Découvrir Israël

Ma maison, mon histoire, mon cœur

02/05/2013 | par Sara Yoheved Rigler

Nichée au cœur de la vieille ville de Jérusalem, ma maison est un maillon de la longue chaîne de notre histoire.

Je vis dans une maison datant de 900 ans, située à l’intérieur des murailles de la Vieille Ville de Jérusalem. Lorsque nous avons agrandi notre minuscule salle de bain en démolissant un de ses murs épais d’un mètre, nous avons découvert le chapiteau d’un pilier du sixième siècle. Nous avons aussi trouvé des tessons de poteries remontant aux périodes du Premier et du Deuxième Temples.

Les tessons trônent désormais sur une étagère de notre salle de séjour, en face de notre photo de mariage. Parfois j’y jette un coup d’œil et songe aux Juifs qui vivaient dans cet endroit, quelques mètres au-dessous du niveau de notre maison, il y a plus de 2000 ans. Ils s’étaient mariés selon le même rite juif que nous, bien qu’ils n’eussent pas de photo de mariage.

Ce sont les Byzantins, et non pas les Juifs, qui ont construit le bâtiment qui jadis se trouvait ici. A ce moment-là, il y a 1400 ans, nous étions en exil, dispersés aux quatre coins de l’Empire romain. Nos vainqueurs ont détruit la Jérusalem juive, y ont fait passer les charrues et l’ont remplacée par une ville romaine, Aelia Capitolina. Les Juifs n’avaient pas le droit d’y pénétrer. Les Romains édifièrent une esplanade à colonnes appelée le Cardo, à une minute à pied de chez moi. Rome fut le plus grand empire que le monde ait connu et les Juifs furent le plus petit peuple qu’ils aient vaincu. Aujourd’hui, les enfants juifs jouent dans les ruines du Cardo romain.

Notre maison en particulier ne fut pas bâtie par les Juifs mais par les Musulmans. A cette époque, il y a 900 ans, ceux-ci avaient conquis Jérusalem et, à l’exception d’un laps de temps de moins de cent ans, l’ont préservée solidement des Croisés. Les Musulmans permirent aux Juifs d’habiter à Jérusalem. Lorsque les Croisés conquirent la ville en 1099, ils massacrèrent tous les habitants juifs. Le sang juif inonda les rues de Jérusalem. Le sang a disparu mais plusieurs bâtiments des Croisés existent encore près de ma maison.

Quand les Musulmans reconquirent la cité, un petit nombre de Juifs y retournèrent. Après avoir quitté l’Espagne, Na’hmanide (le Ramban) y arriva en 1267 et trouva à peine suffisamment de Juifs pour former un minyan (quorum de dix hommes nécessaire pour prier en public). Il se procura un rouleau de la Torah dans la ville de Shekhem et fonda une synagogue. Mon mari y prie quotidiennement.

Mille fois bannis de Jérusalem, les Juifs y sont toujours revenus.

Un certain nombre de Juifs expulsés d’Espagne en 1492 se rendirent à Jérusalem (qui, jusqu’aux années 1860 ne comprenaient que la Vieille Ville). En 1840, il y avait 5000 Juifs, alors que le nombre des Musulmans étaient de 4500 et celui des Chrétiens de 3750. Pas plus tard que 1870, les Juifs constituaient la majorité de la population.

Notre maison appartenait à l’évidence à des Juifs, en raison des découpages taillés dans les montants des portes pour y insérer les mézouzot, parchemins sacrés sur lesquels sont inscrits des versets de la Torah.

POUR L’AMOUR DE JÉRUSALEM

Mille fois bannis de Jérusalem, les Juifs y sont toujours revenus, irrévocablement attirés par une aspiration mystique, faisant presque partie du code de notre ADN.

La Torah fait allusion à Jérusalem comme étant « l’endroit où D.ieu fera résider Son Nom. » Jérusalem occupe une place centrale pour le peuple juif non pas parce que c’est notre maison mais parce que c’est celle de D.ieu. Et bien que l’intellect juif sait que D.ieu est infini et ne peut pas Se limiter à un espace particulier, le cœur juif, lui, sait que D.ieu demeure à Jérusalem.

Aussi, peu importe combien de fois avons-nous été chassés de Jérusalem par une succession de conquérants étrangers, nous y sommes sans cesse revenus. C’est pourquoi, tout enfant juif en Israël, religieux ou non, sait que Jérusalem mérite qu’on se batte pour elle.

LA GUERRE D’INDÉPENDANCE

Ma voisine Pouah Shteiner l’avait certainement vécue. Elle avait grandi dans le Quartier juif dans les années 40, lorsque les Britanniques gouvernaient le pays. Ses parents, ses grands-parents et ses arrière-grands-parents étaient nés dans la Vieille Ville. En 1948, Pouah, âgée de sept ans, vivait avec sa famille sur la place Baté Mahssé, dans une rangée d’habitations à dôme, qui maintenant constituent l’école de mon fils.

Les Arabes imposèrent un siège total sur les 1700 Juifs vivant dans le Quartier juif.

Durant plusieurs semaines, au printemps 1948, l’artillerie, située sur le Mont des Oliviers tout proche, bombarda le Quartier juif. Aussitôt que les autorités mandataires britanniques s’en allèrent, les Arabes encerclèrent complètement les 1700 Juifs vivant dans le Quartier juif. Ce fut à 150 « soldats » de la Hagana, garçons et filles dont certains avaient tout juste 13 ans, que fut confiée la charge de défendre le Quartier. Ils partageaient entre eux exactement 113 armes.

Les obus, les mortiers et les tireurs isolés placés sur les toits eurent raison de la vie de 59 habitants et défenseurs du Quartier juif. Dans ses mémoires particulièrement émouvantes, Pour toujours ma Jérusalem, Pouah Shteiner raconte ses souvenirs d’enfance lors de l’ultime résistance des Juifs de la Vieille Ville :

Le bruit continuel des obus cessa brutalement. Et alors, au milieu du silence, une voix sortit d’un haut-parleur et cria : « Rendez-vous ! Rendez-vous ! Vous voulez donc tous mourir ? Rendez-vous avant que nous vous massacrions tous. »

Cet appel fut répété à maintes reprises. Puis le déluge d’obus recommença et, avec lui, la terrible grêle des balles de mitrailleuse qui reprit de plus belle. Nous étions assis par terre, complètement gelés, ne pouvant ni parler ni jouer... Mon dos était parcours par des frissons et mes mains tremblaient.

Les quatorze jours durant lesquels les Juifs tinrent bon furent épouvantables. Tapis dans un entrepôt afin de se protéger des bombardements incessants que leur faisaient subir les soldats bien équipés de la Légion arabe (armée jordanienne), la famille de Pouah et une douzaine d’autres familles se trouvèrent finalement à court de nourriture. S’aventurer dehors représentait un risque qui avait déjà coûté la vie aux pères de deux camarades de Pouah. Néanmoins, le père de Pouah et un autre homme se portèrent volontaires pour aller chercher du pain à la boulangerie. La sœur de Pouah, Naomi, âgée de neuf ans, lui cria de ne pas y aller.

Le Quartier juif complètement étranglé était en train de subir un lourd bombardement mais ma sœur Naomi réussit presque à dominer le bruit des tirs d’artillerie qui détruisaient nos maisons et nos rues. Nous ne savions pas si les Arabes s’étaient emparés de la boulangerie. Mon cœur était près d’exploser comme un obus.

Depuis que Abba était parti, chaque minute me paraissait une éternité. Les obus continuaient de tomber. Quand Abba allait-t-il revenir ?...

Soudain des cris de joie emplirent le sombre corridor. Ils étaient là ! Ils étaient revenus ! Merci mon D.ieu ! A ce moment précis, une bombe explosa dans la cour...

Quand le Quartier juif manqua de munitions, ses habitants se rendirent.

Nous avions lutté pendant deux semaines afin de conserver le Quartier juif pour le peuple juif. Mais durant ces deux longues semaines de combat, le Quartier avaient perdu ses membres, un par un. Maison après maison, rue après rue, il avait été détruit. Durant deux longues semaines, il avait défié héroïquement l’ennemi, refusant de se rendre à ce qui lui était supérieur en force. Mais maintenant, D.ieu avait scellé son sort et aujourd’hui nous nous rendions.

« Maison après maison, rue après rue ». Je parcours ces rues journellement. Chaque fois que je vais à la bibliothèque ou à la banque, je passe devant un mémorial pour ceux qui sont tombés dans le combat pour le Quartier juif. Attiré par leur souvenir, je descends trois marches et pénètre dans une pièce creusée dans le roc. Un des murs est couvert d’une carte métallique en relief représentant le Quartier juif en 1948, avec les grandes coupoles de ses deux magnifiques synagogues (détruites plus tard) s’élevant au-dessus de l’enchevêtrement des ruelles et des bâtiments. Des flèches composées de lumières rouges clignotantes retracent l’avance arabe, en reconstituant sans cesse la bataille.

L’Etat d’Israël était né. Mais sans la Vieille Ville, c’était un corps sans âme.

Dans une cavité profonde à gauche, des noms en alliage blanc se détachent sur l’obscurité : ceux des 69 Juifs qui tombèrent en défendant cet endroit où je marche maintenant si librement. Trente-neuf d’entre eux étaient des membres officiels de la Hagana. Le plus jeune de ces soldats était Nissim Giny, qui s’étaient porté volontaire comme messager parce qu’il était trop jeune pour tenir une arme (même s’il y avait eu assez d’armes). Il avait dix ans.

Israël a gagné la Guerre d’Indépendance. L’Etat d’Israël était né. Mais sans la Vieille Ville, c’était un corps sans âme.

RETOUR AU BERCAIL

Dix-neuf ans plus tard, le 7 juin 1967, le troisième jour de la Guerre des Six Jours, une division de parachutistes israéliens encerclait la Vieille Ville. Son chef, Mordechai Gour donna l’ordre suivant à ses troupes : « Nous nous approchons de la Vieille Ville. Nous nous approchons du Mont du temple, du Mur occidental. La nation juive a prié pendant des milliers d’années pour ce moment historique. Israël est dans l’attente de notre victoire En avant, et vainquez ! »

Les parachutistes montèrent à l’assaut de la porte des Lions. Cette ancienne porte était faite pour les charrettes et les chameaux mais non pas pour les tanks. Un char y resta bloqué ; nombre des soldats victorieux durent ramper sous le tank pour entrer dans la Vieille Ville. Le rabbin Chlomo Goren, tenant un rouleau de la Torah et soufflant dans le chofar, se trouvait dans la première jeep qui pénétra par la porte de Sion. C’était un jour de triomphe et de pleurs, semblable aux retrouvailles tant attendues d’une mère et de ses enfants. Pour un peuple qui avait enduré tant de défaites, c’était un moment de victoire parfaite.

L’armée israélienne trouva le Quartier juif dans un état lamentable. Les occupants jordaniens avaient commencé à le raser et à transformer ses anciennes ruelles et ses édifices en un complexe d’appartements modernes de luxe. Les Juifs entreprirent de récupérer les bâtiments, tels que les nôtres, qui pouvaient être sauvés et construisirent de nouveaux édifices à l’endroit où seuls des décombres restaient.

En 1988, nous achetâmes notre appartement situé au rez-de-chaussée. Un après-midi, quelques années plus tard, je remarquai une vieille femme qui jetait un coup d’œil par la fenêtre de ma cuisine. Lorsque je lui demandai si elle avait besoin de quelque chose, elle me répondit qu’elle vivait dans cette maison jusqu’en 1929.

Je l’invitais à entrer et elle me raconta son histoire : à cette époque, dans chacune de nos trois chambres vivait une famille entière. Elles partageaient une cuisine située dans la cour. Il n’y avait pas d’eau courante à l’intérieur ; un robinet se trouvait dans la cour. Son père était pharmacien et notre salle de séjour servait de pharmacie dans le Quartier juif. Quand les Arabes fomentèrent des troubles dans la Vieille Ville en 1929, ils la détruisirent et sa famille s’enfuit vers la ville nouvelle de Jérusalem qui était beaucoup plus sûre.

Comme cela est étrange ! Mon père aussi était pharmacien. Nous nous examinions mutuellement – deux femmes juives nées à des décennies d’intervalle, toutes les deux filles de pharmacien, toutes les deux vivant dans ces mêmes lieux à des périodes dramatiquement différentes de l’histoire juive.

Comme chaque Juif, je suis un maillon de la longue chaîne de l’histoire juive. Lorsque je marche dans les rues de la Vieille Ville, j’ai l’impression que cette chaîne tire sur mon âme. Tous les maillons se meuvent à l’unisson : les femmes juives d’il y a deux ou trois millénaires dont les tessons de poteries se trouvent sur l’étagère de mon salon, les Juifs chassés par les Romains, les Juifs qui tombèrent sous les épées des Croisés, les Juifs expulsés d’Espagne qui repeuplèrent le Quartier juif, la fille du pharmacien qui habitait ma maison jusqu’en 1929, le messager de dix ans et les soldats qui entrèrent par la porte des Lions en rampant sur le ventre afin de reconquérir la Vieille Ville pour le peuple juif.

Le vingt-huitième jour du mois de Iyar (6 mai 2013), nous célébrerons le Jour de Jérusalem. Nous commémorerons le retour de la souveraineté juive sur la Vieille Ville, le Mont du Temple et la zone du Kotel. Ce jour-là, notre «gène de Jérusalem», d’ordinaire récessif, deviendra au contraire dominant.

Photo Credit: www.israelimage.net

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