Odyssées Spirituelles

Un hommage à Benny Lévy par son épouse

03/11/2013 | par Laly Derai

10 ans après le décès de Benny Lévy, son épouse publie un livre qui donne envie de découvrir le parcours de l’homme qui est passé de "Moïse à Moïse en passant par Mao".

Dix ans après son départ de ce monde, Benny Lévy reste encore un mystère pour la plupart d’entre nous. Ceux qui aiment les raccourcis parlent de l’homme qui est passé « de Mao à Moïse », ceux qui cherchent un peu plus loin comprennent que cet abrégé est bien trop réducteur. Sa veuve, Léo Lévy, vient d’écrire un livre, « À la vie », qui n’est pas une biographie à proprement dite, mais un récit venu donner à ses lecteurs l’envie de comprendre le parcours de son mari à travers les écrits et les conférences de son mari.

Benny Lévy. Pour la plupart d’entre nous, ce nom évoque celui d’un philosophe, secrétaire de Jean-Paul Sartre, tête pensante des évènements de mai 68, maoïste, ami d’Alain Finkielkraut et de Bernard Henri Lévy, revenu à la Torah, « redevenu juif » comme il le dit, monté en Israël, décédé à Jérusalem, il y a précisément dix ans.

Benny et Léo (Paris, 1968)Benny et Léo (Paris, 1968).

Mais pour Léo Lévy, il était simplement Benny. Le mari, le père de ses enfants. Elle l’a suivi dans toutes ses aventures, dans tous ses engagements. Elle a vécu avec lui les galères, les joies, les vexations, les jalousies, les efforts, l’étude jour et nuit, le refus de laisser la mièvrerie guider leurs pas.

Son livre, son récit, qu’elle a appelé « À la vie », elle a mis neuf ans à l’écrire.
« À la vie » n’est pas une biographie. Il n’est pas là pour raconter un itinéraire précis. « Mon travail n’a pas été exhaustif. Je n’ai pas voulu écrire l’histoire de nos vies, ni même écrire une biographie disons intellectuelle. J’ai voulu tracer des repères qui donneraient envie aux lecteurs de lire les livres de Benny, d’aller voir le corpus qu’il a laissé. J’ai voulu également rétablir la vérité sur certains faits. Parce que beaucoup de sottises ont été dites sur lui, beaucoup d’idées préconçues ont circulé. J’ai voulu mettre un terme à un certain nombre d’écrits et de propos tenus sur Benny qui ont déformé ce qu’il était. Mais surtout, je ne voulais pas que la lecture de mon livre vienne remplacer la lecture de ses livres et des séminaires retranscrits ».

« Noir. Noir profond de la nuit. Un éclat de lumière, un instant suspendu, retombe et s’envole. C’est le vent, le vent d’au-delà des collines qui joue avec le coin d’un talit, cape légère drapée sur les épaules d’un petit homme, balancée au rythme de sa marche. Bientôt le point du jour, le moment de la première téfila - la téfila : un Juif debout devant le Maître des mondes ».

C’est par ces phrases que débute le récit de Léo Lévy. C’est ainsi qu’elle a choisi de commencer l’histoire de Benny Lévy et de présenter ces facettes.

Philippe Gavi, Jean-Paul Sartre, Pierre Victor (Benny Lévy) lors de la présentation du livre On a raison de se révolter (Paris, 1974).Philippe Gavi, Jean-Paul Sartre, Pierre Victor (Benny Lévy) lors de la présentation du livre On a raison de se révolter (Paris, 1974).

De raconter cette rencontre entre l’émigré sans terre, venu d’Égypte étudier et révolutionner Paris et elle, issue d’une famille sauvée in extremis de la déportation, étudiante aussi, mais appartenant à la « piétaille » quant à son engagement militant. Une rencontre « étrange », mais moins que « la constance malgré les turbulences ». Parce qu’il n’est pas évident d’être un couple marié - et de le rester - dans le Paris de cette époque. Surtout pour quelqu’un d’aussi engagé politiquement que Benny Lévy.

Léo a été un témoin direct de quasiment toutes les étapes de la vie de Benny. Elle a certes raté la naissance, en Égypte, dans une famille contrainte, par manque de ressources, à déménager chez les grands-parents maternels. Elle n’était pas là lorsqu’« un mot, chuchoté avec ferveur », arrive jusqu’à Benny : « communisme ». Elle n’a pas assisté à l’exil vers la Belgique, après la crise du canal de Suez, en 1956.

Benny Lévy lit la « Décision en seize points » de Mao Tsé-Toung (Bretagne, 1966).Benny Lévy lit la « Décision en seize points »
de Mao Tsé-Toung (Bretagne, 1966).

« Ni Égyptien, ni Belge, un être juif qu’il veut gommer : que reste-t-il ? Pour son salut, il est condamné à s’inventer un avenir - il sera français -, et à construire un refuge : le sovkhoze », qui réunit un groupe de jeunes adolescents venus « discuter comment choisir le bien à chaque moment de l’existence ». C’est là que Benny lit Sartre pour la première fois.

Et puis c’est le départ vers Paris, l’entrée à Louis le Grand pour préparer le concours d’entrée à l’École Normale supérieure (ENS), la rencontre avec Léo, l’engagement politique et puis la création du groupe révolutionnaire maoïste, la Gauche prolétarienne (GP), et sa dissolution en 1974.

Fête avec Sartre pour la naturalisation de Benny Lévy (Paris, 1975).Fête avec Sartre pour la naturalisation
de Benny Lévy (Paris, 1975).

C’est là qu’il devient l’assistant de Jean-Paul Sartre puis obtient finalement la nationalité française, en 1975, grâce au philosophe qui en fait la demande au président Valéry Giscard d’Estaing. Et puis la découverte, essentielle, d’Emmanuel Lévinas et de ses écrits.
Sur cette époque, Benny Lévy dira : « J’ai une grande chance, je n’ai jamais été juif-français. Quand je voulais être français, je n’étais pas juif, j’étais haineux de moi-même. Et quand Sartre m’a naturalisé, je commençais à être juif. Donc pas de trait d’union juif/français ; quel bonheur ! »

Les Lévy « commencent » donc à « être juifs ». Ils sortent de leur vision politique du monde. Léo ne parle pas de ce changement en termes de révolution. Ici, pas de révélation. Mais un chemin logique, « de Moïse à Moïse en passant par Mao ».

Pour leur entourage, il s’agit pourtant d’un tournant incompréhensible : « Ce qui a pour nous l’évidence d’un accord retrouvé reste parfaitement opaque pour les proches de l’ex-GP. « Les textes, lui dit l’un, je comprends que tu t’y intéresses, mais séparer les petites cuillers ! » raconte Léo.

Benny a toujours prôné un engagement total dans ce qu’il croyait.

« Pour nombre de nos amis, il existait un écart tangible entre le fait d’être intellectuellement convaincu et le passage à l’acte », nous confie-t-elle. Pourquoi, chez les Lévy, cet écart n’existe pas ? « Parce que nous étions ensemble, d’abord. Benny a toujours souligné la responsabilité de la femme dans l’engagement religieux familial. Mais ce n’est qu’une partie de l’explication. Benny a toujours prôné un engagement total dans ce qu’il croyait. Lors de sa période politique, lorsqu’il enseignait quelque chose, il fallait la vivre immédiatement. Lorsque nous défendions la cause ouvrière, j’ai travaillé dans une usine. Pas comme ces personnes qui veulent défendre les jeunes des banlieues de leur appartement cossu du 5e arrondissement. Il n’a jamais existé de hiatus entre ce que nous pensions être vrai et notre manière de vivre ».

Arrivée de la famille Lévy à l’aéroport Ben-Gourion (Israël, 1995).Arrivée de la famille Lévy
à l’aéroport Ben-Gourion (Israël, 1995).

Le passage à Jérusalem est également vécu comme une suite naturelle de l’engagement des Lévy : « Nous t’avions oubliée, Jérusalem, nous avions erré, déserté. Nous avions servi des dieux étrangers, sacrifié à des théories étrangères. À ces Moloch modernes, nous avions livré nos enfants, ceux déjà nés, ceux qui auraient pu naître, parce que nous avions oublié le geste fondateur d’Abraham, le premier « casseur », le premier briseur d’idoles. Retrouver le geste fondateur ne fut pas l’affaire d’un instant, d’une illumination nocturne, ni l’effet d’un glaive dans les reins, mais un long travail », écrit Léo. Benny, lui, affirmera : « Je suis à Jérusalem pour dire ce que je pense, librement. […] Je ne demande à personne ni de me suivre, ni de m’aimer ». Mais aussi : « Quand je suis entré à la yéchiva à Strasbourg, j’étais encore athée. Il faut lernen (étudier) de plus en plus pour se débarrasser de l’athéisme, la klipa (écorce) par excellence. Et ça m’a amené à Jérusalem. Je crois avoir eu les meilleurs maîtres en France, et je leur suis immensément reconnaissant de ce qu’ils m’ont appris. Mais c’est à Jérusalem, dans la Torah d’Eretz Israël aujourd’hui qu’on va jusqu’au bout du retour à la Torah ».

Benny Lévy chez lui, étudiant une page du Talmud. (Jérusalem, 2002).Benny Lévy chez lui, étudiant une page
du Talmud. (Jérusalem, 2002).

C’est à Jérusalem que, pour la première fois de sa vie, Benny Lévy se sentira « chez lui ». Et c’est là qu’il décède, juste avant Souccot, il y a 10 ans.

«Les textes, lui dit l’un des proches de l’ex-GP, je comprends que tu t’y intéresses, mais séparer les petites cuillers!»

C’est ainsi que Léo conclut son récit : « Benny repose devant les collines de Jérusalem. Il est parti le même jour que le Gaon de Vilna. On peut lire, gravé sur le marbre de sa tombe, le verset de Jérémie : « Parcourez en tous sens les rues de Jérusalem, scrutez, cherchez dans ses places : si vous trouvez un homme, un seul, qui pratique la justice, un homme de confiance, la cité obtiendra de moi son pardon « Et ces paroles de son rav : « C’était un homme à la pensée pleine d’audace, sans prétention et hassid, un disciple d’Abraham, il a employé toutes ses forces à briser les idoles, les conceptions édomiques, après qu’il a vu la ville en flammes et qu’il a connu son créateur ».

Cet article a paru dans le magazine Hamodia.

Crédits photos : Éditions Verdier.

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