Spiritualité

La Capitale, Chap.2 : Percer le mystère

27/03/2014 | par Millie Salomon

Angel est journaliste. Il a été recruté pour réaliser un reportage sur la Capitale, un parc situé à côté de Paris. Intrigué par le flou qui entoure le site, il se lance dans des recherches…

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(Composition : Aharon Daniel)

Résumé de l'épisode précédent :

Angel est journaliste. Il a été recruté pour réaliser un reportage sur la Capitale, un parc situé à côté de Paris. Intrigué par le flou qui entoure le site, il se lance dans des recherches…

Angel connaissait tout ce que l’on pouvait savoir sur l’Architecte, c'est-à-dire à peu près rien et avait été, comme tout le monde, séduit et intrigué par l’homme et son histoire. C’est donc sans discuter qu’il avait accepté le travail de reporter que lui avait confié Boïdae. De surcroit, il espérait, grâce au papier qu’il allait réaliser, obtenir une promotion au sein du journal et devenir envoyé spécial.

–  Alors, Angel ? En forme ? J’ai un boulot pour vous… Je suis sûr que vous êtes l’homme de la situation… Vous avez entendu parler de l’Architecte ? Tout le monde s’extasie mais personne ne sait vraiment qui c’est. J’espère que nous serons les premiers à couvrir l’événement et à faire un scoop digne de ce nom !

Scoop sur un constructeur de parc, il y a plus palpitant, pensa Angel.

–  Ce type fait la Une des journaux alors que cela fait à peine sept mois qu’il a ouvert son site mégalomane. Qui est-il ? Pourquoi ce surnom prétentieux et qui l’en a affublé ? Quel est son vrai nom ? Je veux un compte rendu exact de ses activités, des détails sur son équipe, sur ses habitudes alimentaires et sa façon de s’habiller. Sa nationalité ? Son âge ? Ses réalisations passées ? Ses intentions ? Qui le finance ? Si vous acceptez, vous partez après-demain matin pour la Capitale avec votre carte de presse. Vous restez aussi longtemps que ça vous chante et vous revenez avec un reportage béton. C’est bon ?

Angel esquissa un sourire en coin. Il était amusé par les manières brusques de Boïdae. Il en avait l’habitude mais cela l’étonnait toujours.

–  Et votre job ne s’arrête pas là. Je veux tout savoir sur La Capitale : sa superficie, le nombre d’entrées quotidiennes, une description du site. Et aussi, pourquoi elle suscite un tel engouement… En bref, je veux une véritable enquête et pas tout le bla-bla admiratif que je lis tous les jours dans les journaux. L’Atractus est le premier quotidien français, avec le plus grand tirage de l’hexagone. Je compte sur vous pour confirmer son succès. Rapportez-moi des vraies infos. OK ?

–  Pas de problème ! avait simplement répondu Angel, tendant une main franche et énergique à son chef qui se laissa lourdement retomber sur son fauteuil de cuir.

–  Alors c’est parfait ! Clélia vous donnera de l’argent, votre billet de train et votre invitation personnelle. Tout est informatisé là-bas, ils sont à la pointe du progrès. Il y a tellement de demandes qu’il faut acheter les cartes d’entrée à l’avance. Vous avez la vôtre ! Vous voyez qu’être journaliste comporte certains privilèges !

–  Vous avez déjà le billet et la carte ? demanda Angel avec une pointe d’ironie.

–  Évidemment ! Je connaissais votre réponse d’avance !

En se remémorant cette conversation qui avait eu lieu quelques heures plus tôt, Angel ne put s’empêcher d’avoir des frissons. Ou peut-être était-ce le grincement des rafales de vent tapant sur la fenêtre qui provoquaient en lui de légers tremblements.

Pourquoi quitter Paris plusieurs jours ?

Depuis l’après-midi, depuis qu’il avait son billet en poche, il se sentait fébrile, comme avant un grand événement. Il avait sans doute accepté trop vite, afin de faire plaisir à Boïdae et par excès de zèle. Mais maintenant que c’était le calme dans les locaux de l’Atractus, il y voyait plus clair. Son imagination lui représentait le petit matin glacial sur le quai de la gare. Il voyait déjà défiler les paysages par les fenêtres du train, et l’arrivée en gare de C. Il sentait l’odeur des sièges en simili cuir du taxi qui l’emportait vers la Capitale.

Pourquoi quitter Paris plusieurs jours ? Pourquoi rater ses rendez-vous pour courir vers le dernier site à la mode, construit par un illustre inconnu qui semblait chercher la notoriété à travers l’énigme qu’il entretenait ?

De temps à autre et davantage au fur et à mesure qu’il voyait les aiguilles défiler sur le cadran de l’horloge, Angel sentait son esprit papillonner. Le logo lumineux de l’Atractus éclairait une partie du bureau et projetait une ombre sur le parquet stratifié, formant par l’entrelacs de ses fines lettres ouvragées comme des aspics grouillant sur le sol. Cette vision effrayante lui rappela qu’il était encore à son poste de travail, et qu’il était temps de le quitter.

Après avoir consciencieusement remis en place le dossier sur la table de la secrétaire, lavé puis rangé dans son tiroir la tasse dans laquelle il avait bu, il mit son manteau et sa casquette. Puis il dévala les escaliers quatre à quatre et sortit de l’hôtel particulier. Lorsqu’il quitta les bureaux de l’Atractus, place des Victoires, il faisait encore nuit, bien qu’il fût bientôt sept heures et demie du matin.

Il faisait froid et Angel se rendit compte qu’il avait oublié ses gants au journal. Il mit ses mains dans ses poches après avoir placé son écharpe sur son visage. Seuls ses yeux bleus étaient visibles entre son col et la casquette de laine. Dans la pénombre, il dépassa la statue équestre trônant au milieu de la Place.

Soudain, il visualisa mentalement la gravure accrochée dans le bureau de Boïdae, représentant une pyramide de bois, celle qui avait été installée provisoirement durant la période révolutionnaire à ce même emplacement, au beau milieu de la Place des Victoires. Il s’attarda quelques instants.

Une pyramide, se dit-il, songeur.

Il repensa au carton d’entrée de la Capitale, de forme pyramidale. L’idée de rassembler des indices le stimulait et il s’engouffra dans la rue de la Feuillade le sourire aux lèvres. Il décida de se rendre à pied chez lui, rue des Patriarches. La marche lui permettrait de vaincre le froid. Une fois cet objectif fixé, il marcha d’un pas pressé.

Les serpents des pharmacies formaient un bestiaire étrange.

La ville s’éveillait malgré la nuit. Les enseignes des commerces clignotaient sur les façades des immeubles. Les serpents enroulés autour de coupes, symboles des pharmacies, formaient un bestiaire étrange. De nombreux passants filaient discrètement, la tête profondément enfoncée dans leurs manteaux et s’engouffraient dans les bouches de métro.

Angel pensait sans relâche à la Capitale. Son tempérament passionné le portait malgré lui inlassablement à rechercher de nouvelles impressions et des perspectives inédites. Encore quelques jours et il découvrirait la clef du mystère. Y trouverait-il le sens de sa vie ? Il chassa cette question qui lui avait bizarrement traversé l’esprit. Un parc dédié aux plaisirs de ce monde, aussi impressionnant et féérique fut-il, ne pourrait jamais répondre à sa soif d’absolu. Dans ses artères battait un sang brûlant, dans son esprit se déployaient à l’infini des paysages grandioses, des ambitions pharaoniques, des aspirations éternelles. Angel déboucha rue de Valois, dépassa le ministère de la culture, traversa la place du Palais royal et décida de faire un petit crochet par le Louvre.

La pyramide s’élevait comme une intruse au beau milieu de la cour du Palais. Comme un enquêteur qui inspecte les lieux d’un crime, Angel en fit le tour plusieurs fois.

Au centre de Paris, le plus grand musée du monde s’incarne en pyramide.

Il se remémora quelques-uns des milliers de tableaux, de dessins, de statues et d’objets antiques qui faisaient du lieu le temple de la culture. Angel s’imagina les personnages représentés dans des poses glorieuses et immortelles, se livrant des luttes à mort. Ramsès, le grand Pharaon, guerrier assoiffé de sang, combattait ardemment Louis IX, le meneur de croisades, responsable de massacres en masse. Sargon II, qui déporta des populations entières, mettait en joue Louis XIV, responsable de la révocation de l’édit de Nantes. Cette scène plutôt burlesque s’achevait en tragédie : les combattants, comme ceux de l’armée de l’empereur Qin, finissaient pétrifiés. Tels les soldats de pierre chinois, ils peuplaient un mausolée en ruine, sublimation artistique de la cruauté humaine. Et la couronne de gloire dont ils s’étaient parés n’était plus que poussière. Ils s’étaient pris pour des dieux, pour des soleils et des étoiles. Mais il ne restait plus que des cendres.

Cette culture est schizophrène, lui répétait Alex. Pourquoi tant de beauté pour des choses si laides ? Pourquoi réécrire l’histoire en flattant les crapules ?

Tout en repensant à ses discussions avec son ami, il admira la transparence de la pyramide, observa sa structure métallique, lui compara ses sœurs antiques et se demanda pourquoi on l’avait plantée là. Et alors qu’il regardait son sommet, les projecteurs qui l’illuminaient s’éteignirent subitement.

L’opacité remplaça la transparence.

C’était l’aube, mais les ténèbres persistaient. Pensif, il s’éloigna et ressentit les premiers signes de fatigue. Vingt-cinq minutes plus tard, il arpentait la rue Lhomond, déboucha sur la rue de l’Arbalète pour enfin s’engouffrer dans la rue des Patriarches. Angel composa le code de l’immeuble, monta le tapis rouge qu’il aimait s’imaginer déroulé uniquement pour lui, enfonça la clef dans la serrure et courut se mettre au lit, sans même prendre la peine de se déshabiller.


Rendez-vous jeudi 3 avril pour découvrir le chapitre 3...

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