Odyssées Spirituelles

Elever Yehuda

01/05/2012 | par Nechemia Coopersmith

Etre les parents d’un bébé trisomique nous a permis de voir notre rôle de façon différente et de comprendre ce qui donne un sens à la vie.

Le Tout-Puissant donne à chacun ce dont il a réellement besoin bien qu’il ne soit pas toujours évident de reconnaitre Ses bienfaits. Six semaines après que ma femme ait donné naissance à notre fils trisomique, je commence seulement à réaliser que nous avons en fait reçu un précieux cadeau.

Cette prise de conscience n’a pas été immédiate. En fait, la première fois que j’ai vu mon fils à la maternité, entouré d’appareils de toute sorte, attendant d’être opéré pour une occlusion intestinale, le sentiment qui m’envahit fut l'incrédulité.

Ce n'était pas qui nous avions espéré comme quatrième enfant : ce n’était pas le fils qui allait grandir et devenir un érudit de la Torah. J’étais tout au contraire brutalement devenu le père d'un garçon retardé qui allait dépendre de moi pour le restant de mes jours. Il me sembla que Dieu avait du se tromper quelque part.

Je me réveillai le lendemain matin avec l’espoir qu’il devait s’agir d’un terrible cauchemar. "Cela ne peut être vrai ..."

Mais pourtant ça l’était.

"Je peux me tromper, mais je crois que votre fils est trisomique », me dit le Dr. Gur peu après la naissance du bébé. J’étais assis face à lui, le regardant droit dans les yeux tandis qu’il parlait mais j’aurais pu tout aussi bien me trouver à des milliers de kilomètres de là. "Il a certains signes caractéristiques, les yeux bridés et une atrésie duodénale, une malformation intestinale causée dans 30% des cas par la Trisomie 21. Mais nous ne serons certains qu’avec les résultats du test de chromosomes, ce qui prendra au moins une semaine ".

«Mais tous nos enfants sont nés avec les yeux bridés ... c'est un des traits spécifiques de notre famille » rétorquai-je « De plus, il n’a pas tous les signes évidents. »

"J'espère me tromper. Nous allons devoir attendre les résultats des tests pour savoir avec certitude."

Plus tard, cette même nuit, j'eu une conversation avec mon rabbin, Rabbi Noah Weinberg. J’avais plus que jamais besoin de ses conseils. «Pensez aux changements que vous devriez faire, Dina et vous si vous deviez avoir un enfant trisomique», me suggéra t-il "De quelle manière le Tout-Puissant souhaiterait-il vous voir grandir ? Vous avez une semaine avant d’obtenir les résultats, faites ces changements dès maintenant."

Nous nous sommes raccrochés à l’espoir que notre bébé pourrait en fait être tout à fait normal. Les Juifs ne sont pas censés compter sur des miracles effectués au grand jour mais nous pouvons toutefois prier pour voir des miracles « cachés » s’accomplir, sous forme d’événements ne détournant pas les lois de la nature.

Peu importait où je me trouvais ou ce que je faisais, rien d’autre ne comptait pour moi que d’implorer Dieu, je n’avais que cela en tête.

Au cours de ces sept jours, je parvins à atteindre une intensité dans mes prières que je n’avais jamais connue auparavant. Pour la première fois de ma vie, je compris réellement ce que signifiait ce passage dans les Psaumes « Je suis ma prière vers Toi » (Psaumes 69:14). La vraie prière est lorsque tout notre être, corps et âme, implore Dieu avec une telle intensité, une telle douleur, un tel besoin que la personne elle-même toute entière devient prière. Peu importait où je me trouvais ou ce que je faisais, rien d’autre ne comptait pour moi que d’implorer Dieu, je n’avais que cela en tête.

Nous étions seuls, isolés de tous; personne ne savait ce que ma femme et moi traversions. Car nous avions décidé, afin de garder l'aspect « caché » de ce miracle tant espéré, de ne pas révéler le risque de Trisomie jusqu'à l’obtention des résultats définitifs. Nos amis attribuaient notre angoisse à l’intervention chirurgicale que devait subir le bébé et sa convalescence tandis qu’ à nos yeux, il ne s’agissait que d’un simple détail, compte tenu de l’ampleur de ce que nous vivions.

"MON FILS, LE DOCTEUR"

Le lendemain, je me réveillai en sursaut, ayant fait un rêve curieux. J'avais rêvé être poursuivi par une silhouette menaçante. Je courais aussi vite que je pouvais à travers des chemins sinueux de montagne, tentant désespérément de m’échapper, mais cette présence menaçante n’était toujours qu’à quelques pas derrière, prête à bondir sur moi. Comme je n’arrivais pas à la distancer, je pris conscience que le seul moyen de lui échapper était de me retourner et l’affronter, de la combattre face à face.

Je m’arrêtai donc soudainement, et faisant demi-tour me retrouvai face à l’inquiétante créature. « Je ne vais pas te faire de mal», me dit-elle en tendant la main. « Je suis là pour t’enseigner quelque chose ... »

Ce n’est guère mon genre d’attacher trop d’importance aux rêves, pourtant je reçus le message de celui-ci de plein fouet: « Ne fuyez pas le bébé; acceptez-le et serrez-le fort dans vos bras. Le Tout-Puissant l'a envoyé pour votre bien ».

Ce matin-là, tandis que le choc de ce message s’atténuait peu à peu, mon comportement commença à subir un changement radical. Je me penchai sur le berceau de notre bébé, qui venait d'être transféré à un autre hôpital pour son opération. C'était la première fois que je pouvais le regarder sans tout l’habituel équipement médical qui l’entourait jusqu'à présent. Il dormait paisiblement et je lui caressai tendrement la tête. Je fus alors submergé par une vague d’émotion et un élan d’amour envers mon fils si fragile et sans défense. J’ai soudain réalisé à quel point je m’étais montré égoïste. Qu’importait ma déception ou mes aspirations. Ce bébé avait désespérément besoin de moi. Il était temps de m’en rendre compte !

Me décidant enfin de reporter toute mon attention sur mon bébé et ses besoins sans plus me préoccuper de moi-même, j’en oubliai le risque de Trisomie. En faisant tout mon possible pour lui venir en aide, je commençai à être envahi de l'amour naturel d’un parent envers son enfant.

Nous avons passé cette semaine à l'hôpital tandis que notre fils se remettait de son opération. (« Votre fils est un battant », me dit le chirurgien. « Nous n'avons jamais vu un bébé récupérer aussi vite de ce genre d’intervention. ») Tout le temps passé assis à côté du berceau de mon bébé endormi me permit de réfléchir, de faire le point sur beaucoup de choses : mon rôle de parent, quelle vie pourrait avoir une personne aux facultés cognitives limitées et les changements qu’il me faudrait effectuer afin d’élever proprement un enfant trisomique.

Je souffrais du Syndrome «mon-fils-le-docteur », version religieuse.

Je pris conscience qu’un des aspects essentiels de mon rôle de parent était la fierté et l'honneur qui découlaient des réussites et succès de mes enfants. Je souffrais du Syndrome «mon-fils-le-docteur », version religieuse. La fierté et le respect ressentis par le père d’enfants devenus de riches professionnels à succès s’exprimaient, en ce qui me concernait, par l’attente que j’avais de les voir devenir les meilleurs dans l’étude de la Torah et le leadership juif. Dans les deux cas, l’aspiration commune est de voir la manière dont les enfants vont pouvoir réaliser le rêve de leurs parents et renforcer ainsi leurs statuts. Mon respect pour mes enfants était lié, dans une certaine mesure, à leurs réalisations.

Chaque parent sait combien cette attitude est erronée, mais il est pourtant extrêmement difficile de la déraciner. Ce n'est pas facile d'aimer nos enfants inconditionnellement, avec pour seule préoccupation de les aider à réaliser leurs uniques potentiels. Car que se passe t-il si ce potentiel se révèle inférieur ou très différent de celui que nous espérions?

Notre enfant n'est pas là pour répondre à nos besoins ou nos attentes. Le Tout-Puissant nous l’a confié, nous chargeant ma femme et moi d’une tâche sacrée, celle de l’aider à accomplir sa mission spéciale dans la vie. C'est mon rôle en tant que parent, que l'enfant soit né prodigieusement intelligent ou trisomique.

QUI FIXE LES LIMITES ?

Mais quelle pourrait bien être la mission de notre fils s'il est handicapé mental? Cette question m'a forcé à faire face à ce que nous pensions à tort, ma femme et moi, être une vérité absolue : a savoir la place prédominante accordée à l’intelligence dans le monde occidental. On accorde souvent plus de valeur à quelqu’un d’intelligent qu’à quelqu’un de « bien ». Mon fils peut ne pas exceller scolairement, mais il peut exceller en devenant un Tzaddik, un Juif pieux qui se soucie sincèrement des autres et s'efforce d'accomplir les commandements de la Torah au meilleur de sa capacité. C’est ce qui définit, au bout du compte, réellement une personne.

Toute l’angoisse qui m’agitait lorsque je pensais aux limitations mentales de mon fils était plus révélatrices de mes propres limitations que des siennes.

Ne vous méprenez pas. Nous exigerons néanmoins beaucoup de notre fils. Nous prîmes dès le départ la décision d’exiger de lui le plus possible sauf en cas de preuve de ses limitations; c’était à nos yeux la meilleure approche pour faire face à toute déficience innée. Notre joie n’allait cependant pas venir du fait que notre fils soit mieux que les autres, mais de le voir s’efforcer d’ atteindre les étapes qu’il se sera fixé pour atteindre pleinement son unique potentiel.

La veille de la sortie de notre fils de l'hôpital, le généticien confirma le diagnostic du Syndrome de Trisomie. Je ne pouvais le croire. J’avais vraiment espéré que tout irait bien : J’avais prié pendant toute une semaine avec tant de ferveur pour que notre fils ne soit pas diagnostiqué trisomique, et j’avais fait de mon mieux pour effectuer les changements que le Tout-Puissant semblait désirer.

Je dus faire un immense effort pour accepter la réalité. C’est alors que je compris que Dieu nous avons donné à ma femme et moi une tâche immense, et que si nous acceptions ce défi, que nous réussissions à élever notre fils si spécial, nos familles tout autant que nous-mêmes – en ressortiraient grandis. Peut-être ai-je enfin, pour la première fois cette semaine, accepté le fait que Dieu savait ce qui était vraiment le mieux pour nous, je l’avais finalement compris intellectuellement mais également ressenti dans ma chair. Tout allait bien se passer.

Rabbi Moshe Shapiro, un des rabbins les plus proéminents de Jérusalem, écrit dans une lettre adressée à un étudiant qui devint le père d'un fils trisomique ce qui suit:

Depuis la naissance de votre fils, Nota Shlomo, je suis amené à croire que si, avec l'aide de Dieu, vous réussissez dans la tâche qui vous a été donnée, alors il vous aura été fait un cadeau incomparable.

Cet enfant possède en lui la capacité d'accomplir ce que rien d'autre au monde ne pourrait faire – éveiller la merveilleuse et puissante énergie latente dans les profondeurs de votre cœur.

Le Tout-Puissant sait aussi ce qui est mieux pour notre fils. Ses capacités cognitives limitées indiquent que son âme élevée a moins besoin de rectification dans ce monde.

Rabbi Shapiro continue dans cette lettre:

Chaque néchama [âme] est envoyée dans ce monde dans le but de rectifier quelque chose de spécifique. La plupart des gens sont envoyés avant tout pour s'améliorer, puis ensuite aussi influer sur leur environnement selon leurs capacités. Il existe certaines neshamot, toutefois, qui sont envoyées sous forme de personnes dans l’incapacité de se rectifier convenablement. Pour expliquer leur existence, il est essentiel de comprendre qu’il s’agit de neshamot particulièrement élevées qui n’ont nul besoin de correction. Leur seul but dans ce monde est de corriger et améliorer leur environnement.

Un néchama d’une telle stature fut envoyée dans votre foyer. Acceptez- la avec beaucoup d'amour, et aidez-la à remplir la mission pour laquelle elle fut envoyée.

Puisse Dieu vous aider à mener à bien votre tâche - permettre à cette néchama de remplir à bien sa mission.

YEHUDA MEIR

Nous avons nommé notre fils Yehuda Meir, qui peut se traduire littéralement par « source lumineuse de gratitude."

Une des leçons que sa vie nous a déjà clairement enseignée est d'apprécier chaque petit pas que nous considérons d’habitude pour acquis. Lorsque Yehuda Meir, âgé alors de six semaines, tourna la tête et roula sur lui-même (les kinésithérapeutes refusaient au début de nous croire!), il déclencha une fête spontanée à la maison. Chaque étape de sa vie, même minuscule, sourire, s’asseoir, marcher, parler, sera considérée comme un énorme accomplissement et un cadeau du Tout-Puissant. Nous ne pouvons rien prendre pour acquis, pas même son bon état de santé générale (50% des enfants trisomiques souffrent de malformations cardiaques congénitales). Ce niveau accru de gratitude s’applique aussi bien à nos autres enfants.

Le nom "Yehuda" contient aussi le mot hébreu "hod", qui signifie beauté majestueuse et splendeur. Hod est une beauté particulière qui se révèle lorsque la spiritualité intérieure submerge l’enveloppe extérieure, et fait surface en s’infiltrant par les « coutures » de l’aspect physique.

Par exemple, lorsque Moïse descendit du mont Sinaï, des rayons de lumière - en hébreu "Karnei hod" - inondaient son visage et nul ne pouvait regarder sa contenance majestueuse. Cet éclat lumineux représentait la dimension spirituelle intérieure de Moïse qui ne pouvait être contenue par son aspect extérieur. Sa spiritualité intérieure a fait surface, perçant son enveloppe extérieure et dépassant ses limitations physiques, révélant son essence spirituelle si grande que la taille limitée de son enveloppe terrestre ne pouvait la contenir.

Chacun d'entre nous se voit confier certaines forces et limitations, créant ainsi notre spéciale tafkid, mission dans la vie. Notre tâche dans ce monde est de s'efforcer de dépasser nos limites et transformer notre vie en brillante source de hod, de beauté majestueuse – soit la signification du nom « Yehuda Meir».

Yehuda Meir, peut devenir lui aussi, tout comme n’importe quel Juif, une source divine rayonnante dans le monde.

Cela prévaut également pour le petit Yehuda Meir, dont les limitations sont plus évidentes. Bien qu'il ne puisse partager quantitativement une part égale de Torah et des compétences en leadership avec certains grands rabbins, il peut néanmoins s'efforcer d'obtenir une part égale qualitativement - non pas en dépit de ses limitations inhérentes, mais au contraire, par elles, en les utilisant comme un tremplin pour faire jaillir à la surface sa beauté intérieure. Yehuda Meir, peut devenir lui aussi, tout comme n’importe quel Juif, une source divine rayonnante dans le monde.

Il nous arrive encore quelquefois avec ma femme de trébucher sur des faits erronés, comme la préséance de l'intelligence sur la bonté, en imaginant comment notre fils pourrait devenir un des enfants trisomiques les plus intelligents, les plus accomplis. Nous sommes conscients que nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir, de nombreux défis à relever mais également et surtout beaucoup de joie à venir ! Et nous éprouvons déjà un immense plaisir à découvrir (avec nos autres enfants) notre adorable fils et à mieux le connaitre.

Toutes nos prières sincères durant la première semaine de la vie de Yehuda Meir n'ont pas été perdues. Nous avons le fervent espoir que Dieu recevra ces prières pour sa bonne croissance et son développement, tant physique que spirituel, l'aidant à devenir une source de bénédiction extraordinaire. Et puisse le Tout-Puissant nous éclairer, nous donner patience et sagesse pour mener à bien notre noble tâche qui est d’élever cette précieuse néchama juive.

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