Respect des Parents

Une grande petite dame

30/03/2017 | par Rav Elie Kling

Un hommage en quatre images à une femme d'exception, signé par son fils, Rav Elie Kling.

Première image :

Paris, 1943. Une jeune fille de 16 ans fait la queue, son étoile jaune bien cousue sur sa chemise, pour obtenir quelques denrées en échange de ses tickets de rationnement.  Derrière elle, elle entend bien distinctement une dame élégante : « Tiens, il y a encore des Juifs à Paris ? Je croyais qu’on les avait tous raflés ! » La jeune fille attend prudemment d’être servie puis se retourne vers la dame, la regarde dans les yeux, lui assène une retentissante paire de gifles accompagnée d’un « ça, c’est de la part des Juifs ! » rageur, avant de prendre la fuite à toutes jambes. « C’est qu’il faudrait voir à ne pas dépasser les limites ! », commentera-t-elle devant moi, bien des années après.

Deuxième image :

Lyon, 1961. La jeune femme est devenue l’épouse du grand rabbin. Elle apprend qu’une jeune mère déprimée de la communauté vient de déposer son bébé à l’Assistance Publique. Elle a un mois pour changer d’avis. Après quoi, son bébé pourra être adopté. Comme ce sont les bonnes sœurs qui s’occupent de l’Assistance lyonnaise, un couple de très pratiquants catholiques est déjà candidat à l’adoption et l’enfant sera baptisé. C’est sans compter la détermination de la femme du rabbin. Quelques jours suffisent à convaincre la mère de récupérer son enfant, puis s’engage une course contre la montre entre les deux femmes et les représentants de l’Église. L’assistance fait trainer les choses, « l’enfant n’est pas visible aujourd’hui », « il est malade », « revenez demain » … Tous les jours, la femme du rabbin se présente aux portes de l’assistance, un couffin à la main au cas où elle obtiendrait gain de cause. Le dernier jour, devant la menace de porter l’affaire au tribunal, l’Église cède enfin. Le bébé est rendu à la mère qui ne peut ou ne veut toujours pas s’en occuper. L’enfant est gardé chez le rabbin jusqu’à ce que madame la rabbine lui trouve des parents adoptifs juifs. Le bébé aura donc une éducation juive. «L’Église a gardé beaucoup trop d’enfants cachés pendant la guerre dont les parents avaient disparu! Cela suffit ! Plus un seul enfant ne leur sera cédé ! », m’expliquera-t-elle bien plus tard.

Troisième image :

Lyon, 1963. Le grand rabbin annonce à son épouse qu’il a finalement réussi à trouver des fonds pour son nouveau projet: l’école juive de filles ouvrira ses portes à la rentrée prochaine.

–  Et les locaux ? demande madame. 

– Au-dessus de chez nous, au troisième étage. On transformera les bureaux du consistoire en salles de classe !

– Et ils ont accepté ?

– Je leur ai fait comprendre qu’ils n’avaient pas vraiment le choix.

– Et le directeur ?

– Ce sera une directrice.

– Qui ? 

– Toi. 

– Moi ?

– Toi. Je ne trouverai certainement pas mieux. Et puis on fera ainsi l’économie d’un salaire puisque tu le feras gratuitement. 

– Et la cuisine ?

– La nôtre fera très bien l’affaire ! répondit calmement le grand rabbin.

C’est ainsi que durant des années, la petite cuisine de la famille Kling deviendra la cuisine de l’école, produisant des centaines de repas tous les jours, sous la responsabilité et la surveillance rapprochée de la directrice…

Quatrième image :

Kfar Maïmon, 2007. Elle vient de s’apercevoir qu’elle a un cancer. Elle contacte un oncologue de nos amis qui dirige le service dans un hôpital de Jérusalem. Elle prend seule rendez-vous pour des séances hebdomadaires auxquelles elle se rend seule également, nous faisant croire qu’elle a des courses à faire, du cacao à acheter pour ses fameux chocolats ou des gens à rencontrer dans la capitale. Elle fixe seule la date de l’opération, se contentant de prévenir ma belle-sœur la veille en lui demandant de surtout ne rien dire pour l’instant. « Je te raconte tout ça parce qu’il faut bien que quelqu’un sache où je suis au cas où l’opération ne se déroulerait pas comme prévu », lui dit-elle. Et ce n’est donc qu’après l’opération que ses trois enfants furent mis au courant. « Je ne voulais pas vous inquiéter ou vous déranger inutilement », expliquera-t-elle ensuite. Elle avait alors 80 ans !

Très chère maman, ne m’en veux surtout pas d’avoir raconté tout ça en public. C’est juste parce que ça me permet de te remercier pour ton courage, ta détermination, ton dévouement et ta gentillesse.  Veille bien sur nous. Comme d’habitude. Je t’embrasse.

Elie

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