Odyssées Spirituelles

Le prince juif du Swaziland

15/06/2011 | par Yisrael Rutman

Quand une rencontre fortuite avec la langue hébraïque bouleverse le destin d’un prince africain.

Chaque conversion au judaïsme, c’est l’histoire passionnante d’une découverte spirituelle. Dans le cas de Natan Gamedze, son itinéraire a commencé il y a 40 ans au Swaziland où il naquit dans une famille royale.

Ce qui fait le plus d’impression, ce n’est pas tant le caractère royal imposant émanant de sa personne mais ses capacités intellectuelles. Diplômé d’Oxford avec mention, Gamedze a obtenu une maîtrise en traduction de l’université Wits d’Afrique du Sud et a occupé le poste de traducteur à la Cour suprême d’Afrique du Sud.

Le don de Gamedze pour les langues – il parle couramment 13 langues – a joué un rôle central dans sa découverte du judaïsme. Après de nombreuses années d’étude, Gamedze est devenu rabbin et enseigne les matières juives à Safed, ville située dans le nord d’Israël, où il vit avec sa femme et son fils.

Aish.fr : Commençons par vérifier les faits. Est-ce exact que vous êtes un prince africain?

Gamezde : C’est exact. J’ai grandi au Swaziland jusquà l’age de huit ans. C’est un petit royaume sans accès à la mer, ayant des frontières communes avec l’Afrique du Sud et le Mozambique. Sa superficie est à peu près celle d’Israël et il compte un peu plus d’un million d’habitants.

Aish.fr : Aviez-vous vous-même des droits sur la couronne?

Gamezde : Mon grand-père était roi. Mais les Britanniques, qui avaient colonisé l’Afrique du Sud, ont créé les États de Swaziland, de Bosutoland et de Bechuanaland. Ils ont tracé des frontières artificielles, en négligeant souvent de prendre en considération les répartitions ethniques. Par conséquent, en de nombreux endroits, des groupes ethniques différents ont été réunis dans un même Etat. C’est ce qui nous est arrivé. De plus, les Britanniques ont décidé de désigner une famille royale rivale pour régner au Swaziland.

Pour que notre famille accepte de coopérer, ils lui firent quelques concessions – telles que l’attribution de postes ministériels et une semi-autonomie à l’intérieur même du pays. Mon père a rempli les charges de ministre de l’éducation et d’ambassadeur auprès des pays de l'UE. Aujourd’hui, il tient plus un rôle de chef suprême que de roi mais c’est eux qui exercent de toute façon le pouvoir.

Aish.fr : Quelles langues parlez-vous?

Gamezde : Je parle treize langues: le français, l’allemand, l’italien, l’anglais, l’hébreu, l’afrikaans, le zoulou et d’autres langues africaines. Chacun dans ma famille parle au moins deux langues européennes; ma mère parle sept ou huit langues.

Aish.fr : Il est tout de même exceptionnel, c’est le moins qu’on puisse dire, qu’une personne vivant comme vous dans un tel milieu socio-culturel, trouve son chemin vers le judaïsme.

Gamezde : La religion, en tant que telle, ne m’avait vraiment jamais intéressé.

J’ai eu le sentiment que c’était comme de vivre sur un tapis roulant et en fin de compte, on en descend.

Ce qui me préoccupait était ce qui se passait dans le monde. Quelle était notre raison d’être? D’accord, alors vous vous levez le matin, vous déjeunez, vous partez au travail, vous revenez chez vous, vous prenez une douche, vous regardez la télé, vous allez vous coucher, vous vous réveillez et recommencez tout cela encore une fois…Hé, mais j’ai fait ça hier!

J’ai eu le sentiment que c’était comme de vivre sur un tapis roulant et en fin de compte, on en descend. A quoi bon, me suis-je dit? Je n'arrivais plus à l'accepter.

Aish.fr : C’est une question existentielle.

Gamezde : Oui. En d’autres termes, je n’étais pas en train de chercher une signification à ma vie mais j’essayais plutôt de découvrir ce qui se passait, comme un détective. Je sentais qu’il se déroulait quelque chose dans le monde, derrière la scène et je voulais savoir ce que c’était.

Aish.fr : Puisque vous ne cherchiez pas ce qu’on appelle la religion, comment l’avez-vous trouvée?

Gamezde : J’assistais un jour à un cours de littérature vraiment assommant. Je pense que c’était sur D’Annunzio. Et que fait-on quand on s’ennuie, on regarde autour de soi. Je remarquais alors un gars qui était en train d’écrire de drôles de caractères de droite à gauche. Donc, après le cours, je lui ai demandé ce qu’il faisait. Il me dit qu’il faisait ses devoirs en hébreu. J’ai pensé: c’est vraiment intéressant. Imaginons que je puisse écrire aussi comme cela! Et puis, je n’y ai plus pensé. Mais quelque temps plus tard, j’ai besoin d’un complément de points pour obtenir mon diplôme. Je voulais prendre le russe mais cela ne collait pas avec mon emploi du temps. Je me suis alors souvenu de l’hébreu. Ça correspondait avec mes horaires et c’est ainsi que je me suis mis à étudier cette langue.

Aish.fr : À quel moment s’est déclenchée votre prise de conscience?

Gamezde : Le premier texte que nous avons étudié, c’était le sacrifice d’Isaac. Ayant reçu une éducation chrétienne, quoique modérée, cela m'a paru familier mais j'ai été surpris de voir combien l’hébreu semblait rendre le sens du texte plus que toute autre langue au monde. Je ne n’arrivais pas à comprendre pourquoi.

En plus, je ne pouvais me détacher de la pensée que quelque chose au sujet de moi-même m’était suggéré. C’était comme découvrir une dimension intérieure dont, peut-être, beaucoup de gens ignorent l’existence. Ce n’était pas comme un archéologue qui fait une enquête, par exemple, sur les Incas, problème qui ne le concerne pas personnellement. Là, au contraire, j’ai senti que quelque chose se disait à mon propos. Je pensais que cela avait trait à la langue elle-même. Je ne savais pas à cet instant qu’il s’agissait de la dimension religieuse.

Aish.fr : Et comment est-ce arrivé?

Gamezde : J'ai commencé à  découvrir la beauté du judaïsme. Je me suis intéressé notamment à l'ouvrage de Maïmonide, le Michné Tora. J’avais l’habitude de l’emporter avec moi pour le lire et pour en parler à mes amis juifs, qui sont devenus par la suite pratiquants. C’était quand même un peu étrange que ce soit un non-juif qui les ait rapprochés du judaïsme.

Je pouvais pas comprendre pourquoi D.ieu me jouait un tel tour.

Mais c’était frustrant. Je n’étais pas capable de saisir pourquoi j’avais une telle soif et un tel amour pour le judaïsme alors que je n’étais pas juif. Et pourtant, il y avait là des Juifs qui s’en moquaient, me semblait-t-il. En plus, quand ils ont enfin décidé de s'y intéresser, cela ne leur a posé aucune difficulté. L’occasion était devant moi, à portée de main. Je me suis interrogé: Pourquoi suis-je mis sur la touche? Je pouvais pas comprendre pourquoi D.ieu me jouait un tel tour.

À ce stade, je me suis dit que la meilleure solution était que je sorte de cet imbroglio juif. Je suis dont allé poursuivre mes études à Rome. J'ai visité la basilique de Saint-Pierre et ses œuvres d’art. Je suis un grand fan de la littérature et de l’art italiens. Mais pendant tout mon séjour à Rome, ce qui occupait mes pensées n’était autre que la souffrance que les Chrétiens avaient fait subir aux Juifs. Pas très réjouissant, n'est-ce pas ?

Aish.fr : En quelque sorte, des vacances romaines ruinées…

Gamezde : Oui, en effet. J’étais venu à Rome pour m’échapper de tout cela – Rome est probablement l’endroit le moins juif du monde. Et voilà que dans ma chambre d’hôtel, je ne pensais – à quoi d’autre? – qu’aux Juifs. Je m'imaginais notamment ces scènes de juifs qui s'écrient “Chema Israël” avant de se sacrifier pour leur foi.

À ce stade, je n'avais pas encore pris sur moi de pratique juive. Mais j'ai décidé de réciter “Chema Israël”, là, dans ma chambre d’hôtel, à côté de la basilique Saint-Pierre. C’est alors que j'ai ressenti un énorme afflux d’énergie.

C’est alors que je ressentis un énorme afflux d’énergie.

Tout en disant ces mots, j’ai eu l’impression que tous ceux qui avaient donné leur vie pour le judaïsme, les prononçaient avec moi. C’était comme si j’étais le canal par lequel ils disaient le Chema. Même maintenant, je suis incapable d’expliquer ce qui est arrivé. Cela a été une expérience aussi puissante que terrifiante.

Je me souviens qu’une fois, je suis descendu prendre mon petit-déjeuner. Je me suis assis mais je n'ai rien pu avaler. Et poutant, j’avais faim, vous pensez. Qu’est-ce qui m’arrivait? A cette époque, j’avais déjà suivi des conférences sur le judaïsme pendant un séjour que j’avais fait en Israël; je me suis alors souvenu qu’il y avait un certain jour dans l’année, Yom Kipour, pendant lequel les Juifs jeûnaient. J'ai consulté le calendrier et, bien entendu, ce jour-là, c’était Yom Kipour! J'étais sidéré.

J’avais averti mes amis que je n’envisagerais de me convertir au judaïsme que si je ne pouvais plus dormir la nuit. J’étais arrivé à ce stade. J'ai donc pris la décision de me convertir.

Aish.fr : Est-ce que votre décision a été une des choses les plus difficiles ou les plus faciles que vous ayez vécues?

Gamezde : Je savais que le chemin serait extrêmement difficile. Chaque fois que je me trouverai dans un groupe de Juifs, je serai comme le vilain petit canard - le seul type noir dans la pièce. Je suis le genre de personnes qui n'aime pas se retrouver sous les feux de la rampe, et pourtant, à partir de ce moment, chaque fois que je pénétrérai dans une synagogue, les gens allaient chuchoter : "Ce type est vraiment un prince africain ?" Je savais que cela serait très pénible pour moi. Mais j'ai eu une petite conversation avec Dieu et lui ai dit : "Eh bien, si tel est Ton désir, c'est ce que je ferai."

L’être humain a parfois des hauts et des bas dans sa vie et il n’est pas certain de toujours bien agir. Et souvent, c’est vraiment le cas. Quant à moi, j’étais sûr que ce que je faisais, c’était ce qu’il fallait faire. Cela vous est d’un fier soutien.

Aish.fr : Avez-vous réussi jamais à comprendre pourquoi D.ieu vous jouait ce “tour” – pourquoi votre parcours devait être si dur?

Gamezde : Je n’ai trouvé la réponse il n’y a que quelques mois. J’enseignais l’histoire de Jetro, le beau-père de Moïse et essayais de transmettre à mes élèves quel genre particulier de personnalité il était. Et je me suis rappelé les propos du rabbin Moché Carlebach, que j’avais entendus il y a longtemps, disant que la première fois que dans la bible apparaît la phrase Barou’h Hashem (Sois-Tu béni D.ieu) est lorsque Jetro, un converti, loue D.ieu d’avoir sauvé les Juifs des Égyptiens.

J’ai enfin trouvé la réponse à la question qui m’a déconcerté et blessé pendant tant d’années.

C’est dans ce Barou’h Hashem, c’est-à-dire en rendant une gloire supplémentaire à D.ieu que réside toute la conception que peut avoir un converti du judaïsme. C’est pourquoi le nom de Yitro (Jetro) vient de la racine hébraïque yeter qui veut dire “ajout”. Parce que celui qui vient de l’extérieur de peuple juif, et par conséquent a choisi d’y appartenir, voudra ajouter de la gloire à D.ieu, non pas qu’Il en manque mais parce que nous en voyons plus.

C’es en expliquant ces choses à la classe que j’ai entendu une petite voix me disant, Nou? Maintenant tu sais pourquoi tu dois subit toutes ces épreuves – pour apporter un supplément de gloire. Mon histoire, ce n’est pas de savoir si je me sens bien mais comment je magnifie D.ieu. C’est pourquoi je dois me sentir différent car seul celui qui vient de l’extérieur et qui acquiert le judaïsme avec difficultés, peut apporter cet unique tribut. J’ai enfin trouvé la réponse à la question qui m’a déconcerté et blessé pendant tant d’années.

Aish.fr : Pourtant c’est encore difficile, n’est-ce pas?

Gamezde : Oui, mais je le vois d’une tout autre façon maintenant. Ce monde est à D.ieu, après tout, et nous sommes Ses créatures. Quand on regarde ce qui se passe, on croirait presque voir un film, avec ses décors et ses arrière-plans fantaisistes. D.ieu Se dit à Lui-même: “Comment pourrait-on faire pour qu’ils s’intéressent au judaïsme?” Alors, Il s’arrange pour qu’un prince africain s’engage dans cette voie, pour que les gens prêtent attention à certaines choses et les méditent. Oui, cela m’est difficile. Mais ce qui compte, c’est ce que D.ieu veut et non pas ce que je veux.

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