Odyssées Spirituelles

Comment une femme juive orthodoxe, née chrétienne, s’est retrouvée doyenne d'une université israélienne ?

03/02/2014 | par Shraga Simmons

Malka Schaps, professeur de mathématiques de renommée mondiale, brise tous les plafonds de verre.

Nombreux sont les exemples de femmes juives orthodoxes qui mènent de très belles carrières dans le domaine du droit ou de la médecine. Aujourd'hui s'y ajoute le nom de Malka Shaps, docteur en mathématiques, qui vient d'être nommée doyenne de la Faculté de Sciences Exactes de l'Université Bar Ilan en Israël. C'est assurément la première femme orthodoxe au monde qui atteint un tel grade au sein d'une université prestigieuse.

Malka, aujourd'hui âgée de 65 ans et grand-mère de 17 petits-enfants, a un parcours très particulier derrière elle. Elle a grandi dans une banlieue de l'Ohio sous le nom de Mary Elizabeth Kramer, une élève diligente inscrite à des cours de catéchisme où elle étudiait la Bible et apprenait les Dix Commandements.

Elle avait 12 ans quand ses parents quittèrent l'Eglise catholique que sa mère préférait, pour une église unitarienne moins dogmatique qui avait les faveurs de son père. Sorte de signe avant-coureur d'une rupture totale d'avec le christianisme.

Elève au lycée, Mary entama une recherche philosophique personnelle.

Enfance à la ferme : Mary Elizabeth Kramer (future Pr Malka Schaps)"J'avais été élevée dans le principe d'être quelqu'un "de bien" : ne pas mentir, ni tricher, ni voler" explique-t-elle. "En même temps, je me sentais résolument athée. D’où la question de savoir : qu'est-ce qui m'oblige à être quelqu'un de bien ?"

Dans sa recherche d'une raison justifiant l'effort d'être quelqu'un "de bien", Malka éplucha les œuvres des philosophes classiques comme Descartes ou Nietzsche. Ne trouvant pas de réponse, elle se mit à considérer la possibilité de la religion. "Une fois que j'ai envisagé de penser en ces termes, il était évident que le judaïsme - la racine du monothéisme - était le bon endroit pour commencer."

Malka intégra par la suite Swarthmore, une université d'élite située en Pennsylvanie. C'est son père - un professeur d'histoire américaine qui n’avait jamais obtenu sa titularisation – qui la poussa à embrasser une carrière universitaire. "Rétrospectivement, il essayait de compenser à travers moi son manque de succès relatif dans sa propre carrière professionnelle, dit-elle. Il me poussait à accomplir ses ambitions non réalisées."

Malka a été saisie par la profondeur de la sagesse juive et par les outils qu'elle offre en matière de discipline individuelle

L'une des étapes principales dans le cheminement de Malka vers le judaïsme se produisit lors de sa seconde année d'étude à l'université, alors qu’elle animait une colonie de vacances. L'un de ses collègues était juif. Quoique Malka ait déjà côtoyé beaucoup de Juifs, elle n'en avait jamais rencontré un pratiquant. Cet ami lui apprit à lire l'hébreu, en lui faisant déchiffrer l'étiquette… d'une soupe instantanée de la marque israélienne Telma ! Il l’invita également à assister à des offices religieux de vendredi soir et lui enseigna les bases de la nourriture cachère.

Ce qui commença comme un passe-temps ludique en colonie de vacances allait bientôt se transformer en une démarche déterminée de conversion pleine et entière au judaïsme.

Elle affirme : "La pratique juive, sa sagesse et les moyens qu'elle offre en termes d'autodiscipline ont une profondeur que je n'ai trouvée dans aucune autre religion".

En route pour Harvard

Toujours étudiante de premier cycle, Malka consacra un semestre de recherche à l'université de Kiel en Allemagne. C'est là, à l'ombre palpable de l'Holocauste, qu'elle se mit à considérer sérieusement l'idée de devenir juive.

"Les fêtes de Pessah se profilaient et je souhaitais assister à un Séder, ce que je n'avais jamais fait auparavant, explique Malka au journaliste d’Aish. J'ai cherché des Juifs dans l'annuaire, mais ils n'en restaient que trois dans toute la ville". Finalement, Malka entra en contact avec le rabbin de Hambourg, originaire d'Australie, et qui officiait notamment comme mohel de la communauté locale. Il devint son professeur de judaïsme, lui enseignant notamment comment respecter les règles de la cacherout et du Chabbath.

De retour à Swarthmore. Malka rencontra un jeune homme du nom de David Schaps. Originaire d'une famille juive new-yorkaise traditionnaliste, il cheminait lui aussi vers pratique religieuse plus approfondie. Leurs trajectoires respectives vers le judaïsme étaient donc convergentes.

Remise de diplômes à Harvard : Malka et son époux reçoivent leur doctorat le même jour : elle en maths et lui en lettres classiques.Malka se convertit au judaïsme et épousa David. Ensemble, ils poursuivirent leurs études à Harvard. Quelques années plus tard, ils recevaient leur titre de docteur, le même jour, elle en mathématiques et lui en lettres classiques.

Quelle fut la réaction de ses parents à sa conversion ?

"J'avais déjà commencé à manger cacher quand Maman m’a servi ce qui était alors mon plat préféré : des pommes de terre à la joue de porc… Elle n'était pas très contente que je repousse le plat.

Et puis elle s'y est habituée tant bien que mal. Elle a même acheté un nouveau set de vaisselle pour que je puisse manger à leur table. Mais quelque part je crois qu'elle espérait secrètement que je réintègre l'Eglise unitarienne."

À sa grande stupéfaction, Malka a récemment découvert qu’elle avait peut-être des racines juives.

"Quand ma maman fêta ses 95 ans, elle me dévoila qu’en Allemagne, le nom Kramer était porté par des juifs . Pendant toutes ces années, personne n'avait fait état de mes origines juives, pas même mon père. Ceci explique peut-être pourquoi nous avions rejoint à l'Eglise unitarienne (Note du journaliste : les unitariens pensent que Dieu est une seule entité et rejettent donc la Trinité). Réfugiés aux Etats-Unis, ces Juifs d'Allemagne y trouvaient peut-être un entredeux qui leur évitaient de devenir carrément chrétiens."

Départ pour Israël

Leurs diplômes d'Harvard en poche, Malka et son époux firent le grand saut et s’installèrent en Israël. Leur choix était réfléchi, "parce que vivre en Erets Israël permet d'être réellement au cœur de tout".

Malka comme David décrochèrent des postes d'enseignants en Israël, mais leur adaptation ne fut pas sans peine. "Il est bien connu que la première année d'enseignement est la plus exigeante, demandant beaucoup d'efforts pour peu de résultats immédiats. Ajoutez à ça l'apprentissage de l'hébreu, et vous pouvez imaginer ce que fut notre première année d'intégration !"

Leur famille s’agrandit : après avoir donné naissance à deux enfants, ils décidèrent d'en adopter. "Nos voisins avaient tous au moins dix enfants, nous nous sentions motivés à leur ressembler !"

Deux des enfants qu'ils accueillirent restèrent dans leur famille jusqu'à l'âge adulte. Mais ce fut parfois plus compliqué que prévu.

"Nous avons recueilli deux frère et sœur. Un beau jour, leurs parents biologiques exprimèrent le souhait de les récupérer, mais les enfants refusèrent. Cela entraîna de lourdes et éprouvantes procédures judiciaires."

Autre cas douloureux : les Schaps avaient recueilli un bébé, que la mère a repris plus tard sans leur permettre de le revoir. "Ce fut terriblement douloureux, se souvient Malka. Pendant des années, j'allais l'apercevoir au travers de la grille de sa cour de recréation. Quand il a eu 13 ans, j'ai contacté sa grand-mère qui nous a permis de lui rendre visite."

Au cours de leur carrière, les Schaps eurent l'opportunité d'intégrer l'université de Bar Ilan, la seule université religieuse du pays. David y obtint une chaire de lettres classiques, spécialisé dans le grec ancien et la philosophie. Il servit comme aumônier dans l'armée israélienne, où il dispense encore aujourd'hui un cours quotidien de Talmud.

Le bureau de la doyenne de la Faculté des Sciences Exactes, Université de Bar-IlanMalka intégra la faculté des sciences exactes, réunissant les disciplines de mathématiques, physique et chimie. Sa carrière prit un essor considérable : elle dispensa des conférences dans le monde entier afin de publier ses recherches sur "la représentation vrillée", un champ de mécanique quantienne futuriste sur lequel elle est intarissable. Elle fonda également programme de mathématiques financières, qu’elle dirigea pendant cinq ans.

Son parcours professionnel ne fut pas de tout repos. "Une chaire n'est pas un grade facile à atteindre, parce que vous devez à tout prix publier. C'est particulièrement difficile quand on est mère d'enfants en bas âge, car il n'est pas évident de gérer à la fois une famille et une carrière professionnelle. Le défi est tout simplement de trouver le temps de tout faire."

Il y a quelques mois, quand la faculté se mit à la recherche d’un nouveau doyen, le nom de Malka fut proposé. Au départ, elle rechigna à l'idée de sacrifier un temps précieux habituellement consacré à ses recherches. "Finalement, j'ai posé ma candidature au nom de la cause des femmes. Les filles sont aussi intelligentes que les garçons et elles peuvent elles aussi obtenir du succès dans des carrières scientifiques."

Auteur de sept romans

Malka consacre son temps "libre" à l'écriture de nombreux romans. Sous le nom de plume Rachel Pomerantz, elle a publié sept ouvrages dans lesquels on retrouve les défis qui ont jalonné sa vie, et particulièrement le thème des préjugés.

"Les gens issus de cultures différentes ont un point de vue historique différent, une structure familiale différente et un socle de principes différents," dit-elle. "Il est important de prendre conscience de cela et de ne pas s'attendre à ce que tout le monde se comporte de façon conforme à la nôtre."

L'une de ses œuvres les plus populaires examine le fossé social entre Israéliens : religieux et laïcs, Arabes et Juifs… Afin de se documenter sur le sujet, elle a été présidente de la prestigieuse organisation des anciens élèves d'Harvard en Israël pendant neuf ans. Cette fonction lui a permis de rencontrer une foule de personnes issues d'origines sociales et de croyances très diverses.

Il est primordial de communiquer avec l'autre, même si vous n'êtes pas d'accord avec lui

"Je pars du postulat qu'il est important de communiquer avec l'autre, même si vous n'êtes pas d'accord avec lui. Quand deux personnes trouvent un intérêt commun, elles peuvent communiquer et découvrir que "l'autre" est vraiment humain. Certes il n'est pas toujours facile d'ancrer ce principe théorique dans la vie réelle. Cela exige une réelle ouverture d'esprit et un respect mutuel. Même dans un roman, cela ne vient pas sans mal !"

Y a-t-il un espoir de meilleure entente entre les divers secteurs de la société israélienne ?

À cette question, Malka est optimiste : "L'école et l'entreprise sont des endroits qui invitent naturellement à ce brassage sociétal. A Bar Ilan par exemple, les classes sont formées de personnes de tous horizons, qui s'entraident les unes les autres. C'est bien la preuve que c'est possible !"

L'un de ses romans raconte le destin de deux Américaines, colocataires étudiantes : l'une se convertit au judaïsme et part s'installer en Israël, la seconde reste athée et mène une carrière de mathématicienne aux Etats-Unis.

"Ces deux personnages représentent les deux chemins divergents que ma vie aurait pu suivre" admet Malka.

Au cours de ses nombreuses années passées dans le monde universitaire, a-t-elle rencontré une opposition à la religion, souvent présentée comme quelque chose que "des intellectuels sérieux n'approuveraient jamais" ?

"Oui, mais je précise toujours que l'étude de mathématiques présente un point commun avec le judaïsme : les deux recherchent un ordre supérieur aux choses matérielles et tendent à atteindre la vérité objective."

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