Odyssées Spirituelles

Agir, un point c'est tout...

16/02/2015 | par Aish.fr

Il aura suffi d’une péridurale maladroite pour que Michèle, épouse et mère débordante d’énergie, perde l’usage de ses jambes. Mais ce n'est guère cela qui l'empêchera de croquer la vie à pleines dents...

Chabbat dernier, comme mon mari se trouvait en Angleterre pour un voyage d’affaire, j’ai reçu une amie et ses trois enfants à la maison, parce que son mari à elle aussi était à l’étranger. Une autre amie qui avait accouché il y a quelques temps voulait « souffler un petit peu », et s’est donc jointe à nous pour le Chabbat avec son mari et ses deux enfants. Il y avait aussi une nounou qui dormait à la maison pour nous aider à gérer cette pouponnière improvisée, une autre jeune accouchée accompagnée de son nourrisson, ma belle-mère, et mes propres sept enfants.

Autant vous dire que la maison était bien remplie, avec quatre bébés qui avaient tous moins de sept mois, deux bambins, plus trois autres enfants de plus de cinq ans. Le simple fait de gérer les couchages, les repas, les changes, les biberons et les mille et un petits soins à accorder à tous ces invités aurait suffi à désemparer la plus organisée des directrices de crèches…

Voilà pour cette semaine…

La semaine dernière, j’avais invité une autre amie avec ses deux enfants en bas âge. Elle était restée quatre jours, pendant que son mari emmenait leurs aînés rendre visite à leurs grands-parents. Jeudi matin, alors que je m’apprêtais tout juste à envisager mes préparatifs de Chabbat, mon voisin du dessous a frappé à la porte. (Sa femme était partie visiter son père malade.)

— Dis, Michèle, comment on s’y prend pour cuire un poulet ?

— Ne te fais pas de souci, Samuel. Tu peux m’apporter le poulet et je me chargerai de te le cuisiner. Cela dit, je ne pense pas qu’un seul poulet te suffira. Tu as tout de même huit bouches à nourrir, sans compter la tienne.

— C’est bon, on se calera l'estomac avec de la soupe.

— D’accord, apporte-moi ce poulet.

— Michèle, sans vouloir abuser de ta gentillesse, puis-je te poser une dernière question ?

— Bien sûr, Samuel, je t’écoute.

— Comment fait-on une soupe ?

— Tu sais quoi, Samuel ? Vous n’avez qu’à vous joindre à nous pour le dîner de vendredi soir. Tu m’apporteras une table pliante et des couverts et puis on s’arrangera. Ça marche ?

Nous avons souri tous les deux, et j’espère qu’au moins l’un de nous deux a été soulagé par cette conversation. Résultat, ce vendredi soir, nous étions sept adultes et 17 enfants à table. J'ignore comment, mais nous avons même réussi à caser trois chaises hautes et un couffin autour de la table.

Quand je raconte ce genre d’aventures à mes amies, elles me demandent toujours : « Mais comment fais-tu ? Mais comment t’y prends-tu ? »

En réalité, ce qui les étonne vraiment, c’est que j’assure la gestion de ma « maison du bon dieu » du haut d’une chaise roulante.

Voyez-vous, il y a un quatre ans, pendant l’accouchement de mon cinquième enfant, j’ai fait le choix d’accoucher sous péridurale. Malheureusement, la piqûre a causé des saignements dans ma colonne vertébrale, et à cause de la négligence du médecin et de l’équipe médicale, j'en suis devenue paraplégique.

Je ne préfère pas m’étendre sur les bouleversements que cet incident a occasionnés dans ma vie et celle de ma famille. Au lieu de passer quelques jours à l’hôpital, suivis de quelques jours en maison de convalescence comme cela est la coutume en Israël, pour rentrer à la maison juste à temps pour la Brit-Mila (circoncision), j’ai passé trois jours dans un lit hôpital sans savoir ce qui m’était arrivé. Puis, au beau milieu de la nuit, une ambulance m’a conduite d’urgence dans un autre hôpital de Jérusalem pour subir une opération qui, selon les avertissements des chirurgiens, ne m’aiderait en rien vu qu’ « il était déjà trop tard. »

Sur l’insistance de mon chirurgien, j’ai assisté au Brit de mon bébé. J’y suis arrivée en ambulance, et étonnamment en forme, compte tenu du tourbillon que je venais de subir la semaine passée.

Je n’ai pratiquement pas mis les pieds chez moi pendant les six mois qui ont suivi, que j’ai passés au service de réhabilitation de l’hôpital Hadassa à subir d’innombrables séances de physiothérapie et ergothérapie, aussi bien que des leçons de vie de la part du personnel infirmier et des patients côtoyés. Il serait impossible de compter le nombre d’heures que j’ai passées en compagnie de mes physiothérapeutes, d’assistantes sociales, d’infirmières, d’architectes d’intérieur et de constructeurs, ainsi que ma famille, mes amis et les patients de l’hôpital, à discuter et à planifier le déroulement de ma vie une fois que je retournerai auprès des miens.

« La cuisine doit m’être facilement accessible. Je cuisine beaucoup et je reçois beaucoup de monde. »

« Le salon doit être ouvert et spacieux. Nous organisons beaucoup de cours de Torah chez nous, et nous aimons accueillir beaucoup d’invités le Chabbat. »

« Je veux garder ma place de maman. Il faut aménager la maison de manière à ce que je puisse donner le bain à mes enfants, leur donner à manger, et les aider à faire leurs devoirs. »

« Il faut prévoir de la place pour un berceau. Quand on aura d’autres enfants, si Dieu veut, je voudrai les avoir près de moi. »

« D’autres enfants ?! » Les médecins et infirmières, pour la plupart des immigrants russes, avaient du mal à croire leurs oreilles quand, peu de temps après, mon mari et moi les avons questionné quant aux conséquences de mon handicap sur des futures grossesses et accouchements.

« D’autres enfants ?! » Même mon architecte d’intérieur, une amie intime et l’épouse d’un érudit de renom, a été choquée par la simple pensée. « J’étais incapable de te prendre au sérieux quand tu me parlais d’avoir d’autres enfants, m’a-t-elle avoué récemment. Mais je ne voulais pas te décourager, avec j’ai donc joué le jeu. Et maintenant, regarde le résultat ! Tu as deux enfants de plus, et tu te portes à merveille ! »

« Se porter à merveille. » Mais que veulent-ils dire au juste ?

« Tu te portes à merveille ! » Voici une expression que j’entends beaucoup autour de moi. De la part de mon mari, de mes amis, et de nombreuses autres personnes qui me connaissaient d’avant, quand je les croisais dehors.

« Se porter à merveille. » Mais que veulent-ils dire au juste ? Est-ce parce que je me débrouille sans aide extérieure ? Non, je reçois énormément d’aide et suis entourée d’une armada de baby-sitters, femmes de ménage et jeunes filles de séminaires qui viennent régulièrement me donner des coups de main.

Est-ce parce que je ne manifeste jamais de colère ni de frustration quant à mon handicap ? Non, il y a de nombreuses choses qui éveillent ma colère et ma frustration : comme le fait que je rate de nombreuses fêtes puisque les salles de réception ne sont pas accessibles ou que l’ascenseur est en panne ; le fait que je puisse rarement accomplir une quelconque tâche ménagère sans l’aide d’une tierce personne pour m’aider à prendre un objet qui se trouve en hauteur ou encore ramasser quelque chose qui m’a échappé des mains ; toutes les fois où je suis restée coincée à la salle de bains parce qu’un certain membre de ma famille avait laissé la porte de ma chambre ouverte, m’empêchant donc de sortir de la douche en toute discrétion ; toutes les fois où je suis restée coincée au lit parce que je n'avais pas d’habit à portée de main et que personne n’était à la maison pour me donner un coup de main, ou parce que l’essieu de ma chaise roulante était cassé, ou le pneu crevé ; toutes les fois où l’on m’a laissé en plan dans la rue ou le parking, des larmes de frustration jaillissant de mes yeux parce que l’on m’avait bien assuré que le bâtiment était accessible aux handicapés alors que ce n’était pas le cas ; toutes les fois où je me suis retrouvée seule à la maison en compagnie d’un bébé qui, il y a quelques minutes auparavant jouait tranquillement par terre, s'est mis à hurler au moment où il n’y a plus personne pour le prendre dans les bras.

Je pourrais vous donner d’innombrables autres exemples de mon infirmité, mais cela n’aurait aucune utilité, et ce n’est vraiment pas sur ce point que je voudrais insister.

Mais alors que veulent donc dire mon mari, mes amis et mes voisins quand ils affirment, d’un hochement de tête approbatif, que « je me porte à merveille » ? Je suppose qu’ils font référence au fait que j’accepte le sort que le Tout-Puissant m’a destiné avec sim’ha, avec joie, et avec l’intime conviction que la voie qu’il m’a tracée émane de Sa sagesse infinie.

Ils font peut-être aussi référence au fait que plutôt de m’apitoyer sur mon triste sort, j’ai choisi de croquer ma vie à pleine dents, en amenant d’autres enfants en monde, en invitant toujours plus de personnes le Chabbat, et me consacrant à toujours plus de projets de bénévolats.

Ou sans doute pensent-ils au fait que je me suis efforcée de travailler sur ma propre personnalité tout au long de cette épreuve, et qu’elle m’a peut-être rendue meilleure qu’auparavant.

Mais de mon côté, je ne vois pas les choses de la même manière. Je ne reste pas les bras croisés à me demander si je me porte à merveille ou non. Je suis trop occupée à mener ma vie, à élever mes enfants, à cuisiner mes petits plats, à écrire mes histoires, à jouer dans des pièces de théâtre, à me faire des amis.

Je ne me porte pas à merveille. Je me contente d’agir. Un point c’est tout.

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