Développement Personnel

Confessions d’un bouton

05/02/2015 | par Yaakov Salomon

On a tous une mission sur terre. Mais quelle pouvait bien être la mienne?

La vie d’un bouton n’a rien de facile.

Pour commencer, j'habite dans une usine. C'est bruyant, il fait chaud et il y a beaucoup de monde. Ce qu'on attend en général de la vie, mes camarades boutons et moi, c'est d'avoir le privilège d'être rattaché à un costume.

Je suis né il y a quelques mois à New Delhi. On dit de New Delhi qu'elle est belle, mais je ne saurais en dire autant. J'ai passé tout mon temps dans une caisse énorme, entouré d'"amis" du même acabit que moi. J'attends simplement, avec patience ou autrement, d'être mis en service. Du coup, je ne prends pas souvent l’air.

Un jour, vous pouvez être le Roi qui domine un complet deux pièces en cashmere de chez Burberry, tandis que le jour suivant, vous pourriez être lancé sur les rails du RER.

Certains de mes camarades boutons sont beaucoup plus âgés que moi. Beaucoup d'entre eux ont déjà fait leur apparition sur divers vestes, manteaux, chemises, et ils nous guident, jeunes recrues qui attendent encore leur première incursion dans le Monde de l'Habillement. Quand chaque nuit l'intensité des lumières baisse dans l'usine, et que s'élève le bourdonnement des boutons, j'écoute les vétérans raconter leurs "blessures de guerre"- la fois où ils se sont perdus après une séparation douloureuse, quand ils se sont fissurés, ou le jour où ils ont été remplacés sans ménagement. C'est effrayant de voir comment un jour vous pouvez être le Roi qui domine un complet deux pièces en cashmere de chez Burberry, tandis que le jour suivant, vous pourriez être lancé sur les rails de la ligne D du RER en direction de Melun.

Restons optimiste. Il y a du boulot à l'usine. Chaque matin les tailleurs et les couturières font la queue pour déposer leurs ouvrages. Il me suffit à moi de m'assoir, d'attendre, d'observer, et d'espérer.

Est-ce qu'aujourd'hui sera le grand jour? Quand serai-je élu? Combien de temps dois-je rester là à regarder mes amis être choisis, cousus, et les voir accomplir le but qui leur est échu dans la vie?

Wouah! Regardez-moi ça! Mon amie vient d'être apposée sur une robe de soirée en mousseline de soie beige magnifique. Elle a l'air si fière. Je suis tellement heureux pour elle. Elle fréquentera les plus beaux endroits et se mêlera aux gens "de la haute société". C'est ce dont elle a toujours rêvé.

Mais moi, qui je suis? Je ne suis qu'un simple bouton bleu marine, conçu dans une matière naturelle, un bouton de costume en corne véritable. Il m'arrive de rêver d'être un bouton de pression en laiton brillant, un alliage en zinc, une boucle en étain, ou encore un de ces adorables bouton à breloques rose de duffel-coat. Mais soyons honnêtes. Ce n'est pas le cas. Tout simplement. Ce qui ne signifie pas que je suis inutile. Oui, mon jour viendra. J'en suis sûr.

UN MOIS PLUS TARD

C'était un mercredi après-midi. Il était tard. Comme d'habitude, j'avais passé la journée à attendre... Pas moins de 30 boutons avaient été retirés de ma caisse. Cela faisait beaucoup d'au-revoir en un seul jour. Dire que je ne me sentais pas triste serait un mensonge. Et puis c'est arrivé. Incroyable! Je me suis senti propulsé en l'air et bercé dans la main la plus douce qu’on ne puisse jamais imaginer.

"Alors c'est ça," marmonnai-je en moi-même. Je ne savais pas si je devais rire ou pleurer. Je crois que j'ai fait les deux en même temps. Je savais que ma maison, mes amis me manqueraient, mais finalement j'allais devenir quelqu'un. Et j'aurais un but, je serais chargé d'une mission.

Raj, le tailleur, était expéditif mais efficace. Il venait juste de finir ce qui ressemblait à un blazer en laine de la taille d'un petit garçon et se préparait à l'orner de trois boutons sur le devant. Sans faire un bruit, j'attendis mon tour, collé tout contre la machine à coudre. Je regardai Raj monter précautionneusement le premier bouton. N'eût été la cacophonie de la machine, l'usine entière aurait pu entendre les battements soutenus de mon cœur.

La vie affluait à peine, et déjà elle s'échappait. J'étais tout simplement accroché à ma place - inutile.

Raj souleva le bouton qui était à côté de moi et le fixa avec douceur à la seconde place - à peu près à deux pouces en dessous du bouton du haut. La prévision était accablante. Et alors... venu de nulle part, cela m'est tombé dessus! J'allais être placé en troisième position! Après toute cette attente, après tous ces rêves et ces espoirs, j'étais tout à coup désigné pour le bas inutile, stérile et abandonné de la boutonnière.

Dans mon excitation d'être enfin choisi, j'avais complètement oblitéré la "malédiction". Le bouton du bas n'est que décoratif. Jamais on ne le ferme, jamais on ne l'utilise et généralement, jamais on ne le remarque. Il tombe en léthargie tant que dure la vie du vêtement puis est jeté au loin lorsque la veste rend l'âme. Quel genre de vie est-ce?

Raj fit courir l'aiguille et le fil à travers mon cœur brisé et m'épingla méticuleusement au cœur d'une vie carcérale. La vie affluait à peine, et déjà elle s'échappait. J'étais tout simplement accroché à ma place - inutile. Quel autre choix avais-je, en fait?

J'ai enduré plusieurs semaines de stockage et de transport pour finalement me diriger vers l'étagère d'une boutique de prêt à porter pour jeunes garçons au Sentier. Les clients étaient assez agréables. Les probabilités de trouver un accueil chaleureux et affectueux semblaient raisonnables. J'ai accepté avec sérénité ma "position", dans la vie, mais j'ai compris que malheureusement, il ne me serait pas donné de m'accomplir véritablement.

Un jour, une maman accompagnée de son fils se pointa à la boutique. Elle demanda à voir un blazer qui correspondait exactement au mien. La dame portait des bijoux de luxe et des chaussures coûteuses, et le garçon arborait un espèce de plastron qui lui donnait plus que son âge. Je commençais à me figurer une vie qui serait confortable, même somptueuse, quoique virtuelle. Je fis une prière en silence, espérant qu'ils m'accueilleraient dans leur famille. Maman a exploré le rayon et m'a effectivement sorti du cintre.

"Essaie celle-ci, David", proposa-t-elle. A nouveau mon cœur battit la chamade. J'aimais le prénom David, et j'espérais désespérément trouver mon chez moi. Hélas, je n'étais pas la bonne taille. David devait affectionner les hamburgers-frites et les Coca XL. Même les boutons numéros un et deux menaçaient de sauter. Quant à moi, naturellement, on ne me calculait même pas. Tristement, je retournais sur mon perchoir.

Un peu plus tard dans l'après midi, je remarquais un autre binôme mère / fils faisant son entrée dans le magasin. Cette dame semblait assez simple. Sa mise était impeccable mais elle n'avait pas fait l'objet d'une recherche particulière. Et je ne savais dans quelle catégorie ranger son fils. Il avait des traits singuliers pour un garçon de son âge. Ses yeux étaient légèrement inclinés en amande et son nez paraissait petit, même un peu aplati. Ses oreilles étaient petites également. Mais il avait un sourire merveilleux. Il parlait peu, mais quand il s'exprimait, il trébuchait sur les mots.

M. Gertz les dirigea vers moi. A nouveau mon espoir grandit. Mais j'étais empli de doute. Je n'étais pas sûr qu'il constituât le port dans lequel j'avais toujours rêvé de jeter l'ancre de mon navire.

Maman évaluait les prix sur les étiquettes des vestes rangées dans le coin, mais le garçon semblait être focalisé sur moi.

"Reste près de maman, petit cœur. Tu risques de te perdre autrement," lui intima-t-elle.

Mais le petit cœur ne prêta pas attention à l'injonction. Il se fraya un chemin jusqu'à mon rayon, et l'air très déterminé, nous tira avec maladresse, moi et ma veste avec jusqu'à terre.

"Tu fais du désordre", dit tranquillement Maman qui le prit par la main et le tira à elle.

J'étais triste pour Petit Cœur. Il n'avait aucune mauvaise intention. Il essayait juste d'être indépendant. Pendant ce temps-là, je gisais sur le sol attendant qu'on me récupère. M. Gertz n'était nulle part en vue. Je me demandais combien de temps j'allais devoir rester dans cette posture sur le sol froid. Mais cela ne dura pas longtemps. C'était sans compter Petit Cœur qui se détacha de l'emprise de sa mère et courut vers moi à nouveau. Cette fois il nicha avec succès la veste entre ses mains moites et commença à enfiler les manches.

Sa mission réussie, un sourire énorme lui éclaira le visage. Il était absolument adorable. Avec la fierté d'un diplomate, Petit Cœur alla de sa propre initiative jusqu'à un miroir proche. Maman le suivit dans son évolution et avec une résignation qui devait lui être coutumière elle marcha jusqu'à lui. Elle ferma le premier puis le second bouton et sembla songer à une autre éventualité avec sérieux. Une fois de plus, je restais là à attendre.

Cela a pris quelques secondes, mais c'est réellement arrivé. Il m'a fermé. Moi! Le bouton numéro trois - le bouton inutile!

Elle fit volte-face pour trouver M. Getz, et nous laissa seuls l'espace d'un instant. C'était tout ce dont on avait besoin. Petit Cœur jeta un regard confiant dans le miroir et se pencha jusqu'à mes quartiers. Je faillis crier d'euphorie. Petit Cœur fouilla de ses mains moites. Je pensais qu'il suffisait d'un rien pour qu'il m'expédie à travers la pièce. Cela a pris quelques secondes, mais c'est réellement arrivé. Il m'a fermé. Moi! Le bouton numéro trois - le bouton inutile!

M. Getz fit son apparition et tâcha d'enseigner à Petit Cœur le sens des convenances et de l'étiquette. Il me défit une fois... deux fois mais peu importait à Petit chéri. Maman fit quelques tentatives également, mais mon ami avait son idée bien arrêtée. Je ne serai pas abandonné. Jamais.

Nous avons avancé jusqu'à la caisse, mais Petit Cœur et moi-même ne nous séparerions plus. Il insista pour garder la veste sur lui jusqu'à la maison - boutonnée: un, deux et trois.

Petit Cœur a aimé cette veste. Il l'a portée tant qu'il l'a pu. Et quand il est devenu plus grand qu'elle... il l'a portée malgré tout, tout simplement - autant que faire se peut.

On peut dire que Petit Cœur a aimé cette veste.

Et que moi, j'ai aimé Petit Cœur.

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