Spiritualité

Un Corps Électrique

16/04/2012 | par Aish.fr

Abraham a enseigné au monde comment exprimer le plus sublime niveau de conscience du divin à travers des membres de chair et d’os.

Il est communément admis que la contribution majeure d’Abraham fut la doctrine du monothéisme. Le patriarche aurait enseigné à un monde idolâtre l’existence d’un Dieu unique, une idéologie qui serait devenue synonyme du Judaïsme. Mais permettez-moi de vous faire remarquer que ce cliché n’est pas conforme à la réalité. L’idée d’un Dieu unique était solidement ancrée dans les esprits bien avant Abraham. (L’idolâtrie, comme nous l’avons vu, désigne la pratique consistant à s’attacher à des intermédiaires comme si ceux-ci possédaient un pouvoir indépendant, non pas le refus de reconnaître D.ieu à part entière.) La connaissance de D.ieu faisait à cette époque figure de norme…

Qu’a donc apporté Abraham au monde comme cette nouveauté exceptionnelle qui donna naissance au Peuple Juif et métamorphosa la face de l’histoire à jamais, si Chem et Ever se chargeaient déjà d’enseigner la spiritualité au plus haut niveau ? Où se situa au juste son innovation ? Quelle fut la nature révolutionnaire de son enseignement si d’autres avaient d’ores et déjà montré la voie ? Pourquoi fut-il perçu comme un précurseur révolutionnaire, et non pas simplement comme un élève doué ?

La réponse est la suivante : Abraham n’a pas inauguré la voie de l’esprit ; il a inauguré la démarche consistant à introduire le spirituel dans le matériel. Sa contribution ne se situa pas dans le domaine de la connaissance. D’autres avaient déjà exploré les sphères supérieures de l’esprit et étaient parfaitement versés dans la plus haute sagesse lorsqu’Abraham débuta son odyssée. Ce dont il fut le pionnier dans le monde, c’est le processus permettant de faire descendre cette sagesse dans le physique, en montrant comment exprimer le plus sublime niveau de conscience du divin à travers des membres de chair et d’os. C’est là l’idée radicale du Judaïsme.

L’originalité absolue du Judaïsme n’est pas sa conscience du divin ; c’est l’enseignement que le corps peut être conduit à la sainteté. Ce n’est pas l’enseignement de la sainteté de l’esprit ; c’est l’enseignement de la sainteté du physique. Examinez les systèmes spirituels du monde non juif ; vous verrez qu’ils ont conscience du conflit entre l’esprit et la chair, la bataille fondamentale entre le l’âme et le corps dans laquelle le second cherche à dominer la première et à la conduire à assouvir ses désirs bestiaux. Et ils définissent une solution au plus élémentaire de tous les conflits : abjurer la chair, discipliner le corps en l’affamant de ses nourritures charnelles, devenir ascète, célibataire, adopter le mode de vie monastique. D’ailleurs, les plus grands apôtres des systèmes spirituels du monde non-juif sont des moines et des nonnes, des célibataires et ascètes qui ont renoncé au corps dans l’espoir de le transcender.

Le corps : un véhicule sacré

Mais le Judaïsme, pour sa part, prône l’engagement du corps ; prône le mariage, prône l’expérience du plaisir charnel et il considère le célibat permanent comme un pêché. Notre vocation n’est pas de séparer le corps de l’âme, mais d’engager le corps et de l’élever au niveau de l’âme. Pour nous, le corps n’est pas le point de départ du voyage spirituel, il en est le véhicule.

Le corps ne doit pas être laissé pour compte tandis que l’âme et l’esprit transcendent. Il doit être employé au service de l’âme et de l’esprit. Et telle est la signification des mitsvot, les commandements. Les mitsvot sont des actions physiques (il y a très peu de mitsvot qui sont accomplies par la conscience seule) qui expriment l’esprit. Chaque partie de notre corps a l’ordre d’agir ; chaque membre et chaque organe accomplissent une action qui exprime une dimension de la Torah. Les mitsvot sont à la Torah ce que le corps est à l’âme.

Abraham n’a pas apporté l’idée du pur esprit dans ce monde ; il a apporté au monde l’idée radicale voulant que le corps, ce corps avili, subversif, traître et lascif peut et doit être élevé à la pureté. Ses fonctions et ses actions ne doivent pas être supprimées ; elles doivent être exprimées dans un esprit de sainteté. Le monde perçoit la bassesse et l’embarras des relations sexuelles ; leur potentiel érosif pour le raffinement spirituel ; pour notre part, nous percevons leur sainteté. Le monde perçoit le danger de l’alcool, sa tendance à troquer l’esprit contre la physicalité terrestre ; quant à nous nous l’utilisons pour nous élever. Le monde exhorte l’homme à renoncer à son corps, arguant que c’est là le seul moyen de libérer l’âme ; nous autres Juifs, nous accordons au corps sa pleine expression dans des actions dirigées au service de l’esprit. C’est ainsi que nous disciplinons le corps, nous ne lui imposons pas le silence, nous lui ordonnons plutôt de servir l’esprit. C’est la base des mitsvot.

Dégustation de vin

Vous pouvez constater combien tout cela est totalement mal compris aujourd’hui. Nous sommes Juifs au regard de notre observance des commandements ; la totalité d’entre eux, avec chaque mouvement de chaque partie de notre corps. Nous ne sommes pas Juifs à cause de notre sagesse Juive ni de notre comportement généralement moral ; tout cela est bien beau, bien entendu, mais ce n’est pas le propre du Judaïsme. Nous sommes les enfants d’Abraham parce que nous luttons pour sanctifier notre corps ; ce qui nous démarque de la communauté des plus grands sages du mondes et adeptes de l’ordre moral est essentiellement la manière dont nous mangeons et buvons…

Cette distinction est mise en exergue dans notre relation avec le vin. Nous avons remarqué que dans de nombreux systèmes spirituels du monde, l’alcool est strictement interdit, et certainement pour les prêtres et les moines qui aspirent à la sainteté. Mais dans le Judaïsme, le vin est un élément essentiel dans tous les mouvements d’ascension du physique au spirituel. Nous buvons du vins durant les occasions où ces deux sphères viennent à se rencontrer : lors d’un mariage, où deux corps physiques vont élever leur relation au spirituel ; lors d’une circoncision, où nous entamons le processus de sanctification du corps ; lors du kiddouch, la bénédiction sanctifiant les premiers instants du Chabbath où le domaine mondain de la semaine embrasse la transcendance du Chabbath ; quatre coupes de vin au Séder de Pâques, où nous célébrons la transition de l’exil à la rédemption, de l’esclavage à la liberté.

Le vin est une incarnation puissante du danger du physique ; consommé en excès il convertit la conscience en inconscience, déshumanise le buveur au point de le diminuer à sa seule condition matérielle, et d’en faire rien de plus qu’un corps dénué d’esprit. A l’inverse, consommé avec modération, il possède la capacité d’ouvrir la conscience, de favoriser un état d’élévation. Les sources mystiques notent que bien que le vin soit une substance physique, il obéit aux règles de la sphère spirituel : en effet, toutes les choses physiques se dégradent et se désintègrent avec le temps ; c’est la règle qui prévaut dans le monde matériel et biologique quel que soit le soin avec lequel ces choses sont manipulées et entretenues.

A l’inverse, les choses de l’esprit s’améliorent avec le temps ; la sagesse s’approfondit avec le temps – même si le corps du sage fléchit, sa sagesse elle, grandit. Mais contrairement aux autres éléments physiques, le vin s’améliore avec l’âge. Exception à la règle du matériel, le vin reflète la qualité du plus profond, du secret enfoui au sein du matériel (d’ailleurs, en hébreu, le mot « vin » a la même valeur numérique que le mot « secret »).

Saviez-vous qu’à Havdala, la cérémonie qui marque la sortie du Chabbath, nous prenons également une coupe de vin. Au moment même de ressentir le départ de l’esprit du Chabbath, cet instant de déclin, nous buvons du vin. Minute, nous étions en train d’expliquer que le vin était l’apanage des moments d’élévation spirituelle. Alors pourquoi en boire à Havdala ?

L’idée est la suivante : certes, la semaine débute avec la mélancolie associée au départ du Chabbath. L’abandon de la sainteté est palpable. Nous humons des herbes aromatiques pour réconforter l’esprit. Mais ce début de semaine marque également une nouvelle opportunité de bâtir, d’élever notre statut actuel vers un nouveau Chabbath qui sera encore plus élevé que le précédent, qui reflètera une nouvelle semaine de travail et de progrès qui viendra s’ajouter aux précédentes. Il s’agit d’une « descente dans le but d’une ascension », une élévation plus forte et plus importante que la précédente. Telle est le principe fondamental du judaïsme – nous descendons dans le mondain et le matériel, mais nous agissons ainsi uniquement dans le but de nous élever.

La Torah vit uniquement à travers son application ; même sa sagesse la plus subtile n’est réelle à la seule condition qu’elle possède une certaine association avec le monde de l’action.

Extrait de « Lettres à un Juif Bouddhiste », Targum Press.

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