Odyssées Spirituelles

La dompteuse de dragons

07/07/2015 | par Sara Yoheved Rigler

Très lourdement paralysée, Marcie Alter livre une bataille sans merci contre ses démons internes, armée d’une épée nommée courage et détermination. Une rencontre remuante.

Marcie Alter est une dompteuse de dragons insoupçonnée. Très lourdement paralysée, elle respire à l’aide d’une canule de trachéotomie, et ne peut ni parler ni manger. Et pourtant, depuis son lit de malade installé dans l’hospice français de Jérusalem, elle livre une bataille sans merci contre ses démons internes, et plus particulièrement contre ce spécimen pétrifiant qui tonne sans arrêt : « C’est bien trop difficile ! Ne prends même pas la peine d’essayer, tu n’y arriveras jamais. » Mais, jour après jour, Marcie terrasse ce dragon, armée d’une épée nommée courage et détermination.

Marcie, 49 ans, rédige actuellement son autobiographie, bien que le seul moyen lui permettant de taper sur son ordinateur spécialement équipé soit de manœuvrer une électrode collée à son front.

Récemment, elle a publié un livre de cuisine, bien qu’elle n’ait pas porté le moindre aliment en bouche depuis maintenant 8 ans. (Elle est alimentée par sonde gastrique.)

Marcie étudie la Torah chaque jour, bien qu’elle soit incapable de tourner les pages d’un livre.

Marcie a fondé un Cercle du Bonheur dans l’hospice où elle vit, bien qu’elle n’ait visiblement pas beaucoup de raisons de croire au bonheur.

Marcie prie chaque matin avec joie et ferveur, bien qu’elle soit incapable de parler. Et pourtant, elle aurait parfaitement pu en vouloir à Dieu à cause de l’hémorragie cérébrale qui l’a laissée totalement paralysée, il y a huit ans, à tout juste 41 ans.

Hier matin, j’avais prévu de prier au Kotel (le Mur occidental), qui se trouve à sept minutes à pied de ma maison située dans la vieille ville de Jérusalem, mais j’ai été retardée par un coup de fil, une discussion avec un invité, et mon fils. Je me suis dit : « Il se fait tard, je n’ai plus le temps d’y aller. Avec mon genou droit qui fait des siennes, j’aurai du mal à négocier les 140 marches du trajet aller-retour au Kotel. Et puis j’ai trop de choses à faire aujourd’hui, je n’ai pas la force d’y aller… »

Soudain, mon regard s’est posé sur le bracelet que je porte au poignet, une création provenant de l’atelier de fabrication de bijoux que Marcie a monté l’année dernière, et que je me plais à appeler : « Impossible n’est pas Marcie ». (Marcie dessine les bijoux et, comme ses mains sont paralysées, ses amies se chargent de les confectionner.) Et je me suis rappelée d’un autre exploit accomplie par cette dernière : se rendre au Kotel pendant 40 dimanches d’affilée. En effet, Marcie espère ardemment subir une intervention chirurgicale qui séparera ses mâchoires jointes et lui permettra de s’alimenter. Elle a donc décidé de mettre à profit sa propre version de la coutume ancestrale promettant à toute personne qui prierait au Kotel pendant 40 jours consécutifs de voir sa prière exaucée. (J’ai essayé, ça marche !)

Mais comment Marcie, qui vit à l’hospice français de Jérusalem, parvient-elle à se rendre au Kotel ?

Sa dévouée amie Émouna Witt Halevy la pousse en chaise roulante jusqu’à l’arrêt de bus le plus proche. Le conducteur déplie la rampe d’accès, et Émouna la fait monter dans le bus, manœuvrant la volumineuse chaise roulante dans le bus bondé. Elles doivent changer de bus une fois, puis, arrivées à destination, il faut ensuite pousser la chaise roulante pendant dix minutes le long de la pente menant au Kotel.

Observant mon bracelet « Impossible n’est pas Marcie », je me suis dit : « Si Marcie est capable d’aller au Kotel, alors pas de doute, moi aussi j’en suis capable. » Le manque de temps, ma douleur au genou, le spectre de ces 140 marches, et la perspective de tout ce qu’il me restait encore à faire — tous ces prétextes se sont évanouis comme par magie. Avec la fougue et la vigueur de mes vingt ans, j’ai marché jusqu’au Kotel, propulsée par l’énergie de ce bracelet.

Tant qu’on peut donner, on peut vivre !

Inspirée par les articles qu’elle lisait sur Aish.com, Marcie Alter fit sa aliyah depuis les États-Unis en 2003, à l’âge de 38 ans, en compagnie de son fils unique. Heureuse d’entamer une nouvelle vie en Israël, elle s’installa à Sdé Eliahou, un kibboutz religieux situé dans le Nord du pays.

Trois ans plus tard, elle commença à sentir sa jambe s’engourdir. Les docteurs de l’hôpital Hadassa de Jérusalem lui diagnostiquèrent une hémorragie cérébrale. Il leur fallut effectuer trois opérations pour la stopper. Ces interventions chirurgicales, si proches du tronc cérébral, lui sauvèrent la vie, mais la laissèrent lourdement paralysée et incapable de parler. Désormais, Marcie peut seulement bouger la tête et faire des mouvements saccadés avec son avant-bras droit.

Durant ces premiers mois où son esprit alerte et intelligent était enfermé dans un corps inerte, Marcie pria pour mourir. Puis elle se rendit compte qu’elle pouvait encore donner un sens et un but à sa vie, que malgré ses limitations, elle pouvait encore aider les gens. Ce fut comme une épiphanie pour elle. Tant qu’on est capable de donner, on est capable de vivre. Marcie se mit à réfléchir à des moyens de faire du bien à autrui.

Cette prise de conscience élimina ses pensées suicidaires. Mais elle était toujours confinée dans son lit, dans ce vieil hospice dilapidé. S’aventurer dehors dans son état d’invalidité totale donnait à Marcie l’impression d’être aussi vulnérable qu’un prisonnier menotté que l’on pousserait à l’eau. À chaque fois que l’équipe médicale la promenait dehors en chaise roulante, Marcie faisait une crise de panique.

À cette époque, la rabbanite Tsiporah Heller commença à lui donner un cours hebdomadaire particulier sur la Paracha de la semaine. Elle envoya également des volontaires du campus de jeunes filles Névé Yérouchalaïm, où elle enseigne, rendre visite à Marcie et lui lire des livres traitant de Torah.

Ariella, l’une de ces volontaires, se fiança et supplia Marcie de venir à son mariage. C’était une perspective intimidante, voire effrayante, mais Marcie surmonta ses craintes pour exaucer le souhait de la future mariée. Les volontaires aidèrent Marcie à s’habiller, la coiffèrent d’un chapeau, et la maquillèrent. Puis elle fut conduite en ambulance à la salle du mariage.

Assise sur sa chaise roulante à la ‘Houppa, Marcie ressentit une expérience spirituelle très puissante. La petite « cage » dans laquelle il lui semblait être confinée depuis sa paralysie se transforma en une espèce d’ascenseur. La porte s’ouvrit, et elle pénétra dans un monde spirituel transcendant, illuminé par la présence divine. Ce jour-là, elle comprit que bien que son corps fût incapable de marcher, son âme, elle, pouvait voler librement.

Finies les excuses !

Marcie a bien des excuses pour ne pas œuvrer à son développement personnel ; elle ne peut pas bouger ni parler, elle est accablée de douleur, et le simple fait de vivre dans sa situation d’handicap complet est déjà un exploit en soi. Pourtant, Marcie ne se rabat sur aucune excuse et s’efforce constamment de s’améliorer.

Au cœur de la prison qu’est son corps, elle lutte contre les sentiments négatifs et les pensées dépréciatives. Un jour, elle m’a confié qu’elle était en proie à la colère. L’une de ses aides-soignantes se montrait brusque avec elle. Quand elle la portait pour la baigner, elle lui faisait mal. (Ironie du sort : Marcie ne peut pas bouger mais elle est sensible à la douleur !) Marcie ne pouvait pas lui hurler d’arrêter, ni la prier de se montrer plus douce. Mais dans son for intérieur, elle fulminait face à tant indélicatesse. Depuis, elle s’efforce de se montrer plus patiente et indulgente.

Marcie communique laborieusement en déplaçant son avant-bras droit pour désigner des lettres et des chiffres inscrits sur un tableau. Parce qu’à la différence des doigts, l’avant-bras ne permet pas un contrôle optimal de la motricité fine, ses mouvements sont saccadés. Chaque lettre lui demande un effort considérable.

Une fois, j’ai demandé à Marcie quels étaient les traits de caractère primordiaux à développer selon elle. Sur son abécédaire, elle m’a épelé les mots : PATIENCE ET GRATITUDE.

J’ai baissé les yeux vers son corps frêle, elle qui respirait à l’aide d’une canule de trachéotomie, elle qui s’alimentait par sonde gastrique, et j’ai osé lui demandé : « De quoi as-tu être reconnaissante ? »

Toujours sur son abécédaire, elle m’a épelé quatre réponses :

LA SANTÉ PUBLIQUE

LES MÉDICAMENTS ANTIDOULEURS

MES AMIES

LA TORAH

Trop dur ?

Une femme au bord du divorce, apprenant que j’organisais des ateliers de thérapie de couple, est venue me voir. Bombardée de disputes agressives entre elle et son mari, sa vie de couple était un véritable enfer. Et les nombreux conseillers conjugaux et psychologues qu’elle avait consultés n’avaient pas pu changer la donne. Étant donné qu’ils avaient cinq enfants, je lui ai déconseillé de divorcer, arguant qu’une séparation ne résoudrait aucun de ses problèmes puisqu’elle devrait toujours être en contact étroit avec le père de ses enfants.

— Suis-je donc vouée à être malheureuse en couple ? s’est-elle insurgée.

— Pas le moins du monde, lui ai-je répondu. Tu dois faire en sorte de mener une vie de couple heureuse.

Je lui ai donné une liste de suggestions pratiques pour y parvenir. Je les ai couchées sur une feuille que je lui ai tendue. En l’observant, elle a secoué la tête en disant : « C’est trop dur ! »

Et voilà encore ce dragon appelé « trop dur » qui sévissait, menaçant de ruiner plus d’une vie. Cette fois encore, mon regard s’est posé sur mon poignet, et j’ai aperçu mon fameux bracelet « Impossible n’est pas Marcie ». Je l’ai enlevé et l’ai offert à cette femme, tout en lui racontant la vie de celle qui l’avait confectionné. Puis je l’ai envoyé à l’hospice français rendre une petite visite à Marcie, celle pour qui tout pourrait être trop dur, mais rien ne l’est…

*    *    *

L’autre jour au Kotel, lorsque j’ai aperçu Marcie, je n’ai pas manqué de lui raconter que c’était son bracelet « Impossible n’est pas Marcie » qui m’avait stimulé à venir ici, en dépit de ma réticence. « Tu m’encourages à faire ce qui me semble trop dur », lui ai-je confié.

Le lendemain, alors que je rendais visite à Marcie à l’hospice, elle m’a épelé sur son abécédaire : « MOI AUSSI JE FAIS DES CHOSES QUE JE N’AI PAS ENVIE DE FAIRE. C’EST TOI QUI M’ENCOURAGES. »

J’ai secoué la tête en signe d’incompréhension : « Moi, t’encourager ? Comment est-ce possible ? »

Malgré l’effort considérable que lui demande chaque lettre à épeler, elle m’a répondu : « AUJOURD’HUI JE N’AVAIS PAS LE CŒUR À PRIER. MAIS NOTRE RENCONTRE D’HIER M’A ENCOURAGÉ. SI TOI, TU ES CAPABLE DE FAIRE DES CHOSES QUE TU N’AS PAS ENVIE DE FAIRE ALORS MOI AUSSI. »

Alors nous aussi…

(Pour commander un bracelet « Impossible n’est pas Marcie », écrivez (en anglais) à [email protected].)

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