Société

La Saint-Valentin version juive

14/02/2017 | par rabbin Benjamin Blech

Apprendre à s’aimer pour apprendre à aimer…

L'amour est dans l'air...

A l’approche de la Saint-Valentin, un milliard de cartes remplies de déclarations d'amour sont envoyées dans le monde entier, selon l’estimation de l’Association des Cartes de Vœux américaine. Et ce chiffre n’inclut pas les envois de fleurs, de chocolats, de bijoux et de cadeaux qui font désormais partie du rituel de cette journée dédiée à exprimer l’émotion que Shakespeare appelait « le langage de l'âme. »

Nous autres Juifs, émettons certaines réserves quant au respect de cette tradition. Après tout, le nom de cette fête évoque le lien légendaire avec l’histoire apocryphe de l'un des premiers saints chrétiens. Et les académiciens ne sont pas les seuls à reconnaître la fragile crédibilité de ce lien historique. Le Concile Vatican II, l qui fut à l’origine de nombreuses réformes adoptées par l'Église Catholique en 1969, retira la Saint-Valentin de son calendrier. Motif invoqué : «  Bien que le mémorial de Saint Valentin figure parmi les plus anciens … nous ne savons rien à son propos, à l’exception de son nom… et de la date de son inhumation sur la Via Flaminia, le 14 février. »

Seul reste alors, comme le déclarent les partisans de cette célébration universelle, un jour au cours duquel nous reconnaissons le pouvoir de l’amour et sa capacité à nous redonner notre humanité, ce qui ne devrait gêner aucun fidèle, quelque puisse être sa religion.

Lorsque l’on me demande, en tant que rabbin, si les Juifs devraient célébrer la Saint-Valentin, ma réponse classique est la suivante : « Oui, nous devrions célébrer l'amour ... 365 jours sur 365. »

Mais puisqu’un jour du calendrier a été particulièrement désigné pour souligner la signification de l’amour, nous autres Juifs pourrions le mettre à profit pour nous remémorer le sens profond de ce commandement — un sens trop souvent ignoré par les créateurs de cartes de vœux.

L’Amour, d’après l'un des grands Sages du Talmud, représente la Mitsva par excellence. Quand un non-Juif demanda à Hillel de lui « enseigner toute la Torah sur un pied », c'est-à-dire de lui résumer son essence, sa réponse ne fut autre que : « Aime ton prochain comme toi-même. »

Ce qui laisserait entendre que l’amour porté à autrui serait le summum bonum du Judaïsme.

L'amour de soi

Et pourtant, la Saint-Valentin, telle qu’elle est observée à travers le monde, fait fi d’une personne qui serait en réalité la plus digne d’amour. Certes, je vous l’accorde, l’amour porté à autrui est un sentiment des plus louables. Mais un examen plus attentif du verset biblique qui fait de « l'amour » un commandement nous révèle qu’une certaine personne doit être aimée avant même que ne puisse être aimé l’objet de notre passion le jour de la Saint-Valentin.

Avant d’aimer autrui, il faut commencer par s’aimer soi-même.

Le verset du Lévitique (19:18) affirme « tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Deux instructions nous sont données dans un ordre bien précis. Le verset est généralement employé pour nous rappeler d’aimer les autres, mais nous négligeons, à nos risques et périls, la première étape nécessaire dont nous devons tenir compte pour atteindre cet objectif qui est celui d'aimer les autres. Tu aimeras ton prochain, nous enseigne la Bible, comme toi-même.

C’est là une vérité psychologique des plus profondes : la haine violente, solidement enracinée, que l’on constate chez les tyrans ou les criminels est en réalité une haine de soi tournée vers l'extérieur. Il faut, pour être vraiment humain, commencer par l'acceptation de soi et l'estime de soi. C'est seulement alors que devient possible la progression de développer également un sentiment d'affection pour les autres.

Le Rabbin Hassidique de Kotzk avait raison lorsqu’il dit à ses disciples, après avoir vu un homme qui en battait un autre: « Voyez comment, même en accomplissant un acte mauvais, ce Juif applique les paroles de notre sainte Bible. Il démontre qu'il aime son prochain de la manière dont il s'aime lui-même. Nous ne pouvons que prier pour qu'il parvienne enfin à véritablement s'aimer lui-même, de sorte qu'il puisse modifier la façon dont il traite les autres. »

Barbara De Angelis, une chercheuse américaine sur les relations humaines et le développement personnel, a trouvé les mots justes pour l’exprimer: « Si vous n'êtes pas doué pour vous aimer vous-même, il vous sera difficile d’aimer qui que ce soit, car vous vivrez mal le fait de consacrer du temps et de l’énergie à un autre sans pouvoir le faire aussi pour vous. »

L’inverse est aussi vrai, bien sûr : si vous ne savez pas vous aimez, comment pouvez-vous espérer que quelqu'un d'autre puisse le faire?

Le Pacte de Faust

Il ne s’agit en rien de suggérer un amour narcissique, mais plutôt une sorte d'amour-propre rendu possible par le respect de soi. Un amour-propre tel qu’en témoigne la remarquable histoire de Gil Meche, qui fit la manchette du New York Times:

« Un joueur de baseball renonce à 12 millions de dollars pour préserver son amour-propre. »

Gil Meche est un joueur de baseball de 32 ans, d’une équipe de Kansas City, les « Royals ». Son contrat pour la prochaine saison s’élevait à 12 millions de dollars. Les contrats des ligues majeures une fois signés, ne peuvent être remis en question. Ainsi un joueur devra être payé, quelque soit la qualité de son jeu ou son empêchement de jouer à la suite de blessures. Ce fut le cas de Meche qui ne pouvait plus jouer du fait d’une épaule douloureuse. Il n’aurait eu qu’à se présenter au prochain entraînement ayant lieu au printemps pour toucher son salaire. Mais Meche annonça qu’il prenait sa retraite, renonçant ainsi à être payé.

« Quand j'ai signé mon contrat, mon principal objectif était de le mériter, expliqua t-il à la presse. Quand j’ai réalisé que je ne méritais pas mon salaire, je me suis senti très mal à l’aise. Je me faisais un argent fou sans même jouer. Honnêtement, je n'ai pas eu l'impression de le mériter. Je ne voulais plus ressentir de tels sentiments. »

Je ne veux pas prendre ce que je ne mérite pas.

Pour Gil Meche, le fait de pouvoir se regarder dans une glace et se dire : « Je suis fidèle à mes valeurs, je veux conserver ma dignité et mon amour-propre. Je ne veux pas prendre ce que je ne mérite pas. » est plus important que l’argent. En prenant cette décision, il enseigna à chacun de nous ce qui constitue la condition sine qua non pour l’amour véritable.

En effet, dans de nombreux domaines de la vie, nous sommes confrontés à des choix dans lesquels le respect de soi semble contredire le prétendu besoin de la réussite. Le Pacte de Faust nous séduit et nous incite à vendre nos âmes. Seuls ceux qui sont assez intelligents pour choisir l'amour, se révèlent être assez forts pour prendre la bonne décision.

Il n'est pas égoïste de s’assurer notre sympathie à nos propres yeux. Selon la Torah, c'est la première étape par laquelle nous devons tous passer avant de poursuivre sur le chemin de l’amour envers autrui, celui qui nous fera nous épanouir le plus.

Alors, voici ce que je vous suggère pour la Saint-Valentin et d’ailleurs pour les autres 364 jours de l'année. Non, vous n'avez pas besoin de vous adresser une carte de vœux proclamant votre amour. Mais vous pouvez en revanche consacrer un moment de votre journée pour accomplir un geste qui vous assurera votre propre respect et admiration.

Une fois parvenu à ce stade, vous serez alors à même d’aimer vos prochains comme vous-même. Et à leur tour, vos prochains vous voueront un amour sincère et authentique. Un amour qui dépasse de loin une passion éphémère programmée par un calendrier ou résumée par une simple déclaration prononcée sans trop y croire.

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