De Chinois à Juif : Mon odyssée
Quand une rencontre fortuite avec une Bible bouleverse le destin d’un étudiant chinois.
Je suis né et j’ai grandi à Tianjin, en Chine, au sud-est de la ville de Pékin avec 13 millions de personnes. Mon père était ingénieur et ma mère technicienne.
Sous le régime communiste, j'ai reçu une éducation très laïque. La notion même de religion semblait inexistante. Bien que la Chine ne soit pas traditionnellement un pays athée – on y trouve des centaines de millions de bouddhistes, taoïstes et confucianistes - l'influence plus récente du communisme, du nationalisme, et également du consumérisme occidental y a introduit une forte composante athée.
J'ai ensuite fréquenté l'université et étudié le génie mécanique. Lors ma dernière année d’études, après avoir soutenu ma thèse, j'ai eu beaucoup de temps libre. J'ai alors commencé à assister aux cycles supérieurs, des cours d'anglais dispensés par un professeur américain.
Un jour, après la classe, l'enseignant a commencé à me parler de religion et de la Bible - un sujet qui m’était alors totalement inconnu.
Il m’a donné une Bible Anglais-Chinois à lire. J'avais hâte d'apprendre l’anglais, et le livre me semblait un excellent outil d'apprentissage: des phrases en anglais et en chinois côte à côte, chacune des phrases numérotée, ce qui me permettait de trouver facilement les mots correspondants.
J'ai commencé à lire le livre attentivement, mot par mot. Cela m’a conduit à soulever de nombreuses questions - non seulement sur les définitions de certains termes anglais, mais aussi sur les concepts abordés dans le livre.
Je suis retourné voir l'enseignant à plusieurs reprises pour lui soumettre mes questions. Je ne savais pas qu'il était missionnaire chrétien et qu’il était venu en Chine sous le prétexte d'enseigner l'anglais ... dans le but inavoué de faire du prosélytisme.
En répondant à mes nombreuses questions, il n'a pas perdu l'occasion de m’endoctriner avec sa philosophie chrétienne.
Ce processus a connu une brusque halte lorsque sa véritable identité fut démasquée par le gouvernement chinois. Bien que la Chine fasse généralement preuve de tolérance vis-à-vis des activités religieuses, le gouvernement se méfie toujours des étrangers qui peuvent également poursuivre des objectifs politiques subversifs – ce qui fit qu'il n'était plus le bienvenu en Chine.
J'ai décidé de chercher des églises chrétiennes locales pour continuer mon apprentissage de la Bible et j’ai donc commencé à fréquenter l'église tous les dimanches. Les pasteurs chinois n'étaient pas en mesure de lire la Bible en anglais (sans parler de l'original en hébreu), mais ils m’ont enseigné des idées chrétiennes telles que: les Juifs sont coupables de déicide; le Judaïsme est une tradition inventée pour remplacer la révélation sainte ; les Juifs sont aveugles et incapables de voir la lumière de la vérité, etc.
Je n'avais jamais rencontré de Juifs, et je ne savais rien de leur histoire. Toutes mes informations provenaient des médias chinois qui dépeignaient les Juifs comme des méchants voleurs et Israël comme un pays d’impérialistes agressifs alliés aux Américains. Je n'ai donc pas eu la possibilité de remettre en question la validité de ces enseignements chrétiens à connotation négative, sur les Juifs.
Mes années bibliothèque
Après mes études, j'ai décroché un emploi d’ingénieur dans la conception automobile.
J'ai ensuite passé la plupart de mon temps libre à entreprendre une étude plus approfondie sur la religion. J'ai obtenu les différentes versions de la Bible, à la fois en chinois et en anglais, et je les ai toutes lues très attentivement, mot par mot. Ce n'était pas une tâche facile. J'ai passé des années à étudier la Bible, ainsi que tous les livres que j'ai pu trouver sur les religions occidentales.
J'ai rencontré plusieurs contradictions dans les traductions. Par exemple, la « naissance virginale » est d'une importance fondamentale pour le christianisme, mais dans certaines Bibles le mot hébreu alma (Esaïe 7:14) se traduit non pas comme « vierge » mais comme « jeune femme ».
J'ai essayé de trouver un pasteur qui aurait pu m’aider à résoudre cette contradiction, mais malheureusement, même dans un pays de plus d’un milliard d’habitants, je n’ai pas pu trouver une seule personne possédant suffisamment de connaissances sur ces textes.
J'ai réalisé alors que si je voulais vraiment comprendre le sens authentique de la Bible, mon seul choix était d'apprendre l'hébreu par mes propres soins.
J'ai jeté mon dévolu sur l'immense bibliothèque centrale, dont la section langue étrangère occupe presque tout le bâtiment. C'était avant l'ère d’Internet et leur catalogue n'était pas encore informatisé. La section sur la religion était particulièrement mal faite et j'ai dû consulter chaque livre à la main. La seule bonne nouvelle était qu’il y avait deux bibliothécaires et que j'étais leur seul client.
Deux années plus tard, la bibliothèque s’est finalement dotée d’un dictionnaire hébreu-anglais.
Parvenir à un certain niveau en hébreu fut le fruit d’un processus lent et régulier. Après environ deux ans, la bibliothèque a finalement fait l’acquisition d’un dictionnaire hébreu-anglais, ce qui m'a aidé à apprendre l'alphabet. Malheureusement, je ne savais toujours pas comment prononcer quoi que ce soit, parce que si un dictionnaire est utile pour la lecture, vous ne pouvez que deviner les sons dont il est question.
Deux autres années plus tard, lorsqu’Israël et la Chine ont normalisé leurs relations diplomatiques, un touriste chinois parti visiter Israël a ramené avec lui un CD d’ « apprentissage de l'hébreu ». Il s’est finalement retrouvé entre mes mains et j'ai pu franchir un nouvel obstacle dans ma quête, entendre enfin l’hébreu parlé.
Après cela, j'ai fait connaissance avec un homme formidable, Avigdor Cohen de Maalé Adoumim en Israël, sur un forum Internet lié à la Bible. Nous avons commencé à correspondre par courriel et il m'a envoyé une Bible hébreu-anglais. Pour ceux qui ont toujours eu accès au judaïsme, il est probablement difficile d'apprécier quel était mon enthousiasme d'avoir enfin le texte original authentique entre mes mains.
À l'époque, j'enseignais le chinois à des visiteurs étrangers, et l'un de mes étudiants m’a offert une Bible en hébreu. Je l'ai apportée à l'église et l’ai montré au pasteur afin d'évaluer sa réaction. Mais il n’a eu aucune réaction, car il n'avait aucune idée que c’était de l’hébreu qu'il regardait. A ce stade, j’étais devenu de plus en plus réticent à me fier à une personne prétendait être un "croyant fidèle à la Parole de Dieu’’ alors qu’il ne pouvait même pas en reconnaître le texte.
Une fois encore, j’ai dû faire preuve de plus d’autonomie dans ma recherche. J’ai entrepris de lire tous les livres que je pouvais trouver qui étaient, même vaguement, connectés aux Juifs - tout depuis les mémoires de la Shoah à la politique israélienne. A cette époque, l'Internet était en plein essor. Le gouvernement chinois n'avait pas encore mis en place sa technologie de filtrage, j’avais donc un accès complet à tout, de Maïmonide à Martin Buber. Et tout cela a eu un impact intellectuel considérable sur moi.
Plus je lisais d’écrits sur les Juifs, plus je pouvais m’apercevais que le Christianisme avait pris le Judaïsme et l'avait dénaturé. J'ai supposé qu’il s’agissait de toute une série de malentendus involontaires, alors j'ai commencé à écrire des articles en chinois sur les Juifs et à les publier sur Internet dans l'espoir de dissiper ces malentendus chrétiens.
Peu de temps après, j'ai reçu des menaces véhémentes de Chinois chrétiens fondamentalistes. Cela m'a éveillé à la réalité persistante de l'antisémitisme.
Cette attitude m'a vraiment dérangée car elle soulevait une contradiction entre ce que j'avais lu dans les livres juifs sur cette nation prônant tous les plus grands idéaux de l'humanité - l'éducation pour tous, les soins pour les malades et les pauvres, la justice pour tous – et l'image maléfique des Juifs imprégnant tous les médias chinois.
Je suis mis à réfléchir à ce qu’être Juif pourrait bien signifier pour moi et ai décidé d'essayer de localiser un Juif en Chine. Vous pourriez penser que cela était facile. Après tout, dans la première moitié du 20e siècle, des milliers de réfugiés juifs européens étaient arrivés en Chine, et il y avait eu un afflux constant de Juifs depuis l'expansion économique de Hong Kong, Shanghai et Beijing.
Enfin, j’ai réussi à entrer en contact avec un homme du nom de David Buxbaum, un avocat juif américain qui pratiquait le droit en Asie. (Par coïncidence, son fils Benjamin Buxbaum est le gestionnaire de la mailing liste à Aish.com.) Nous nous sommes rencontrés dans le bureau de David à Pékin, dans le même bâtiment qui abrite l'ambassade d'Israël. C'était pour moi une véritable percée que de pouvoir discuter avec un Juif de chair et de sang croyant en la véracité de la Bible juive.
Mais ce qui m'a vraiment impressionné c’était à quel point cet homme était humble, sincère et savant. Désormais, j’étais persuadé que les stéréotypes négatifs que j'avais appris par les médias chinois étaient faux.
Retour aux sources
Tout au long de ce processus, un évènement que j’avais vécu des années plus tôt dans mon adolescence revenait sans cesse à ma mémoire.
J'avais écouté ma radio à ondes courtes et bien qu’étant incapable de comprendre ce que les gens disaient, j’avais l'impression qu'ils lisaient l'Écriture. Les seuls mots que je comprenais était une phrase qui était répétée à plusieurs reprises: " Retour en Israël’’. Je ne comprenais pas le contexte de la discussion, et à l'époque je ne savais même pas ce que qu’était Israël. Pourtant, je sentais une connexion émotionnelle profonde à chaque fois que j'entendais les mots « retour en Israël ».
Au cours de mes années de recherche, ce refrain résonnait constamment dans ma tête. Je m’identifiais très clairement avec les Juifs, errant dans le monde à la recherche de la terre promise. Je sentais que, moi aussi, j’errais à la recherche de ma patrie.
Après une longue construction, j'ai finalement atteint un point de clarté absolue. J'ai décidé de devenir Juif et de déménager en Israël ... même si je n'avais aucune idée de ce que cela impliquerait précisément.
J'avais besoin d'un arrêt à mi-chemin pour devenir Juif, et ensuite de m’installer en Israël.
J'ai vite découvert qu'il était logistiquement impossible d'atteindre cet objectif depuis les confins de la Chine. J'avais besoin d'un arrêt à mi-chemin qui me servirait de point de départ - ce qui me permettrait d'acquérir la nationalité occidentale, de devenir Juif, puis de m’installer en Israël.
Il n'y avait pas de chemin direct et j'avais besoin d'un plan.
J'avais un ami qui vivait au Canada, un Chinois qui avait navigué avec succès à travers tout le processus d'immigration. Il m'a montré exactement comment faire. Ainsi, en 2005, j'ai déménagé à Toronto et ce passage est devenu une partie de ma destinée.
J'ai trouvé un emploi dans le génie mécanique. J'ai commencé à fréquenter le Shul Village qui fait partie du réseau d’Aish. J’y ai découvert vu un Judaïsme vivant, en pleine action. Imaginez la première fois que j’ai goûté de la Matsa, la première fois où j’ai entendu une sonnerie de shofar, ma première danse à un mariage juif. Tout était si beau, si pur, si éloigné de tout le cynisme et le matérialisme qui ont envahi nos vies.
À force d’approfondir mes connaissances, je me suis senti hypocrite de ne pas mettre cela en pratique. J'ai donc pris la décision de devenir observant: allumer les bougies de Shabbat. Prier. Manger casher. Ma plus grande difficulté, c'était d’arrêter de manger des produits à base de porc, qui est un ingrédient principal dans presque tous les plats chinois.
J'ai étudié, j'ai lutté, et j'ai posé des questions. J'étais déterminé à aller aussi loin que la vérité me le permettrait.
Quelques années ont passé et je commençais à me sentir vraiment comme un Juif. Je m’identifiais avec le peuple juif qui avait été si injustement calomnié et persécuté. J'ai compris que le Judaïsme était vrai, et afin de solidifier mon amour pour la vérité, j'étais prêt à devenir juif.
J'ai étudié intensivement à Toronto, avec le rabbin Robinson qui m'a guidé avec attention pendant l'ensemble du processus. En 2011, après 16 longues années de voyage, j'ai effectué ma conversion avec le rabbin Shlomo Miller à Toronto. J'étais enfin rentré à la maison au sein du peuple juif.
Certains convertis décrivent le processus de conversion comme « l’acquisition d’une nouvelle identité. » Pour ma part, je ne l'ai pas vécue de cette façon. A mes yeux moi, c'était davantage comme la concrétisation d'une identité que je désirais assumer depuis longtemps.
Un amoureux de la paix
Depuis ma conversion j'ai poursuivi ma passion de l'étude de la Torah et en mai 2012 je suis arrivé à la Yeshiva de Aish atorah à Jérusalem. Pour moi, cette opportunité était comme d’avoir gagné à la loterie. Qui aurait pensé qu'un enfant ayant grandi à Tianjin serait un jour en train d’étudier la Torah au meilleur endroit au monde pour cela - juste en face du Mur Occidental.
Mes objectifs sont d'étudier la Torah, de m'installer dans le pays d'Israël, et de lutter contre l'antisémitisme. Devenu encore plus conscient de l'antisémitisme moderne qui tend à diaboliser Israël, j'ai lancé un blog en chinois afin de fournir les connaissances de base sur les Juifs et Israël pour que le peuple chinois ne subisse plus si facilement de lavages de cerveau écrasants par le biais des médias.
Je m’attèle également à traduire des documents contre-missionnaire en chinois, en vue de réfuter les calomnies religieuses envers les Juifs.
Je suis déçu de constater que l'Etat moderne d'Israël a moins de judéité que ce à quoi je m'attendais. Pour moi, ce fut un choc culturel. Ironie du sort, j'ai découvert qu’il y avait environ 20.000 travailleurs chinois en Israël, pour la plupart impliqués dans des tâches subalternes.
Tout ça n'a pas été facile pour ma famille. Mes parents n'aiment pas la religion et ont un esprit très fermé à ce sujet. J'ai une petite sœur qui me montre plus de compréhension, elle a étudié à Washington DC et vit maintenant à Shanghai.
En regardant en arrière, je vois que mon identité juive ne s’est pas totalement éveillée à partir du néant. L'histoire des Juifs en Chine remonte en fait à plusieurs siècles. Certains vont même jusqu'à suggérer que la Chine recèle quelques vestiges des dix tribus perdues.
On admet que les premiers Juifs ont immigré en Chine, à travers la Perse, après la capture de Jérusalem par l'empereur romain Titus en 70 de notre ère. Les Juifs ont vécu en Chine pendant le Moyen Age et jusqu'à aujourd'hui certaines communautés chinoises pratiquent des rituels qui ressemblent étrangement au Judaïsme. Pendant de nombreux siècles (1163-1860) il y avait une communauté juive à Kaifeng, à 650 miles de Pékin. Ils ne mangeaient pas de porc, ils plaçaient une espèce de mezouza sur les montants de leurs portes, et ils parlaient d'une certaine patrie lointaine appelée Israël. (Récemment, 14 personnes de Kaifeng ont fait leur aliya et se sont converties.)
Au début du 20ème siècle, des Juifs fuyant les pogroms russes se sont déplacés au nord-est de la Chine, comme l'ont fait les Juifs fuyant la Révolution russe de 1917 via le Transsibérien. Ce n’est que bien plus tard que j'ai découvert que ma propre ville de Tianjin possédait une synagogue désaffectée, construite dans les années 1900, par des réfugiés russes.
Ironie du sort, il y a aujourd'hui, une sorte de fascination chinoise croissante pour le Judaïsme. Trois universités possèdent des départements d'études juives, avec probablement quelques centaines de candidats à la maîtrise et au doctorat, qui sont tous Chinois. En opérant sur un plan purement académique, cependant, ces études ont tendance à présenter un manque d’information sur la source de spiritualité qui conduit la vie du peuple juif. Le Talmud en particulier, a acquis une réputation de « grand référentiel secret de conseil aux entreprises « . Avec des titres chinois populaires comme : Cracker le Talmud : 101 règles juives de Business, cette fausse sagesse talmudique est devenue un véritable guide pour ceux qui cherchent à faire fortune.
Quant à moi, je suis heureux d'avoir découvert que la véritable « richesse » du judaïsme se trouve dans son éthique et sa spiritualité.
Mon nom de famille chinois est Chai, qui signifie « bois ». Il est étonnant que ce même mot soit le mot hébreu emblématique de la « vie ». J'ai choisi un nouveau prénom juif, Aaron, parce que dans la Bible ce personnage était connu comme un homme de vérité et un amoureux de la paix. Le peuple juif est amoureux de la vérité et de la paix. Et c’est précisément la raison pour laquelle j’ai voulu le rejoindre.