont échappé à la justice ».

Briser le mythe d’Odessa

Une personnalité qui voulait à tout prix en savoir plus était Simon Wiesenthal, un chasseur de Nazi juif autrichien qui récolta des informations sur des centaines d’anciens Nazis. Dans les années 80, il n’y avait pas beaucoup d’autres modèles à émuler. Le professeur Steinacher se souvient que Wiesenthal « était véritablement haï par de nombreux Autrichiens, il était une voix solitaire dans le désert autrichien. Il voulait que ce sujet reste vivant. »

Odessa était un mythe. La vérité était à la fois plus surprenante et plus troublante que la fiction

Un moyen de promouvoir ce sujet fut la théorie d’Odessa, un soi-disant organisme secret fondé par d’anciens officiers nazis. Cet organisme aurait aidé des Nazis à échapper à la justice et à fuir l’Europe, construisant de nouvelles vies en Amérique du Sud ou dans le Moyen-Orient. Le romancier britannique Frederik Forsythe inventa cette théorie dans son roman de 1972 : Le dossier Odessa, et en 1974, une adaptation cinématographique de ce mythe vit le jour : elle venait consolider l’idée de la fuite de milliers de Nazis qui avaient réussi à échapper à la justice.

Mais alors que le professeur Steinacher plongeait dans l’histoire de la manière dont les Nazis avaient réussi à quitter l’Europe, il découvrit qu’Odessa était un mythe. La vérité était à la fois plus surprenante et plus troublante que la fiction : certains des acteurs les plus prestigieux de l’Europe d’après-guerre ont activement œuvré pour aider les Nazis à échapper aux poursuites judiciaires et à commencer de nouvelles vies à l’étranger.

Nouvelles identités et départs à zéro

Pour M. Steinacher, la vérité revêtait aussi une touche personnelle. Et pour cause, la première halte de nombreux Nazis en fuite fut le Sud du Tyrol, sa patrie natale.

« Ils ont adopté l’identité tyrolienne et sont devenus des copies conformes de nous-mêmes.Cette histoire prit une tournure très personnelle ; je réalisais que de nombreuses personnes - y compris mes parents et grands-parents - n’avaient jamais affronté ce passé. »

Dans une telle atmosphère, il était donc aisé d’assumer une nouvelle identité, et de voyager le long de routes de contrebande établies dans les Alpes italiennes- puis vers le port italien de Gênes, où de nombreux Nazis s’embarquèrent pour une réhabilitation à l’étranger. 

Pour illustrer l’accueil chaleureux reçu par les Nazis en fuite, M. Steinacher cite le cas d’un ancien membre SS, Karl Schedereit. Après la Deuxième Guerre mondiale, il s’échappa d’un camp de prisonniers de guerre, et prit la direction des Alpes italiennes. Il décrit son expérience dans le village de Graun :

« Mon accent allemand va me trahir », pensa Schedereit.  « Le fermier sympathique et grisonnant s’avança vers moi avec un verre rempli de vin rouge. "Tu es venu par la frontière ? Ne t’inquiète pas, mon fils, il n’y a pas… d’Italiens ici, uniquement des Allemands ! Prost (bois) ! »

Alors que M. Steinacher plongeait dans les documents historiques, il découvrit que certains des Nazis les plus célèbres se fondirent dans les communautés du Tyrol du Sud après la guerre. La ville de Tramin, une municipalité italienne, fut particulièrement accueillante envers les Nazis en fuite, et les dirigeants des provinces collectèrent des formulaires d’identité vierges pour les années suivantes, au cas où des Nazis et des sympathisants nazis en auraient besoin un jour. En outre, un certain nombre de faux réseaux opéraient au milieu des années 40 dans le Tyrol du Sud, produisant des documents que les criminels de guerre en fuite pouvaient employer qui leur permettaient de bénéficier de nouvelles identités.1

  • Josef Mengele, le médecin d’Auschwitz dont les expériences sur les prisonniers juifs restent l’un des héritages les plus sombres de la Shoah, se réinventa lui-même à Tramin en tant que « Helmut Gregor », un mécanicien.2
  • Adolf Eichmann séjourna dans un certain nombre de « lieux sûrs », dont un monastère franciscain, et obtint finalement une nouvelle carte d’identité grâce à des fonctionnaires de Tramin qui l’identifièrent sous le nom de « Rikardo Klement. »3 Bien que son accent ne fût clairement pas tyrolien, Steinacher relève : « Les gens du coin ne lui posèrent pas de questions embarrassantes. »
  • Josef Schwammberger, le commandant du camp de concentration de Rozwadow, qui était réputé pour sa « soif de meurtre » et qui tua des centaines de Juifs - un grand nombre de ses propres mains - s’échappa vers le Tyrol après la Seconde Guerre mondiale. Sa fuite fut particulièrement choquante, étant donné que la police d’Innsbruck et le point de contrôle de la frontière de Brenner - deux célèbres lieux de sortie clandestine - étaient en état de haute alerte pour le localiser. Il fut néanmoins accueilli dans sa ville natale alpine de Brixen, où on lui offrit de faux papiers d’identité, qui lui permirent d’émigrer en Argentine. 4

Dans une période où des millions de réfugiés étaient en déplacement à travers toute l’Europe, il était bien facile pour des Nazis recherchés de se fondre dans la masse grouillante des voyageurs. Toutefois, dans le Tyrol du Sud, de nombreux anciens Nazis obtinrent bien plus que cela : un accueil chaleureux, dans certains quartiers, et des responsables locaux qui fermaient l’œil sur des passés mystérieux.

La complicité du Vatican

Une note de service de l’ambassade américaine à Rome rapporte : « Le Vatican est bien entendu la plus grande organisation impliquée dans les mouvements illégaux d’émigrants quittant l’Europe après la Deuxième Guerre mondiale. »5

Les historiens savent depuis bien longtemps que l’Église catholique se porta garante de certains anciens nazis, dont certains accusés de crimes de guerre. Les recherches du professeur Steinacher ont révélé une image bien plus complexe et nuancée du rôle du Vatican après la Deuxième Guerre mondiale.

Pour l’Église, accueillir d’anciens pécheurs était une mission plus élevée que de les remettre entre les mains des investigateurs des crimes de guerre.

Un facteur déterminant dans lesactions du Vatican en faveur descriminels de guerre Nazis fut sa volonté de promouvoir un pardon absolu, plutôt que de remettre les Nazis entre les mains des Alliés pour qu’ils soient traduits en justice. « Vous ne nous comprenez pas, mais nous avons fait ce qu’il fallait, » furent les propos que M. Steinacher entendit à maintes reprises tout au long de ses recherches, de la bouche de responsables haut placés de l’église qui aidèrent d’anciens Nazis à échapper à la justice. Pour l’Église, accueillir d’anciens pécheurs était une mission plus élevée que de les remettre entre les mains des investigateurs des crimes de guerre. (Peu d’hommes d’Église se sont interrogés sur la sincérité du nouveau zèle catholique dont firent preuve de nombreux anciens Nazis à qui ils prêtaient assistance.)

Les archives du Vatican ne sont accessibles que pour les années précédant 1939, mais le professeur Steinacher eut l’opportunité d’interroger des responsables qui avaient des postes hauts-placés et qui étaient proches des preneurs de décisions de l’Église dans les années qui suivirent immédiatement l’après-guerre. « La dénazification par le baptême s’opéra clairement en marge de la doctrine de l’église, » remarque Steinacher, mais cela motiva certains responsables catholiques à fermer les yeux sur les crimes de guerre du passé de ces nouveaux repentis, et de ce fait, des responsables de l’Église procurèrent leur assistance  à certains Nazis qui échappèrent à l’arrestation. Des milliers d’anciens Nazis en Allemagne et en Autriche furent accueillis à leur retour et reçus à bras ouverts par leurs églises chrétiennes.

De nombreux responsables du Vatican estimaient également que les Nazis moins gradés ne devaient pas assumer la responsabilité pour les crimes de guerre ; seule une poignée de leaders, tels qu’Hitler et Himmler, étaient responsables des atrocités. En outre, souligne Steinacher, de nombreux responsables du Vatican pensaient que la plupart des Allemands - y compris d’anciens responsables nazis - étaient des victimes, et non des acteurs de guerre. Le Pape Pie XII, qui fut pape pendant la Shoah et immédiatement après, avait passé 13 années joyeuses en Allemagne avant la Seconde Guerre mondiale, et s’identifiait nettement au peuple allemand. Le professeur Steinacher soutient que le pontife trouvait tout naturel d’aider les Allemands, dont il partageait largement la vision du monde, même si certains des individus qu’il aida cachaient des passés peu recommandables. Le Pape considérait sans aucun doute le régime nazi comme un ennemi de l’Église catholique, mais en 1945, le nazisme n’était plus une menace.  

Une bonne partie des actions du Vatican provenaient aussi de sa position anticommuniste. Après la Deuxième Guerre mondiale, le Pape Pie XII considéra le communisme - à la fois en Union soviétique et en Italie avec un parti communiste intérieur fort - comme la seule grande menace à l’Église catholique. Procurer de l’aide à d’anciens collaborateurs Nazis [anticommunistes] en particulier d’Europe de l’Est - dont les opinions de droite étaient considérées comme un contrepoids aux sentiments de gauche des communistes -  était un moyen de consolider le sentiment anti-communiste.6

Dans certains cas, le professeur Steinacher découvrit des cas troublants de complicité entre des responsables du Vatican et les Nazis.

  • Après la libération de Rome par les forces américaines, certains prêtres géorgiens reçurent la permission du Pontife d’ouvrir un séminaire géorgien à Rome. Quelques mois plus tard, les forces américaines remarquèrent que certains « séminaristes » semblaient avoir des petites amies. En effectuant des recherches dans le séminaire, ils découvrirent que ces étudiants étaient en réalité d’anciens officiers SS qui se cachaient, et animaient une station de radio de pointe dans la cave.
  • L’évêque Alois Hudal, président du College Santa Maria de l’Anima à Rome, vit une corrélation directe entre les valeurs et objectifs du catholicisme et du nazisme, et s’identifia étroitement avec l’Allemagne sous la férule d’Hitler. Fervent admirateur d’Hitler et antisémite notoire, Hudal fonda après la guerre des organismes à Rome qui fabriquaient des cartes d’identité pour d’anciens Nazis allemands et autrichiens. Chose surprenante, les activités de Hudal pour les « réfugiés » étaient financées par la conférence américaine des évêques catholiques, qui approuvait un paiement mensuel de 200 dollars.
  • Monsignor Krunoslav Draganovic aida des Nazis croates à fuir l’Europe. Avec son siège dans le Monastère de San Girolamo à Rome, un certain nombre de criminels de guerre nazis haut gradés - à qui l’on offrit de nouvelles cartes d’identité - y trouvèrent refuge. (Scandaleusement, les forces américaines - qui avaient suivi de près le monastère de Draganovic en espérant arrêter des figures haut placées - se retirèrent en 1947. Cette année-là, la CIA fut fondée, et Draganovic fut considéré comme un informateur utile et un contact important dans l’œuvre de la nouvelle agence d’espionnage anticommuniste en Europe centrale).
  • Au niveau local, aussi, il y eut de nombreux contacts entre des Nazis et des prêtres locaux. En 1946, par exemple, eut lieu une évasion en masse du camp de prisonniers de guerre de Rimini en Italie ; alors que les forces américaines œuvraient à rassembler les prisonniers en fuite, elles découvrirent que des membres SS avaient trouvé refuge dans des monastères locaux et qu’on leur avait donné des laissez-passer de la Croix rouge.

La connivence de la Croix rouge

Enfin, l’émission de nouvelles cartes d’identité aurait été inutile sans les sauf-conduits que la Croix rouge internationale basée en Suisse avait émis à des réfugiés apatrides en Europe après la Deuxième Guerre mondiale.

« La majorité des gens qui firent appel à la Croix rouge étaient des réfugiés légitimes, » décrit Steinacher à Aish.com. « C’étaient des Allemands qui avaient été expulsés (de Pologne, d’Union soviétique, et d’autres pays) et avaient tout perdu. Mais étant donné que la Croix rouge ne fit pas de vérifications - aucune vérification, au fond - un certain nombre de criminels nazis et leurs collaborateurs de toute l’Europe ont pu aussi obtenir frauduleusement les documents. » Le nombre d’apatrides en Europe après la Seconde Guerre mondiale avoisinait les 30 millions. De toute évidence, au vu du chaos et de la confusion qui régnaient à cette époque, il était difficile de vérifier les dires de chaque candidat « apatride. »   

M. Steinacher fut l’un des premiers chercheurs à consulter les archives de la Croix rouge

Les archives de la Croix rouge à Genève furent fermées jusque dans les années 90, et M. Steinacher fut l’un des premiers chercheurs à les consulter. Ce qu’il découvrit le choqua.

« L’antisémitisme était très répandu à cette époque, » explique-t-il. « Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, il ne disparut pas en une nuit. Je fus néanmoins surpris par la virulence de l’antisémitisme au sein de l’Église catholique, » relève M. Steinacher, et « aussi parmi des directeurs d’organismes humanitaires », tel que Carl Jacob Burckhardt, président de la Croix rouge internationale. « Burckhardt ne s’est pas seulement contenté d’identifier le peuple allemand aux victimes en 1945, mais il semble aussi avoir accusé les Juifs de leurs souffrances. ”  

Les six années qui suivirent la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Croix rouge émit 120 000 laissez-passer, et ce, en effectuant des recherches très rudimentaires sur le passé des postulants, ou parfois, aucune vérification. Dans de nombreux cas, des responsables du Vatican demandèrent à la Croix rouge de fournir des laissez-passer à certains individus. Des documents de la Croix rouge circulaient aussi sur le marché noir, disponibles pour quiconque avait les moyens de payer pour fuir l’Europe.  

Combien de Nazis ont-ils reçu de laissez-passer pendant cette période ? Steinacher affirme qu’il est impossible de quantifier, mais suppose qu’ils se chiffrent en dizaines de milliers.

  • En 1946, la Croix rouge avait émis des laissez-passer à une division entière de Waffen-SS ukrainiens : 11 000 hommes et femmes, dont certains avaient servi comme gardiens de camps de concentration - et leurs familles. L’archevêque ukrainien Ivan Buchko avait adressé une pétition au Pape pour aider ce groupe à fuir ; après avoir obtenu la bénédiction papale, Buchko adressa une demande à la Croix rouge pour obtenir 9000 sauf-conduits. La Croix rouge émit les documents et les Ukrainiens quittèrent l’Europe, principalement vers le Canada.7
  • Un autre exemple de laissez-passer est celui de Hermann Duxneuner, un administrateur provisoire d’Innsbruck, qui décida de se charger de la « déjudaïsation » du Tyrol, fournissant des listes de Juifs destinés au meurtre et à la déportation. Il demanda et obtint de la Croix rouge un laissez-passer pour se rendre en Hollande ou au Brésil en 1946, mais il ne put l’utiliser. Il était activement poursuivi par les forces alliées en tant que criminel de guerre et resta caché. Néanmoins, en 1948, la Croix rouge émit un nouveau document pour ce criminel de guerre recherché, lui permettant cette fois-ci de voyager en Suisse, en Suède, en Norvège, en Belgique - tout port qui l’accepterait. Duxneuener finit par s’installer en Argentine.8

M. Steinacher voudrait que les lecteurs soient informés de l’étendue de la connivence de la Croix rouge. « Dans mes recherches, » soutient-il, « je démontre qu’il ne s’agit pas d’une lacune - ce n’était pas une erreur bureaucratique. La plupart de ces gens (les Nazis recherchés) voyageaient avec leurs vrais noms, et leurs vraies dates de naissance. La seule chose qui n’était pas réelle, c’était leur nationalité - il était stipulé qu’ils étaient apatrides, car le Comité international de la Croix rouge ne procurait de laissez-passer qu’à des apatrides. »

Une quête de justice

Tout en enquêtant sur la fuite de Nazis de l’Europe d’après-guerre, M. Steinacher travailla à l’origine pour le Bureau italien de justice militaire, qui enquêtait sur les crimes de guerre. Avec la fin de la Guerre froide, explique-t-il, une volonté politique se manifesta à nouveau pour enquêter sur ces cas anciens. 

Il travailla sur le cas d’Erich Priebke, qui assassina 335 Italiens lors d’une tuerie de représailles en mars 1944. Priebke avait émigré en Argentine depuis bien longtemps, mais fut extradé en Italie. « Je cherchais d’anciens documents d’archives pour obtenir des preuves sur ces criminels déjà âgés, » se souvient le professeur Steinacher, « et je me suis interrogé ; que fais-tu, Gerald ? Pourquoi ne les avons-nous pas arrêtés il y a cinquante ans ? Pourquoi maintenant ? Est-ce cela, la justice ? »

Finalement, poursuit M. Steinacher, il répondit à cette question avec une perspective d’historien. « Nous publions beaucoup de nouveaux documents qui seront exploités pour des recherches à l’avenir, » explique-t-il. « Poursuivre en justice des criminels de guerre nazis nous aide à mieux concevoir la période nazie. Des témoins racontent leurs histoires, de nouvelles recherches sont effectuées. »

« C’est une justice différée, » explique M. Steinacher. « La plupart de ces gens ont vécu leur vie, ils sont très âgés. Mais si vous lisez mon livre, si vous examinez les procès initiaux des crimes de guerre à Nuremberg, vous constaterez qu’il s’agissait aussi d’une justice très sélective. » Il cite l’exemple de Karl Wolff, qui fut l’adjoint d’Himmler jusqu’en 1943, lorsqu’il devint chef des SS en Italie. Wolff ne fut pas traduit en justice par les Alliés - il fut présent à Nuremberg - mais seulement à titre de témoin. Il n’eut même pas à quitter l’Europe, ni contraint de prendre la fuite : il reprit une carrière de négociant d’armes dans le sud de l’Allemagne dans les années 50. Or, si Wolff et des milliers de gens comme lui ont échappé à la justice, estime M. Steinacher, ce n’est pas une excuse pour ne pas traduire en justice d’autres criminels de guerre.  

La Torah nous demande : « Justice, justice, vous poursuivrez ! » (Deutéronome, 16:20). Il n’y a pas de « durée limite de conservation » pour la justice. Les recherches innovatrices du professeur Steinacher nous indiquent que bien qu’il soit tard, bien que ce soit partiel, il est encore en notre pouvoir de comprendre pourquoi de si nombreux criminels de guerre nazis ont échappé à la justice et, dans certains cas, il convient d’apporter une conclusion à ces dossiers, alors que s’achèvent les tout derniers procès de crimes de guerre de cette période.


  1. “Una banda di falsari presente all’appuntamento: Il sequester di valuta italiana e straniera per un ingente valore nonché della attrezzatura per la compilazione di carte d’identitá” Alto Adige, 1er mai 1947, p. 2, cité dans Nazis on the Run.
  2. Pierangelo Giovanetti, “La salvezza arrive da Termeno”, l’Adige, 30 juillet 2003, p. 15, cité dans Nazis on the Run
  3. “Eichmanns gefalschter Pass entdeckt”, Der Spiegel, 30 mai 2007, cité dans Nazis on the Run
  4. Aaron Freiwald, Martin Mendelshohn, The Last Nazi: Josef Schwammberger and the Nazi Past [New York: Norton 1994], cite dans Nazis on the Run.
  5. Vincent La Vista à Herbert J. Cummoings, 15 mai 1947 (top secret), NARA, RG 84, Autriche, conseiller politique, Gen. Dossier 1945-55, entrée 2057, 2,2, cité dans Nazis on the Run
  6. Phayer, Michael, Pius XII, the Holocaust, and the Cold War (Bloomington: Indiana University Press, 2008)
  7. Klewe, Ernst, Persilscheine und faalsche Passe: Wie die Kirchen den Nazis halfen (Frankfurt am Main: Fischer, 1991), cité dans Nazis on the Run
  8. Le représentant politique du gouvernement autrichien à Rome, Dr. Buresch, au vice-préfet Giuseppe Migliore au Ministère de l‘Intérieur et avec une lettre d’accompagnement à Conte Vittorio Zoppi, Direttore Generale degli Affari Politici, Ministero Affari Esteri, Rome, 21 décembre 1946, ACS, Int. D. G., P. S., Div. AA. Massime 14, “Istruzione di Polizia Militare”, dossier 83, classeur 69, cité dans dans Nazis on the Run

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