Le Compte du Omer

Comprendre Lag Baomer

23/05/2016 | par Yaïr Danielsohn

Qu’est-ce qui se cache derrière cette fête énigmatique ? Et pourquoi allume-t-on des feux de joie ?

En Israël, plusieurs mois avant l’arrivée de la fête de Lag Baomer – le 33ème jour du Omer, les 49 jours qui relient Pessah à Chavouot – on peut apercevoir de jeunes enfants traînant toutes sortes de combustibles, allant de branches mortes à de chaises cassées en passant par de vieux matelas. Leur destination ? Le terrain vague le plus proche, où ils empilent leurs trésors jusqu’à des hauteurs vertigineuses et attendent avec impatience le soir de Lag Baomer, sans doute leur moment préféré de l’année, pour transformer ces échafaudages en gigantesques brasiers. Demandez à n’importe quel badaud la raison de ces feux de joie et l’on vous répondra qu’ils célèbrent la mémoire de Rabbi Chimon bar Yo’haï, un grand sage qui vécut et enseigna près d’un demi-siècle après la destruction du second Temple.

Qu’est-ce qui se cache derrière cette fête plutôt énigmatique qu’est Lag Baomer ? Qu’y a-t-il de si particulier à propos du 33ème jour du Omer ? Qui était Rabbi Chimon dont le nom est si intimement lié à Lag Baomer et pourquoi célébrons-nous son souvenir en ce jour ? Et pourquoi ces feux de joie ?

La période du Omer : un bref rappel

Les 33 premiers jours du Omer sont observés comme une période de deuil. Nous ne nous coupons pas les cheveux, nous ne célébrons pas de mariage ni n’écoutons de la musique. Quelle est la raison de ce deuil ?

Rabbi Akiva, l’éminent sage de la Michna, exerça une puissante influence sur les sages de la Torah de son époque, à tel point qu’il eut 24 000 disciples. Aussi grands les membres de ce groupe étaient-ils, ils avaient pourtant un défaut : ils ne se vouaient pas assez d’amour ni de respect les uns pour les autres. La conséquence tragique de ce manquement fut une épidémie brève mais cataclysmique qui décima l’ensemble de ces élèves. La période durant laquelle cette épidémie se produisit ne fut autre que les 32 premiers jours du Omer.

Pour vous faire une meilleure idée de l’impact que cette tragédie eut sur le peuple juif pour la postérité, prenez en considération les faits suivants : toute la Torah que nous possédons et étudions aujourd’hui, avec toutes ses interprétations, réflexions, dimensions et applications, est essentiellement la Torah de Rabbi Akiva. Bien que la Torah orale ait toujours existé, chaque personnalité de la Torah qui s’immerge dans la Torah ajoute sa propre compréhension à la Torah, enrichissant ainsi la Torah qui sera transmise à la génération suivante. Comme nous le verrons par la suite, la Torah dont nous disposons nous fut transmise par Rabbi Akiva par l’intermédiaire de cinq élèves à qui il enseigna après la disparition de son premier groupe de disciples.

Or la Torah que nous étudions aujourd’hui est infinie. On peut l’étudier pendant toute une vie sans pour autant en venir à bout. Et pourtant, elle n’est pas complète. Il existe des domaines et des dimensions entiers de la Torah qui ne sont pas suffisamment explorés ; il y a beaucoup de débats et beaucoup de zones de confusion. Tout ceci aurait bien pu être différent si nous avions reçu la Torah de Rabbi Akiva dans son intégralité, telle qu’elle avait été assimilée et interprétée par les 24 000 disciples, chacun avec leur réflexion et compréhension uniques. Mais à cause de leur disparition précoce, nous n’avons reçu qu’une fraction de la Torah de Rabbi Akiva. Au lieu d’avoir été amplifiée par 24 000 êtres humains d’une envergure exceptionnelle, il nous reste de cette sagesse que l’interprétation qu’en firent ces cinq disciples.

Nous pleurons les dimensions perdues de la Torah.

Ce ne sont pas tant ces existences brutalement interrompues que nous pleurons ; après tout, ces disciples ne seraient pas en vie aujourd’hui même s’ils avaient vécu pendant longtemps ! Ce sont plutôt les dimensions perdues de la Torah, les univers disparus de la Torah, que nous pleurons. Nous portons le deuil de notre propre incapacité à appréhender l’entière dimension de la Torah, laquelle fut causée par la disparition tragique de ces disciples.

L’interdépendance du peuple juif

Il est significatif que la mort du premier groupe de disciples fut le résultat du manque d’amour et de respect régnant entre eux. La Torah orale ne peut exister que sur la base de l'intégration et incorporation de nouvelles perspectives, interprétations et applications. Ces nouvelles découvertes sont uniques à ceux qui les décèlent, mais deviennent ensuite l’héritage de l’ensemble du peuple juif. La Torah n’est complète que lorsqu’elle est mise en valeur par chaque Juif. À lui seul, aucun Juif, aussi intelligent, talentueux ou avancé soit-il, ne peut maîtriser la totalité de la Torah. C’est pourquoi une condition sine qua non à l’appréhension exhaustive de la Torah est la capacité à apprécier la contribution d’autrui. Un principe résumé par cet adage de nos sages : « Qui est sage ? Celui qui apprend  de chaque homme » (Maximes des Pères, 4:1).

Le 33ème jour du Omer marqua le début d’une nouvelle ère dans la vie de Rabbi Akiva. Ses derniers disciples étant morts, il établit de nouveaux porteurs de son héritage spirituel en la personne des cinq sages suivants : Rabbi Méïr, Rabbi Yéhouda ; Rabbi Éléazar ; Rabbi Né’hémia et Rabbi Chimon bar Yo’haï. Tous ces noms sont familiers à n’importe quel étudiant en Michna ou en Talmud, mais le plus éminent d’entre eux fut le sage Rabbi Chimon, que nous présenterons plus en détail par la suite. (Il y a une opinion qui affirme que Rabbi Chimon mourut par la suite le 33ème jour du Omer, et nous célébrons donc son souvenir en ce jour.)

Si ces cinq nouveaux disciples furent capables de survivre et d’assurer la relève, c’est qu’il devait y avoir une différence qualitative entre eux et les autres élèves de Rabbi Akiva. Si le premier groupe avait failli dans leurs relations interpersonnelles, le deuxième parvint à rectifier ce défaut. Tout comme nous pleurons les dimensions de Torah perdues à cause du manque d’appréciation mutuelle, nous célébrons les dimensions retrouvées qui le furent grâce au dévouement mutuel régnant parmi les nouveaux disciples.

Tous ces événements se produisirent précisément pendant le Omer, la période conduisant à notre célébration de la réception de la Torah au Sinaï. Et pour cause, la meilleure préparation à la réception de la Torah consiste à s’intégrer au sein du peuple juif. Dieu n’a pas donné la Torah à moi, vous ou à n’importe quel autre individu. Il l’a donnée à l’ensemble du peuple juif. Quiconque n’est pas à même de s’intégrer au peuple juif ne peut s’attacher convenablement au don de la Torah par Dieu.

Dans une dimension plus profonde, nous pleurons cette partie de nous-mêmes qui refuse de reconnaître le fait qu’une autre personne puisse abriter un enseignement de valeur qui confèrera davantage de sens à notre vie ou à notre compréhension de la Torah. Une fois que nous avons internalisé la profonde destruction que cette tendance à l’égocentrisme peut générer, nous sommes prêts à reconstruire, forts de cette conscience renouvelée de la grandeur de nos amis et nos connaissances. Nous sommes maintenant prêts à célébrer notre intégration au sein de la totalité du peuple juif pour ensuite utiliser cette unité comme épine dorsale de notre compréhension de la Torah.

En outre, nous sommes prêts à célébrer le rétablissement de l’héritage de Rabbi Akiva, lequel nourrit notre engagement envers l’étude et la pratique de la Torah jusqu’à ce jour. Rabbi Akiva était destiné à être l’homme qui transmettrait la Torah à la postérité. S’il n’avait pas assuré la relève à travers l’ordination de ses cinq nouveaux disciples, il n’y aurait pas eu de Torah.

Rabbi Chimon bar Yo’haï

Fait révélateur, ce fut Rabbi Chimon, le plus éminent disciple de Rabbi Akiva, qui affirma l’immortalité de la chaîne de transmission de la Torah orale. Dans une discussion consignée dans le Talmud (Chabbat 138a), certains sages arguèrent que la Torah était vouée à être oubliée. Rabbi Chimon leur rétorqua : « Dieu préserve que la Torah soit à jamais oubliée ! » Il étaya son point de vue avec un verset de la Torah : « Car elle (la Torah) ne sera pas oubliée de la bouche de la progéniture des Juifs. » (Jusqu’à aujourd’hui, ceux qui visitent la tombe de Rabbi Chimon, nichée au cœur des impressionnantes montagnes du nord d’Israël, sont accueillis par ce même versé peint à l’entrée du mausolée.)

Comme le raconte le Talmud (traité Guittin 67a), Rabbi Chimon fit partie du groupe qui internalisa au mieux les enseignements de leur illustre mentor. Ce fut lui qui révéla les profondeurs de la Torah et perça les secrets de ses dimensions ésotériques à travers ses enseignements. Des enseignements qui devinrent la pierre angulaire du Livre du Zohar, l’œuvre maîtresse de la Kabbala, les aspects cachés de la Torah.

Un jour, lorsque les disciples de Rabbi Chimon se rassemblèrent autour de lui pour un cours, leur maître remarqua la bonne atmosphère qui régnait entre eux et l’absence de quelconque tension. Il déclara alors : « C’est parce que vous maintenez un esprit d’amour et de fraternité que vous avez mérité d’être les acteurs de la révélation des secrets de la Torah. » À travers leur amour et leur sollicitude les uns pour les autres, ils accédèrent à un degré d’unité tel qu’il leur conféra un pouvoir considérable leur permettant de pénétrer dans les profondeurs les plus secrètes de la Torah.

Lag Baomer est un moment propice pour renforcer notre unité, particulièrement dans la perspective de sonder les profondeurs de la Torah, et un moment privilégié pour œuvrer à la prise de conscience que l’étude de la Torah – et l’ensemble du service divin – est le fruit d’un effort commun. Plus nous apprendrons à apprécier ce message, plus les sources de la Torah – comme celles de nos propres âmes – s’ouvriront à nous.

Revenons à ces feux de joie. Le livre qui contient les enseignements de Rabbi Chimon est appelé le Zohar, un terme qui signifie « éclat » ou « rayonnement ». Cette œuvre doit son titre au fait que les enseignements qu’elle abrite illuminent l’obscurité et la confusion régnant dans ce monde et sont un phare nous permettant de naviguer en toute sûreté à travers les vicissitudes de la vie. D’ailleurs, Rabbi Chimon est désigné dans le Zohar par le titre « Botsina Kadicha » ou « la lampe sacrée ». À Lag Baomer, nous honorons sa mémoire en allumant des bougies ou des feux de joie, qui symbolisent la lumière émanant du feu éternel de la Torah, et en particulier ses dimensions ésotériques qui furent révélées par Rabbi Chimon.

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