Odyssées Spirituelles

Le prince juif de Perse

13/08/2014 | par Sara Yoheved Rigler

Depuis Jérusalem, un descendant du Shah d'Iran raconte son odyssée bouleversante.

Moshé (ce n’est pas son vrai nom, on ne sait jamais, si les mauvaises personnes venaient à lire cet article) ressemble à n’importe quel autre juif religieux de Jérusalem : cheveux noirs, barbe noire, lunettes cerclées de métal, penché sur une Guémara dans une des nombreuses Yéshivot de la ville. Personne ne se douterait qu’il est l’arrière-arrière petit fils d’un ancien Shah d’Iran.  

À la vue de l’oncle, tous s’étaient prosternés en l’appelant « shazdjun , grand fils du Roi ».

La vie de Moshé a connu plus d’aventures que le fameux film de Walt Disney. Il ne descend pas de la dynastie des Pahlavi, à laquelle la révolution islamique à  mis fin après seulement deux générations. Il appartient à la dynastie des Qajar, qui a fièrement contrôlé la Perse pendant dix générations. Il se souvient d’avoir rendu visite à son arrière-grand-mère, qui fut appelée « la Petite Princesse » jusqu’à son décès à l’âge de 99 ans, qu’il l’abreuvait d’histoires sur comment elle avait grandi au palais dans l’ombre du Trône du Paon. Il se souvient d’avoir accompagné un grand-oncle lors d’une réunion d’expatriés perses en Europe. À la vue de l’oncle, tous s’étaient prosternés en l’appelant « shazdjun , grand fils du Roi ».  

La grand-mère de Moshé fut mariée à un aristocrate dont le domaine était situé loin de Téhéran. « Dans les grandes familles de l’aristocratie, il est mal vu de travailler » explique-t-il. « Mon grand père n’a jamais travaillé, il jouait au casino et consommait de l’opium. Une nuit fatidique, alors que la mère de Moshé, Mina, avait tout juste neuf ans, son père perdit au jeu tout ce qu'il possédait - palais, exploitations, écurie d’étalons arabes. La famille fut chassée de chez elle en emportant à peine de quoi manger. 

Plus tard, par deux fois encore, Mina allait perdre tout ce qu’elle avait en une nuit. 

La famille se replia sur Téhéran et reçut un appartement dans une résidence royale de la Petite Princesse, qui était la grand-mère de Mina. Elle avait perdu sa richesse, mais pas son prestige. « En Perse, les gens sont très jaloux de leur origine » raconte Moshé. « Les gens respectaient ma grand-mère parce qu’elle était d’une lignée noble. Même sans argent, on la respectait. Les Perses sont des gens très fiers, et surtout lorsqu’ils font partie de l’aristocratie.»  

Mina se retrouva à la rue avec sa valise.

Mais lorsqu’elle avait 17 ans, Mina failli perdre jusqu’à son statut. Elle était tombée amoureuse de Charles, un Chrétien venu d’Europe qui vivait à Téhéran. Quand elle fit part à sa mère de son intention de l’épouser, sa mère la menaça de la déshériter. Mais Mina ne se plia pas. Au terme d’une dispute houleuse dans laquelle sa mère lui dit qu’elle ne la reverrait plus jamais, Mina se retrouva à la rue avec sa valise.  

Comme elle était trop pudique pour rejoindre Charles chez lui, elle demanda asile à une amie. Celle-ci l’emmena dans une vaste demeure réservée aux femmes dans laquelle on lui donna une chambre. Peu après, un homme français entra dans sa chambre – la résidence était une maison de passes ! Elle s’enfuit et partit rejoindre Charles. 

Charles avait alors 22 ans. Il était un jeune scientifique plein de charisme et d’éloquence. Il partit trouver la mère de Mina et finit par la convaincre d’accepter l’idée du mariage. Bien que très croyante, comme tous les aristocrates perses, Mina n’était pas une musulmane fanatique. Elle se convertit au christianisme et se maria avec Charles par trois cérémonies différentes : l’une civile, l’autre chrétienne, et la troisième musulmane. 

Enfance et Révolution 

Ils s’installèrent à Téhéran où Charles lança une société sur la base de ses découvertes scientifiques. En 1971, ils eurent leur deuxième fils qu’ils prénommèrent Henry (notre Moshé). Bizarrement, sa grand-mère insista pour qu’il soit circoncis le huitième jour, et on le baptisa également. Il ne reçut pas de nom perse, et son père lu interdit d’apprendre à lire ou à écrire le Perse.  Charles voulait qu’Henry devienne un citoyen du Monde. Il allait devenir un exilé du Monde.  

Comme les affaires de Charles allaient bon train, Henry grandissait dans le luxe. Il avait son cheval à  lui, partait skier tous les week-ends, visitait les capitales de l’Europe et allait à l’école avec des Occidentaux.  Pour lui, les banlieues riches du Nord de Téhéran avec le goût « d’un paradis pour enfants. Les gens y étaient gentils, nous avions une grande famille et je regardais la télé en Anglais ».  

Ils arrivèrent dans leur nouvelle école en Rolls-Royce.

En 1979, la Révolution Islamique mit fin à son enfance dorée. « Les gens s’entre-tuaient dans les rues » se souvient-il. « Nous allions à l’école en bus. Un jour, l’un des bus fut touché par une roquette, et tous les enfants à bord furent tués. Deux jours plus tard, mon frère et moi arrivions en Europe. »  

Ils arrivèrent dans leur nouvelle école, un établissement situé dans une campagne d’Europe, en Rolls-Royce. Personne n’avait vu chose pareille. Tous croyaient qu’il s’agissait de la famille du Shah lui-même.  

Au début de la Révolution, les Iraniens de tous bords, politiques et religieux, étaient réunis par leur désir de liberté et de se débarrasser du Shah. Si Mina avaient appartenu à la branche de Pahlavi, elle aurait été exécutée. Mais elle faisait partie de la lignée respectée des Qajar. Comme beaucoup d’aristocrates, elle conclut un accord avec le nouveau gouvernement et un an plus tard, ses fils étaient de retour en Iran.  

C’est alors que deux hommes de Harvard furent dépêchés à Téhéran

Pour la famille de Henry, les tragédies personnelles vinrent s’ajouter au chaos national. Certaines parties sans scrupules venues de l’ouest avaient tenté de racheter les technologies innovantes que Charles avait développées, mais il avait refusé. C’est alors que deux hommes de Harvard furent dépêchés à Téhéran pour y gagner la confiance de Charles. Un soir, ils le soûlèrent et parvinrent à lui faire signer la vente de son affaire. 

La famille perdit tout ce qu’elle avait en une nuit.  Charles, effondré, partit en Europe dans l’espoir de se refaire. Quelques mois plus tard, sa famille reçut la nouvelle qu’on l’avait retrouvé mort, apparemment d’une crise cardiaque. 

Le protégé  de l’Ayatollah 

Mina se retrouva donc seule, mais pas découragée. Elle contacta une société qui avait fait des affaires avec son mari pour y trouver du travail. Mais ils ne lui proposèrent qu’un poste subalterne de vendeuse. Elle s’installa donc chez elle et depuis une chambre reconvertie en bureau, repartit à zéro. Ses efforts se heurtèrent rapidement à la corruption rampante qui régnait dans l’administration. 

Mina se rendit directement chez l’Ayatollah Khomeiny. Henry se souvient avoir entendu, pendant son enfance dorée, que les serviteurs parlaient de l’avenue du Messie. 

Chaque fois que vous avez un problème, appelez le bureau de l’Ayatollah Khomeiny, et il s’en occupera ».

Quand l’Ayatollah Khomeiny revint au pays au début de la Révolution, pratiquement tout le monde le regardait comme le Messie. Mais pas Mina, qui était trop rusée et laïque pour cela. Pourtant, lorsqu’elle lui exposa ses complaintes contre la corruption, elle fut abasourdie. Khomeiny ne regardait jamais le visage d’une femme. Il n’empêche, a la fin de leur entrevue, Mina était devenue sa protégée. Arrivée chez elle elle reçut un appel dans lequel on lui disait : « Chaque fois que vous avez un problème, appelez le bureau de l’Ayatollah Khomeiny, et il s’en occupera ».  

Pendant toute la période où l’Ayatollah Khomeiny vécut, même aux jours les plus durs de la Révolution, Mina resta sous sa protection. « Les gens du gouvernement craignaient ma mère » pense Moshé. Quelques années plus tard, Mina était devenue une femme d’affaires accomplie. 

Pendant ce temps la Révolution était entré dans une phase de répression. Les plus religieux commencèrent à éliminer ceux des autres factions. Moshé se souvient d’avoir vu le film Z, de Costa-Gavras, chez le Ministre de la justice d’alors. Deux ans plus tard, celui-ci fut abattu par des islamistes radicaux. 

« Téhéran était devenu le Chicago des années vingt », se souvient Moshé. « Des gens avec des mitrailleuses massacraient des passants dans la rue. L’école Occidentale ou mon frère et moi étudions fut fermée ». 

Mina voulait que ses fils soient éduqués en cosmopolites, et décida qu’ils n’avaient pas d’avenir en Iran. Un an après qu’elle les eut rapatriés, elle les renvoya en Europe, pour de bon cette fois. Henry avait neuf ans lorsqu’il dit adieu au seul foyer qu’il avait jamais connu, jusqu’à ce qu’il établisse le sien à Jérusalem.  

Les garçons étudièrent dans un pensionnat chrétien. Ils étaient complètement seuls en terre étrangère. Ils n’avaient aucun contact avec la famille de leur père, qui n’était même pas venu à l’enterrement de Charles. Mina avec coupé tous les ponts avec eux. Mina leur rendait visite deux ou trois fois par an, les emmenait passer des vacances aux États-Unis, à Hawaii, en Espagne, mais son attention allait d’abord à ses affaires.  

Les garçons firent leur lycée  à l’École Internationale de Valbonne, sur la Cote d’Azur. Aussi connue comme l’ « École des Génies », c’était la destination préférée des enfants des dirigeants du monde entier.  

Pendant toute son adolescence, Henry se mit à la recherche de la Vérité absolue. Il explora la littérature et la philosophie, le spiritualisme, l’épicurisme, l’art et le théâtre. Il expérimenta même la méditation Zen, et il n’était pas rare de le retrouver en plein « Nirvana » sur l’une des pelouses du campus, cheveux longs et vêtements noirs, pieds nus… 

Mais sa recherche ne le rapprochait pas de la religion. Comme il avait été élevé par des moines dans des établissements chrétiens, il ne prenait pas le Christianisme trop au sérieux. Après son expérience avec les Islamistes, l’Islam ne l’attirait pas non plus. Sa recherche était plutôt intellectuelle que religieuse, et la question de Dieu ne se posait pas réellement à lui. 

Puis tout d’un coup, il fut pris par une expérience mystique alors qu’il était à l’Université, une expérience qui lui fit ressentir Dieu comme une présence immanente et réelle. Il resta dans cet état pendant deux semaines. Quand la sensation s’évanouit, il n’eut plus qu’une seule idée en tête, comment la reproduire. En bon intellectuel qu’il était, il faisait conscience à son esprit et savait que son expérience était authentique, mais où pourrait-il retrouver Dieu ? 

A la découverte du Judaïsme 

Un soir à la sortie d’un cours de droit, des amis juifs non-religieux lui dirent qu’ils se rendaient à un cours de Judaïsme. Henry insista pour les accompagner. Il témoigne aujourd’hui : « Je ressentais tout ce que le Rabbin disait, c’était exactement ce que je recherchais ». Ses amis cessèrent rapidement d’assister aux cours, mais lui continua, il s’identifiait complètement avec les enseignements qu’il entendait. Dans une librairie juive, il découvrit les ouvrages classiques que sont le Kouzari ou Le Sentier des Justes. En les lisant, il fut subjugué par le sentiment que oui, c’était bien là ce qu’il recherchait. 

Le Sentier des Justes, un texte du XVIIIe siècle sur le thème de la progression spirituelle, devint pour Henry la carte qui allait le guider vers la conscience de Dieu qu’il avait vécue avant de la perdre. 

Quand il eut finit la Faculté  de Droit, Henry décida qu’il ne se contenterait pas d’étudier le Judaïsme, il était résolu à le vivre. Il prit donc la décision de se convertir, mais lorsqu’il se présenta au tribunal Rabbinique local, on le rejeta. Il prit son téléphone et appela directement au Grand Rabbin de la ville pour « lui parler d’un sujet important en privé ». Le secrétaire insista pour savoir le sujet de sa requête, mais Henry s’obstina à répéter que c’était une affaire privée. On lui accorda un rendez-vous, mais dès qu’il fit savoir la raison de sa venue, le Grand Rabbin lui dit : « Je vous donne dix minutes, pas une de plus ». Une heure plus tard, il  était encore en train d’écouter Henry. Après quoi le Rabbin lui dit : « Revenez dans un an, je vous recevrai ».  

Henry comprit qu’il le testait sur sa persévérance. Mais le Rabbin ne connaissait pas l’obstination de la lignée de Qajar. Un an plus tard, Henry était de retour. Après deux ans d’études de Judaïsme, Henry se convertit. Il avait 28 ans. Six mois plus tard il épousait Noa, et ensemble ils firent leur Alya. Henry étudie aujourd’hui en Yéshiva. 

Sa conversion impliquait qu’il renonçait à tout son prestige aristocratique, à la protection de sa mère et de toute sa famille. « Pour un aristocrate perse, il n’y a rien de pire que de devenir Juif, c’est abominable », explique Moshé. 

Mais pendant tout le long processus de sa conversion, il ne s’émeut  jamais de la perspective de perdre son statut et ses privilèges. « Je croyais à quelque chose » dit-il. « Je croyais que la Torah est la Vérité, et je voulais en faire partie. Je ne voulais pas seulement l’étudier, je voulais atteindre les sommets spirituels décrits dans Le Sentier des Justes ». 

Après sa conversion, Moshé eut une conversation avec son frère. Il lui demanda : pourquoi ne te convertis-tu pas ? Tu sais pourtant que le Judaïsme est la vérité. » 

Son frère lui répondit : Je sais que c’est vrai, mais je ne peux pas me convertir, je suis trop attaché au luxe et au confort. » 

Dans son modeste appartement de Jérusalem, au milieu de sa femme et de ses enfants, Moshé considère ce à quoi il a renoncé en préférant la vérité au luxe. A-t-il gagné au change ? Sa réponse est un large sourire.

 

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