Captez-vous la fréquence Sinaï ?
La voix du Sinaï résonne à tout jamais. Reste à savoir si nous parvenons à la capter.
Avez-vous déjà entendu parler du « mosquito tone » ? Si vous avez des ados, c’est sans doute le cas. Il s’agit d’une sonnerie de portable d’une fréquence de 17 000 hertz que les jeunes utilisent pour être alertés de l’arrivée d’un texto en pleine classe, à l’insu de leurs professeurs. Des études scientifiques ont en effet prouvé que la plupart des adultes ne sont plus sensibles aux sons dont la fréquence dépasse les 13 à 14 000 hertz, tandis que les adolescents en sont capables. En effet, notre capacité à percevoir des hautes fréquences se dégrade avec l’âge, jusqu’à disparaître vers 25 ou 30 ans.
J’ai trouvé le fameux « mosquito tone » sur la Toile et j’ai cliqué pour l’activer. Je n’ai strictement rien entendu mais mes enfants dans l’autre pièce se sont mis à crier : « Qu’est-ce que c’est que cela ? Éteins-ça, par pitié ! »
Les adultes ont désormais contre-attaqué en employant la technologie des adolescents à leur détriment. L’inventeur Howard Stapleton a mis au point une arme sonore repousse-ado baptisée « Mosquito » (je ne plaisante pas). Il affirme que rares sont les personnes âgées de plus de 30 ans qui peuvent entendre le son lancinant et désagréable du Mosquito. Des commerces et des parcs en Angleterre et au Japon ont commencé à l’utiliser pour empêcher les adolescents de traîner ou faire du vandalisme. Composé d’un boîtier et d’un petit haut-parleur, le Mosquito émet un bourdonnement suraigu que les adultes ne peuvent pas entendre et que les adolescents ne peuvent pas supporter.
Le moment le plus décisif de l’histoire de l’humanité se produisit quand Dieu s’adressa à des millions de personnes au mont Sinaï, dans un acte de révélation suprême. En effet, ce moment fut sans précédent, sans pareil et sans répétition. La Torah écrit : « Ces paroles, l'Éternel les adressa à toute votre assemblée sur la montagne, du milieu des feux, des nuées et de la brume, d'une voix puissante qui ne fut plus jamais entendue… » [vélo yassaf] (Deut. 5, 19)
Le sens simple des mots vélo yassaf, comme l’expliquent le Ibn Ezra et d’autres commentaires, est que la voix et l’expérience du Sinaï n’étaient pas censées « être répétées ». Il s’agissait d’un événement unique en son genre, d’un moment exceptionnel et transcendant de l’histoire humaine, qui n’allait plus jamais se reproduire.
D’un côté, le caractère unique de cet événement est particulièrement significatif. Nous nous tournons éternellement vers ce moment et reconnaissons qu’il fut unique et inimitable, distinct et singulier. D’un autre côté, ce même caractère unique nous force à appréhender le fait que quelle que soit la manière dont nous vivions et quels que soient les choix que nous fassions, nous ne pourrons jamais revivre une révélation telle que celle du mont Sinaï. Or cette prise de conscience génère un sentiment de frustration et émousse notre ambition spirituelle. Si Dieu n’a parlé qu’à une seule reprise mais que nous-mêmes avons raté cette occasion inouïe, comment pouvons-nous rapprocher de Lui aujourd’hui ? Comment accédons-nous à l’affirmation que seule la voix de Dieu peut nous fournir quant à son existence et à notre mission sur terre ?
Troublés par ce dilemme, nos commentateurs avancent une autre interprétation de l’expression vélo yassaf. Onkelos, le célèbre converti qui vécut à la période des Tannaïm (35 – 120), traduit ces mots par vélo passak, ce qui signifie que la voix de Dieu ne s’est jamais arrêtée ni interrompue. Le Ramban cite plusieurs versets prouvant que la racine hébraïque youd-samekh-fé à l’origine du verbe yassaf peut être rendue par « ne jamais s’arrêter ». Selon cette interprétation, Dieu a parlé au mont Sinaï il y a plusieurs milliers d’années auparavant et sa voix et son message continuent de porter jusqu’à aujourd’hui et au-delà.
Alors, laquelle de ces deux interprétations est la bonne ? Les mots vélo yassaf signifient-ils que la voix de Dieu ne fut plus jamais entendue ou indiquent-ils au contraire que la voix de Dieu ne s’est jamais tue ?
Considérons-nous le don de la Torah sur le mont Sinaï comme un événement révolu, ou sommes-nous d’avis que la voix de Dieu continue de nous parler aujourd’hui ? À nous de choisir.
Je crois que la réponse dépend de chacun d’entre nous. Nous avons tous un choix décisif à faire. Considérons-nous le don de la Torah sur le mont Sinaï comme un événement historique appartenant définitivement au passé, ou sommes-nous d’avis que la voix de Dieu continue de nous parler aujourd’hui ?
Chaque année à Chavouot nous nous souvenons de l’expérience sinaïtique et nous demandons laquelle de ces deux interprétations reflète au mieux notre vie. Allons-nous choisir la lecture qui affirme que la voix de Dieu n’est plus entendue ? Ou allons-nous continuer à tendre soigneusement l’oreille à la réverbération du message de Dieu dans nos vies ? Les événements du mont Sinaï sont-ils à l’image de notre relation permanente et florissante avec Dieu ou appartiennent-ils à un passé révolu ?
En réalité, la voix de Dieu nous entoure. À l’instar du « mosquito tone », une fréquence est émise en permanence. La seule question est de savoir si nous sommes capables de l’entendre.
Chaque fois que nous ouvrons un livre et relevons le défi d’étudier la Torah, élargissant et en approfondissant ce faisant notre sagesse, notre compréhension et notre réflexion, la voix de Dieu résonne. Chaque fois que nous nous arrêtons pour admirer un coucher ou un lever du soleil magnifique, la voix de Dieu résonne. Chaque fois que nous accomplissons un acte de gentillesse envers autrui, la voix de Dieu résonne.
Il ne fait aucun doute que Sa voix puissante et majestueuse nous entoure. À Chavouot, nous avons le devoir de nous interroger : sommes-nous branchés sur la fréquence Sinaï ou nous contentons-nous de vivre machinalement en considérant la voix de Dieu comme appartenant à une époque révolue ?
Le choix n’appartient qu’à nous.