Société

Pardonner à Mengele

17/10/2017 | par rabbin Benjamin Blech

Est-ce juste que de pardonner à l’Ange de la mort d’Auschwitz ?

Je ne me permettrais jamais de critiquer des rescapés de la Shoah. Même si je n’étais pas d’accord avec eux, je préférerais le silence à la désapprobation.

Leur douleur prévaut sur mon opinion. Leur détresse l’emporte sur mes sentiments.

Je n’ose pas dire du mal d’Eva Mozes Kor dont l’histoire a fait le tour de la Toile le mois dernier. Et quelle histoire était-ce ! Eva, qui a maintenant 83 ans, a survécu à l’enfer d’Auschwitz et au tristement célèbre docteur Josef Mengele qui perpétra d’ignobles « expériences médicales » sur les détenus qui avaient le triste honneur d’être jumeaux. Écouter ce qu’elle a subi est presque trop douloureux pour être décrit par des mots.

La sœur jumelle d’Eva, Miriam, a fini par succomber à la torture. Mais Eva, toujours en vie, a pris une décision presqu’incroyable. Ce qui a valu à sa vidéo une popularité stupéfiante.

Dans un témoignage intitulé « Le pouvoir de vivre et pardonner », Eva a finalement choisi de pardonner à son bourreau, l’homme plus connu sous le surnom de « l’Ange de la mort d’Auschwitz ».

« J’ai imaginé que Mengele se trouvait dans la même pièce que moi, raconte-t-elle. J’ai ouvert un dictionnaire et j’ai écrit 20 insultes que j’ai lues à voix haute à ce Mengele imaginaire qui se tenait devant moi. Et à la fin, je lui ai dit : "Malgré tout cela, je te pardonne." Cela m’a fait du bien. »

Parce qu’il s’agit d’une décision personnelle qui ne la concerne qu’à elle, je ne peux que me réjouir du fait qu’elle ait trouvé dans une certaine mesure le moyen de s’auto-guérir. Si cela est une source de réconfort pour elle, je me dois de respecter ses souhaits. En revanche, ce que je ne peux pas accepter est le verdict des millions d’internautes qui suggère qu’Eva est désormais devenue la personnification de la victime idéale du barbarisme nazi – une âme de la plus grande sainteté parce que prête à pardonner et oublier, un parfait modèle pour tous les autres rescapés et étudiants d’une histoire moderne que trop récente.

Pour quelques rares personnes, le pardon dans cette situation peut constituer le meilleur moyen de guérir de leurs blessures et de survivre sur le plan psychologique. Mais ce choix n’est ni sensé d’un point de vue théologique ni acceptable d’un point de vue moral.

Pardonner aux gens qui n’expient pas personnellement leurs péchés revient à affirmer que le repentir n’est pas vraiment nécessaire.

Mengele est mort sans s’être repenti de ses crimes. Il n’a jamais manifesté de remords, honte ni regret. Il n’a jamais prononcé la moindre excuse pour ses méfaits, ni n’a entrepris la moindre tentative de réparer ses crimes. Pardonner le mal sans exiger de la part de ses auteurs un aveu de leur culpabilité revient à l’excuser et à lui accorder une légitimité qui le renforce au lieu de contribuer à créer les conditions nécessaires à sa condamnation.

Pardonner aux gens qui n’expient pas personnellement leurs péchés revient à affirmer que le repentir n’est pas vraiment nécessaire. Peut-il y avoir de démarche plus immorale que celle d’encourager le mal en s’abstenant de la moindre condamnation de ceux qui l’ont perpétré ?

La réaction positive à la vidéo de Mozes Kor ne fait que confirmer ce que les modèles contemporains considèrent comme un « bon » comportement psychologique ou ce que certaines religions recommandent comme étant « une action vertueuse ». Le lendemain du massacre du collège de Columbine, un groupe de collégiens ont annoncé qu’ils pardonnaient aux tueurs. Le 12 septembre 2011, immédiatement après la tragédie des Twin Towers, sur plusieurs campus universitaires américains, des étudiants ont imploré le pardon pour les terroristes responsables des attaques atroces de la veille. Et quelques semaines après la tuerie de Charlie Hebdo, la Une de la gazette satirique présentait une caricature de Mohammed accompagnée du slogan « Tout est pardonné ».

Ceux furent là des marques de compassion profondément malavisées qui portaient des conséquences potentiellement tragiques. Ne pas protester contre le mal revient à le cautionner. Pardonner et oublier, comme l’a si bien écrit Arthur Schopenhauer, « signifie jeter une précieuse expérience par la fenêtre. » Et sans le bénéfice des leçons tirées de nos expériences passées nous sommes presque sûrs d’être voués à les répéter. C’est pourquoi pardonner à ceux qui refusent de se repentir avant de mourir c’est devenir complice de futurs crimes.

Des articles de presse récents ont mis en exergue le phénomène contemporain consistant à obliger quelqu’un à pardonner en lui faisant honte. La capacité de pardonner, peu importe le tort qui a été causé, a donné lieu à une telle glorification morale que les gens qui refusent de se joindre au refrain populaire « je t’aime peu importe ce que tu m’as fait » sont désormais devenus ceux qui doivent justifier leur position et affronter la honte collective pour leur « intolérance » rigide.

Jeanne Safer, une célèbre psychanalyste et psychothérapeute américaine, a évoqué le témoignage d’une collègue qui fut exposée à un comportement inapproprié et à un harcèlement de la part de son frère, lequel ne s’excusa jamais pour ses agissements. « Contrairement à la sagesse conventionnelle, refuser de pardonner ou de poursuivre le contact avec un proche parent auteur d’abus et impénitent est thérapeutique. Si la croyance populaire véhicule l’idée que le pardon améliore la santé mentale et soulage la dépression, c’est parfois le contraire qui peut exprimer pleinement le droit de vivre de la victime. »

Elizabeth Bernstein a écrit dans le Wall Street Journal : « Dans un premier temps, le pardon peut aider la personne qui a été blessée à évacuer sa colère, son ressentiment et son désir de vengeance. Mais le pardon peut aussi encourager le transgresseur à récidiver. Les experts affirment que le pardon sincère ne s’atteint qu’au terme d’une démarche qui peut durer plusieurs années. Et dans certains cas, il est parfois préférable de ne pas pardonner. »

Jeffrie Murphy, professeur de droit, philosophie et études religieuses à l’université publique de l’Arizona, qui s’intéresse à cette question depuis plusieurs années, met en garde contre les avis présumant que le pardon est toujours recommandé et qu’il constitue une preuve d’intégrité et de bonne santé morale.

De plus en plus de voix s’élèvent pour affirmer que le pardon doit à tout prix se mériter et que le fait de « pardonner pour guérir » sans recevoir la moindre expression de remords peut s’avérer destructeur.

Certains actes sont impardonnables. Les meurtriers impénitents sont impardonnables. Le génocide est impardonnable. La Shoah est impardonnable. Et l’Ange de la mort, Dr Mengele d’Auschwitz ne sera au grand jamais pardonné – bien que je pardonne à Eva Kor d’avoir choisi cette option pour elle-même tandis que la quasi-totalité des autres victimes la rejettent.

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