Ce Qu'en Dit Une Mère Juive

Verre brisé, cœur brisé

09/12/2013 | par Emouna Braverman

Depuis le décès de ma petite-fille, je m’identifie plus facilement à la douleur de la perte du Temple.

Si vous êtes comme moi, vous avez sûrement assisté à des tas de mariages (Dieu merci). Et si vous êtes comme moi, vous avez certainement attendu avec impatience le moment où le jeune marié radieux casse le verre sous le dais nuptial, donnant le coup de lancement aux festivités.

Nous savons que ce verre brisé est censé nous rappeler la destruction du Temple de Jérusalem. Nous avons même peut-être prêté attention au petit discours du rabbin rappelant à tous les convives que la joie du peuple juif n’est jamais complète du fait de cette perte. Nous sommes même peut-être allés jusqu’à verser une larme quand l’orchestre a interprété l’air poignant de « Si je t’oublie, Ô Jérusalem… ». Mais pour être honnêtes, ce triste souvenir n’a pas accaparé notre attention plus d’un court moment, et nous sommes vite passés à autre chose…

Bien entendu, il est tout à fait normal de « passer à autre chose » ; un mariage est une occasion joyeuse et notre rôle en tant que convives est de faire de notre mieux pour réjouir autant que possible les jeunes mariés à l’aube de leur nouvelle vie.

Mais cela dit, nous devrions tout de même nous assurer que ce bref instant dédié au deuil du Temple soit réel et sincère. Or c’est là une tâche bien complexe. Car pour la plupart d’entre nous, la douleur de la perte du Temple nous semble très abstraite, très éloignée de nos vies quotidiennes. Il est tellement facile de l’oublier, si bien sûr nous l’avons un jour ou l’autre ressentie.

Je vais être honnête avec vous : il n’y a pas si longtemps, c’est exactement ce que je ressentais. La douleur de la perte du Temple ? Pour moi, ce n’était qu’une simple idée intellectuelle. Aucun sentiment de douleur n’avait entravé ma joie au cours d’un mariage. Je me sentais tout bonnement incapable de m’identifier à un chagrin aussi lointain.

Mais depuis quelque temps, les choses ont changé. Depuis le décès de ma petite fille nourrisson, je porte un sentiment de douleur partout où je vais. La douleur est omniprésente. Quelque fois, elle est cachée sous la surface, pour ensuite resurgir lorsque je m’y attends le moins.

Je pense à ce petit trésor qui n’est plus. Et la cicatrice se rouvre, incapable de guérir totalement.

Et, aussi étrange que cela puisse paraître, c’est souvent au cours des mariages que cette douleur latente affleure. Au cœur de la joie et des retrouvailles familiales, alors que je suis entourée de mes enfants, petits enfants, tantes, oncles et cousines, je prends subitement conscience de notre perte. Je pense à ce petit trésor qui n’est plus. Et la cicatrice se rouvre, incapable de guérir totalement.

Et après avoir fait l’effort de maîtriser mes émotions (et d’arborer un courageux sourire) je pense en mon for intérieur : c’est exactement ce que nous devrions ressentir à propos de notre perte nationale, la destruction du Saint Temple.

La douleur devrait toujours être là, à la lisière de notre conscience, prête à se manifester dans les moments de joie, de douleur, et tous les instants qui se trouvent entre ces deux extrêmes.

Alors que les mariés s’apprêtent à bâtir leur nouveau foyer, nous devrions nous souvenir que la demeure du Tout-Puissant a été détruite, qu’Il n’a plus de lieu où faire résider Sa présence ici-bas.

Au lieu de cela, nous nous laissons bercés et bernés par la routine. Nous ne remarquons même pas ce qui manque à nos vies. Heureusement, les mariages sont là pour nous rappeler à l’ordre. Les bons souhaits que nous adressons aux jeunes mariés ne traduisent pas seulement notre espoir de les voir mener une vie placée sous le signe du bonheur et de l’épanouissement personnels. Ils reflètent également nos aspirations nationales, à l’instar de la bénédiction prononcée sous le dais nuptial : « Que bientôt on entende dans les villes de Juda et dans les rues de Jérusalem, la voix de la joie, la voix de la réjouissance. »

Même les foyers que nous fondons sont censés devenir des beth hamikdach méat – des Temples en miniatures, de petits sanctuaires qui inviteront et abriteront la présence pine jusqu’à la construction du 3ème Temple. Nous aspirons à fonder des petits havres de sainteté pour faire résider le Tout Puissant dans nos maisons inpiduelles, en attendant la création d’un foyer de sainteté universel.

Certes, nous avons parfois du mal à ressentir pleinement cette douleur. Parfois, il nous faut lire des témoignages de la Shoah ou d’autres tragédies du peuple juif pour nous identifier à douleur du Temple. Et quelque fois, nous y parvenons à travers les tragédies qui ont frappé notre vie.

Mais je voudrais suggérer un autre moyen de nous identifier à la peine de la destruction du Temple, un moyen qui traduirait cette commémoration du passé en un tremplin pour mieux vivre notre avenir. Peut-être que si nous prenons la ferme résolution de transformer notre foyer en un petit tabernacle, en un lieu de résidence pour la présence pine ici-bas - et que nous efforçons de créer une atmosphère adaptée – un foyer où règne le respect, la courtoisie, la chaleur et la sainteté, alors peut-être que nous mettrons en place les conditions pour que le Temple soit reconstruit.

Bien sûr, chaque mariage est l’occasion de laisser éclater notre joie au grand jour, de danser et de chanter avec exubérance. Mais nos émotions devraient toujours être tempérées par le souvenir de cette douloureuse et permanente tragédie de l’histoire juive, un peu quand le douloureux souvenir de ma petite-fille Rina modère mes joies.

Car depuis ce triste jour, le bris du verre sous le dais nuptial ne me laisse jamais insensible.

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