L’éclipse solaire aux États-Unis : un regard juif
Dans bien des cultures, la survenue d’une éclipse est perçue comme un mauvais présage. Qu’en dit le judaïsme ?
Les États-Unis vont bientôt être témoins de l’un des événements les plus spectaculaires de l’univers.
Ce lundi 21 août, le ciel va subitement s’assombrir en pleine journée. La température va chuter de plusieurs degrés en quelques brefs instants. Les oiseaux vont cesser de gazouiller pour se réfugier en toute vitesse dans leurs nids. Et des millions d’Américains et de touristes du monde entier vont se rassembler sous les cieux, depuis l’Oregon jusqu’à la Caroline du Sud, pour observer la première éclipse solaire totale à traverser les États-Unis depuis plusieurs dizaines d’années.
C’est là un spectacle imposant. D’ailleurs, tout au long de l’histoire, à différentes époques et dans d’innombrables cultures, la survenue d’une éclipse était accueillie avec crainte et consternation. Pour quiconque n’était pas assez instruit pour comprendre l’origine scientifique de cette obscurité temporaire, à savoir l’alignement du Soleil, de la Lune et de la Terre sur un même axe, ce phénomène augurait son lot de mythes et de mauvais présages. Le mot éclipse est d’ailleurs issu du terme grec renvoyant à l’abandon et au délaissement, comme si l’assombrissement soudain de l’univers exprimait un mécontentement divin si sévère que Dieu avait choisi de retirer temporairement le don de Sa présence.
Comment les sources juives perçoivent-elle la survenue d’une éclipse solaire ?
Au tout début de la Torah, les commentateurs bibliques juifs trouvent une allusion directe au phénomène de l’éclipse : « Dieu dit: "Que des corps lumineux apparaissent dans l'espace des cieux, pour distinguer entre le jour et la nuit; ils serviront de signes pour les saisons, pour les jours, pour les années" » (Genèse, 1, 14). Que signifient les mots « ils serviront de signes » ? Le commentaire classique de Rachi nous répond que le verset fait référence aux moments où les luminaires sont éclipsés. Et d’ajouter qu’un tel phénomène constitue « un mauvais signe pour le monde » !
Cela signifie-t-il que nous devrions vivre dans la crainte du 21 août prochain ? Pas si vite…
Fait remarquable, Rachi conclut son commentaire avec une référence aux paroles du prophète Jérémie : « Il est écrit : "ne tremblez pas devant les signes célestes !" (Jérémie 10, 2). Quand vous exécutez la volonté du Saint béni soit-Il, vous n’avez à redouter aucun châtiment. »
Mais cette conclusion nous laisse perplexes. Si une éclipse est une prédiction d’une punition divine imminente, comme Rachi semble le déduire du verset de Genèse, pourquoi réfute-t-il aussitôt cette idée précise à l’aide d’une citation de Jérémie nous enjoignant au contraire de ne pas redouter les signes célestes ?
La réponse est profonde et liée à l’importance suprême que les Juifs accordent au concept du libre-arbitre, la capacité qu’a l’homme à influer sur sa destinée en vertu des choix personnels qu’il opère. Le concept grec du destin va à l’encontre de la pensée juive ; notre sort peut parfaitement être modifié par la foi. Ou comme le célèbre adage des fêtes solennelles de Tichri le formule : « Le repentir, la prière et la charité annulent le mauvais décret. »
C’est un événement qui doit nous rappeler le pouvoir et la bonté impressionnants de Dieu.
Une éclipse constitue peut-être un signe, mais elle n’en est pas pour autant un verdict ou un jugement final. C’est un événement qui doit nous rappeler le pouvoir et la bonté impressionnants de Dieu. En effet, sans les vertus du Soleil, sa lumière, sa chaleur, son énergie et son rôle dans le système solaire, nous n’aurions pas pu subsister un seul instant sur terre. C’est pourquoi, avec une sagesse infinie et à des moments prédéterminés du calendrier, Dieu nous prive de ses rayons pendant un instant très bref afin que nous puissions apprécier pleinement le miracle de sa présence constante que nous tenons si facilement pour établi. C’est cela que la Torah appelle « un signe ».
Le but d’un signe est d’éveiller notre attention. Il est porteur d’un message. Un message qui, si ignoré, peut exposer l’homme aux conséquences réservées aux individus n’appréciant pas à leur juste valeur tous les cadeaux de Dieu qui, à l'instar du soleil, rendant la vie possible. Il n’est pas difficile de croire que le Créateur de l’univers a prévu des « panneaux de signalisation » intégrés dans la loi de la nature pour rappeler constamment l’humanité à l’ordre.
Le message impressionnant d’une éclipse et sa signification pour nous trouve d’ailleurs un parallèle remarquable dans une coutume juive universelle.
Selon la NASA et d’autres experts, il est très important que les spectateurs de l’éclipse se protègent les yeux et ne regardent pas directement le soleil, cela pour éviter des dommages oculaires pouvant aller jusqu’à la cécité. Je ne peux pas m’empêcher de penser à ce même devoir que nous avons de nous couvrir les yeux lorsque nous récitons la prière du Chéma. Au moment où nous méditons sur la grandeur et l’unicité de Dieu, nous indiquons que Sa splendeur dépasse de très loin la capacité restreinte de notre vision. Car penser que nous sommes véritablement capables de voir Son essence avec la perspective limitée offerte par nos yeux c’est être aveugles à la réalité de Sa magnificence infinie.
L’éclipse nous rappelle que l’univers est bien trop vaste et complexe pour que nous puissions le comprendre pleinement. Ne la craignons pas, accueillons-là plutôt comme un signe nous rappelant ce que le roi David chantait dans ses Psaumes : « Les cieux racontent la gloire de Dieu et l’étendue manifeste l’œuvre de Ses mains » (Psaumes, 19, 1)